Collections | Volume 7 | numéro spécial

Littérature

Toute la vérité,  rien que la vérité

Antoine Charbonneau-Demers auteur de Good boy

À l’avant-dernière page de son plus récent livre, Daddy, Antoine Charbonneau-Demers fait l’inventaire de ce que la COVID- 19 a tué avec la solitude qu’elle impose : « Mon indépendance, ma dignité, mes amies, ma famille, ma vie sexuelle, mes prochains livres, ma carrière en France ; moi qui voulais devenir un écrivain français, qui projetais de n’écrire que la vérité… »

Si ces craintes étaient bien tangibles au moment de l’écriture, elles n’ont toutefois pas empêché la sortie de deux livres au Québec et d’une réédition en Europe dans la dernière année. Au printemps paraissait Baby Boy, un roman pour adolescents, aux éditions du Parc en face ; cet été, Daddy aux éditions VLB ; et en septembre Good boy aux éditions Arthaud, en Europe.

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À 26 ans, Antoine Charbonneau-Demers a déjà obtenu le prix Robert-Cliche du premier roman pour Coco (pas encore paru hors-Québec) et le prix du Salon du livre de Paris 2019 pour sa nouvelle La femme à refaire le monde, publié dans un recueil éponyme chez Buchet /Chastel. Cet automne, Good boy lui a valu le Prix du roman gay, organisé par les éditions Frigo, et qui récompense chaque année un roman de langue française appartenant à une littérature d’inspiration homosexuelle masculine.

Une récompense qui ravit le lauréat : « Je suis vraiment honoré. Pour moi, l’écriture est un geste militant, important pour ma communauté. Mes plus belles critiques viennent des gens qui m’écrivent sur les réseaux sociaux, des jeunes garçons en région qui disent que mon livre leur a ouvert les yeux sur des gens qui vivent la même chose qu’eux. »

Dans Good boy, un roman d’apprentissage où un jeune homosexuel déménage dans une grande ville, le narrateur navigue entre la bête concrétude du réel et le vertige de ses visions oniriques, où la chanteuse Rihanna, un chat blanc et la toile La femme à la cravate noire de Modigliani — que l’auteur associe à la maladie et à la maison de son enfance — deviennent des symboles presque mystiques.

Antoine Charbonneau-Demers dévore d’ailleurs les ouvrages de développement personnel, notamment ceux des Américaines Gabrielle Bernstein et Marianne Williamson, qui abordent leur rapport à l’univers, aux miracles et à Dieu.

« Pour moi, la confiance en soi, le bonheur, ça passe par la spiritualité, même si ça ne paraît pas de façon évidente dans mes livres, explique-t-il. Lorsque je parle de réussir, de se dévoiler, d’avoir du succès, c’est une critique de la culture de la performance, qui m’affecte comme auteur et qui affectent aussi mes narrateurs. Et en dévoilant cet aspect, je veux susciter une forme de guérison. »

Dans le processus, il dévoile tout, sans pudeur et avec de moins en moins de fard. « Je ne sais pas ce que c’est, de l’exhibitionnisme peut-être, mais dans la vie, je garde beaucoup de choses pour moi, avec mes amies, avec ma famille, et quand j’écris, j’ai envie de tout dire. » Il recherche aussi cette authenticité dans ses lectures : « J’aime voir que des gens ont fait des choses, j’aime lire des gens qui parlent d’eux. Pour moi c’est la vraie affaire, parce que ce n’est pas des idées, c’est du concret. »

L’écriture de Daddy pendant les premières semaines de confinement marque un changement de ton et de style. La vérité est maintenant son premier barème. « J’ai décidé de ne plus écrire de fiction. J’ai pris cette décision au mois d’août 2018, après qu’un garçon dont j’étais amoureux m’ait dit que ça se voyait dans mes romans quand c’était vrai, et quand c’était de l’invention », écrit Antoine Charbonneau-Demers dans Daddy. La source de son prochain livre est d’ailleurs un journal de voyage où il a noté avec exactitude le moindre détail de son périple.

Le terme « autofiction », pour parler de ces récits, l’horripile. Il préfère le terme anglais creative non-fiction, qu’on pourrait traduire par non-fiction créative. Dans ses écrits comme dans les entrevues, il cite la Française Christine Angot, qui qualifie tous ses livres, qu’ils contiennent du véridique ou de l’invention, de romans — une posture que reprend Charbonneau-Demers.

« Je ne sais pas ce que c’est, de l’exhibitionnisme peut-être, mais dans la vie, je garde beaucoup de choses pour moi, avec mes amies, avec ma famille, et quand j’écris, j’ai envie de tout dire. »

Antoine Charbonneau-Demers

Sur l’écrivaine, il dit ceci : « J’ai été charmé par son écriture très simple et par le fait qu’elle dérange beaucoup de monde, parce qu’elle se met au centre de ses livres et qu’en entrevue, ses déclarations choquent. Avec elle, j’ai découvert une écrivaine, mais aussi tout ce qu’on pensait de l’autofiction, comme si parler de soi ne pouvait pas être de la littérature. »

Il s’est aussi découvert une passion pour Emmanuel Carrère, qui aborde des aspects du développement personnel dans Yoga, alors que Annie Ernaux et Hervé Guibert figurent au panthéon de ses auteurs fétiches — ceux qui lui ont donné envie d’écrire.

« Je pourrais dire qu’il ne faut considérer que le livre lui-même et mettre l’auteur à part, mais j’aime trop m’immiscer dans le processus, que les gens pensent à moi en lisant. Je vois l’écriture comme un geste performatif, je ne veux pas que les gens m’oublient », souligne le jeune auteur.

Il a reçu une formation d’acteur, mais presqu’aussitôt sorti de l’école de théâtre il s’est aperçu que jouer des rôles — et surtout des rôles hétérosexuels inscrits dans la norme — ne lui convenait pas du tout. Sa pratique littéraire se conjugue maintenant à une pratique en arts visuels. Il peint, dessine (il a d’ailleurs dessiné la couverture de Daddy) et fait des performances. Cet hiver, lors d’une résidence dans un centre d’artistes situé au cœur du village où il a grandi, en Abitibi-Témiscamingue (au nord-ouest du Québec), il explorera la notion de cri du cœur. « Je veux montrer ma douleur, crier cette frustration que j’ai de ne pas être cru parce que j’écris de la fiction. »

Lorsque la pandémie a déferlé, il a eu l’impression que la vie allait s’arrêter, qu’il devait écrire son dernier livre, et poser un geste déterminant (voire, de son propre aveu, opportuniste) en devenant le premier à écrire un roman de confinement. « Je dis souvent que je l’ai écrit pour les mauvaises raisons, pour mon ego. Maintenant je trouve ça plus difficile d’écrire, parce qu’il n’y a plus cette urgence. »

Il est toutefois déjà lancé dans une nouvelle aventure d’écriture, dont la vérité sera encore le cœur battant.