Les charmes du dépaysement
Dépayse-moi
Dépayse-moi
C’est ce qu’on attend d’un voyage. Qu’il nous mène très loin sur un autre continent ou à quelques heures de chez soi, on cherche à être dépaysé, à découvrir des lieux qui nous détournent de nos références familières. À défaut de voyager physiquement, quel qu’en soit l’empêchement, on peut heureusement se rabattre sur les livres. Combien d’entre nous ont voyagé dans une ville ou un pays en pensée avant de s’y rendre et d’y faire, en quelque sorte, un nouveau voyage ? Les sujets abordés dans ce nouveau numéro de Collections entretiennent tous, à divers degrés, un rapport au voyage, à l’exploration de zones ou de visions inédites du monde et de la littérature.
Il y a les secrets que l’on veut garder pour soi et il y a ceux que l’on partage volontiers. Que l’on partage les œuvres des écrivaines québécoises ! L’écriture au féminin au Québec n’est pas nouvelle, elle est le fruit d’une longue et parfois difficile gestation. Mais ce qu’il y a de saisissant et de réjouissant à la lecture du dossier de Sandra Felteau, c’est le rayonnement de celles-ci en France et ailleurs dans la Francophonie. Lectrices, lecteurs, libraires et journalistes d’ailleurs découvrent l’exceptionnel talent d’autrices accomplies comme Catherine Mavrikakis et Élise Turcotte, et les voix prometteuses de Marie-Pier Lafontaine et de Marie-Ève Thuot. Et que dire de la plongée intime et collective dans le monde autochtone à laquelle nous convie Naomi Fontaine.
Le dépaysement peut aussi être intellectuel, ce à quoi nous invite l’essayiste Alain Deneault. Bande de colons est une contribution forte et originale aux réflexions qui ont cours aux quatre coins du globe autour des ravages multiples du colonialisme. L’histoire particulière du Québec aura permis l’émergence d’une figure politique toute singulière : le colon. Ce colon a connu les affres du colonisé avant de se faire lui aussi colonisateur. Sous la plume de Deneault, le dépaysement devient un décentrement des catégories culturelles et politiques qui gouvernent les relations entre la vieille Europe, l’Afrique et le Nouveau Monde depuis plusieurs siècles. Si bien que les lectrices et lecteurs de part et d’autre de l’Atlantique y trouveront matière à réflexion, voire à rapprochement.
Le mot réinvention était sur toutes les lèvres en 2020. On l’a beaucoup utilisé dans le monde de la culture pour enjoindre les artistes à trouver de nouvelles façons de rejoindre le public pour déjouer les contraintes de la pandémie. Il y a des limites à se réinventer, répondront avec raison des artistes et des diffuseurs. Mais on ne saurait passer sous silence l’imagination et la détermination des acteurs du milieu du livre. À commencer par les libraires qui, au Québec comme ailleurs, ont déployé tant d’efforts pour que les livres voyagent d’une porte à l’autre. Les éditeurs ont navigué en eaux troubles avec ténacité, ne l’oublions pas. Quant aux autrices et auteurs, illustratrices et illustrateurs, habitués aux salons du livre, aux visites en classe et aux lancements, ils ont su se réinventer. Voyons-y une inspiration plutôt qu’une fatalité en ces temps incertains qui, grâce aux mots et aux images, annoncent de beaux dépaysements.
Sébastien Lefebvre
Gestionnaire et responsable des projets d’exportation à Québec Édition