Collections | Volume 7 | numéro spécial

Littérature

Un thriller social à l’ombre de Zola

Grégoire Courtois auteur de Mathilde ne dit rien

Josianne Desloges

Grégoire Courtois vit en France, où il combine les professions de libraire et d’écrivain, alors que ses livres sont édités au Québec, aux éditions Le Quartanier. Son plus récent ouvrage, Mathilde ne dit rien, a été publié sous le pseudonyme de Tristan Saule et marque un nouveau rythme, chargé d’urgence, dans son écriture. Au fil d’un thriller enlevant, le quarantenaire raconte une semaine déterminante dans la vie d’une travailleuse sociale au passé sclérosé.

Le hasard a voulu que les deux premières publications de la collection « Parallèle » du Quartanier, créée pour accueillir les textes de littérature de genre — roman noir, science-fiction et horreur — , soient signées par Grégoire Courtois et Tristan Saule. L’auteur et son double inaugurent donc la nouvelle collection, qui s’enrichira de plusieurs titres dans la prochaine année.

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Collections : Quelle est la différence entre Grégoire Courtois et votre pseudonyme, Tristan Saule ? Ont-ils une persona d’auteur, un style, des intérêts ou des buts différents ?

Grégoire Courtois : Tristan Saule est un nom, et c’est aussi un projet littéraire. La différence entre les deux œuvres tient principalement aux procédés d’écriture employés. Tristan Saule produit des romans à un rythme régulier, ce qui impose d’aller à l’essentiel, tant au niveau de la construction que du style. A contrario, ce que j’ai publié et que je continuerai à publier sous mon vrai nom autorise plus de recherche, de maturation, de reprise à zéro. Je m’aperçois que j’aime également ces deux manières d’écrire.

Collections : Quelle sera la fonction de la place carrée, dont le marché dominical et les flux de passants font l’objet de plusieurs descriptions bien ficelées dans le roman, dans la série Chroniques de la place carrée, que vous inaugurez avec Mathilde ne dit rien ?

G.C. : Ce lieu est le centre du monde de mes personnages. Littéralement. C’est leur monde. Pour le décrire, je me suis inspiré d’un quartier situé à quelques centaines de mètres de là où j’habite. Ici, beaucoup d’habitants ne vont jamais au centre-ville. Toute leur vie s’organise dans ce périmètre. J’ai aussi choisi cet endroit à cause de sa forme, une résidence en U qui cerne une place où tout se passe. Comme au théâtre, il manque un quatrième mur. Le quatrième mur, c’est le lecteur.

Collections : Comment se développeront les autres tomes de la série ?

G.C. : L’idée était de braquer le projecteur sur un ou deux personnages par roman. Mathilde est le personnage central du premier volet. Si on la recroise par la suite, ça ne sera que furtivement. De la même manière, certains personnages secondaires deviendront les protagonistes d’un prochain roman. Chaque tome se déroulera un an après celui qui le précède. Mon ambition, c’est de raconter, année après année, la vie des habitants de ce modeste quartier français dont je suppose et crains qu’il devra faire face à de nombreux problèmes dans la décennie qui vient.

Collections : Qu’est-ce qui vous a incité à aborder des thématiques sociales, intrinsèquement liées à votre intrigue ?

G.C. : C’est difficile à dire. Peut-être que je me suis dit qu’à quarante ans passés, il était temps de sortir de mon confortable cocon, de me confronter au monde, d’apprendre de lui, tout en témoignant. Pour ça, je savais qu’il n’était pas nécessaire de m’envoler vers un pays lointain. Il suffisait de faire trois cents mètres à pied. C’est ce que j’ai fait.

Collections : Mathilde a l’habitude de calculer chacun de ses gestes en respectant des délais de huit minutes. Comment cette conception angoissée du temps définit-elle le personnage, voire la construction du roman ?

G.C. : Mathilde vit dans la peur que tout s’écroule, à chaque instant. C’est une réaction post-traumatique fréquente. Il m’a paru intéressant de lier la terreur intime de cette femme banale à un mouvement cosmique, qui la dépasse, à tous les niveaux. De plus, cette idée est aussi un reflet du livre, lui-même construit comme une succession de comptes à rebours.

Collections : Si vous deviez nommer trois auteurs qui vous ont nourris, qui seraient-ils et pourquoi ?

« Mathilde vit dans la peur que tout s’écroule, à chaque instant. C’est une réaction post-traumatique fréquente. Il m’a paru intéressant de lier la terreur intime de cette femme banale à un mouvement cosmique, qui la dépasse, à tous les niveaux. »

Grégoire Courtois

G.C. : J’avais peu de nourriture pour ce roman, car je lis peu de thrillers sociaux. En fait, je dirais que ce sont plutôt les naturalistes du XIXe siècle qui m’ont guidé. L’ombre de Zola planait sur les entretiens que j’ai menés pour accumuler du matériel documentaire. Je construis une œuvre bien plus modeste, mais ça ne m’empêche pas de ressentir une grande responsabilité pour les sujets que je traite. Ce sont des personnages fictifs, mais j’ai quand même peur de les trahir. Enfin, dans le registre du noir, je pourrais citer Manchette, bien sûr, pour son côté efficace. J’aimerais l’être autant.

Collections : À la lumière de votre expérience en première ligne en librairie, en France, est-ce que la littérature québécoise y est bien mise de l’avant et bien accueillie ?

G.C. : Si on compare avec la situation telle qu’elle était il y a cinq ou six ans, l’évolution est considérable. Pour caricaturer, on partait d’une image régionaliste et désuète, folklorique, en somme, du roman québécois. Aujourd’hui, cette production a trouvé en France une place, pas énorme, mais farouchement gardée par des libraires et des lecteurs passionnés qui la considèrent pour ce qu’elle est : un souffle d’air frais dans l’univers littéraire francophone. Il y a encore beaucoup de chemin à faire, des appréhensions à dissiper, mais quand je m’entends présenter un livre québécois à un client, et oublier de dire qu’il est québécois, je me dis que c’est tout à fait réalisable.

Collections : Pourquoi, de votre côté, avoir choisi de publier chez un éditeur québécois ?

G.C. : En 2008, je cherchais à publier ce qui est devenu Les agents. C’est [l’écrivaine et éditrice] Chloé Delaume qui m’a orienté vers Le Quartanier. Moi, je ne connaissais pas leur catalogue, leurs auteurs. On a longuement échangé par mail avec Éric de Larochellière [directeur général du Quartanier]. Il a lu beaucoup de mes textes et on peut dire qu’on s’est choisi mutuellement. À cette époque, je ne connaissais rien au monde du livre, aux problèmes de distribution des éditeurs québécois. J’étais surtout heureux et fier d’avoir trouvé quelqu’un qui jugeait que mon travail méritait d’être publié. Je ne mesurais même pas que j’avais mis les pieds chez l’un des éditeurs les plus exigeants et qualitatifs des lettres francophones.