Collections | Volume 7 | numéro spécial

Essai

Lieux pensées

Réfléchir le Québec et le monde

Les publications québécoises dans le champ de l’essai sont de plus en plus présentes sur le marché français, et européen par extension. Il suffit de penser aux succès de maisons d’édition telles que Lux ou Écosociété pour s’en convaincre. Leur dynamisme fait en sorte que de plus en plus d’auteurs anglo-saxons sont traduits au Québec et diffusés en Europe par des maisons québécoises.

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Mais l’activité éditoriale de la Belle Province est loin de se limiter à la qualité de ses acquisitions de droits éditoriaux. En effet, les éditeurs d’essais québécois sont désormais si nombreux, talentueux et imaginatifs qu’il devient hasardeux de tenter de définir une culture éditoriale qui serait propre au Québec.

Les sujets qui animent les auteurs sont aussi riches et variés que l’est l’époque, et il est aisé d’affirmer que toutes les curiosités trouvent satisfaction, d’une manière ou d’une autre, dans l’offre éditoriale. Voici un florilège que nous souhaitons le plus représentatif possible des différentes tendances à l’œuvre dans le marché de la non-fiction outre- Atlantique, qui va de la formation géologique du territoire aux plus récentes préoccupations de la sociologie postmoderne, en passant par les vedettes de catch et la Rome antique.

Suggestions de livres

La préhistoire du Québec. La grande épopée de nos origines

Patrick Couture

Si la majorité des livres qui racontent l’histoire du Québec se focalise sur l’arrivée des colons européens, en esquissant à grands traits l’histoire des peuples autochtones qui habitaient le territoire avant la colonisation, c’est que le récit des événements antérieurs souffre d’un manque de documentation flagrant. C’est ce à quoi entend remédier le linguiste et passionné d’histoire Patrick Couture avec La préhistoire du Québec. La grande épopée de nos origines, aux éditions Fides. En faisant le récit des quelques milliards d’années qui ont précédé l’arrivée des colons, peuplées de cataclysmes extraordinaires et de transformations radicales du territoire, l’auteur entend démontrer comment le relief de ce que nous nommons aujourd’hui Amérique s’est formé et comment les diverses formes de vie que nous y côtoyons ont évolué. C’est dans un esprit de vulgarisation, qui n’est pas dépourvu d’humour, que l’auteur relate la découverte des premières formes de vie microscopique, découvertes dans le Grand Nord, des premières traces d’homo sapiens dans ce que nous nommons aujourd’hui les Cantons-de-l’Est et tout un tas d’autres curiosités datant d’avant l’invention de l’écriture, qui sont trop peu connues du grand public.

Fides, coll. « Biblio », 2020, 394 p. Sodis 14 €

Histoire de la Rome antique. Une introduction

Pierre- Luc Brisson

Bien qu’il en soit au tout début de sa carrière, l’historien de l’Antiquité Pierre- Luc Brisson a su faire remarquer son talent par des instances aussi prestigieuses que l’École française de Rome, où il est chercheur affilié. Avec Histoire de la Rome antique. Une introduction, dont les droits pour l’Europe ont été achetés par les éditions Hermann, il démontre à la fois sa très grande érudition et une capacité de synthèse hors pair. Résumer une histoire aussi riche et vaste en 200 pages est un défi considérable, relevé avec brio ici, comme le souligne le grand historien Alexandre Grandazzi dans la préface qui ouvre l’ouvrage. Le livre se veut une sorte de précis historique à l’usage des étudiants en histoire, mais le texte est d’une telle fluidité et est rédigé avec une telle passion que le grand public y trouvera indubitablement son compte. Le livre a le mérite d’offrir à la fois un survol très complet des principaux événements de la civilisation romaine, tout en donnant un aperçu des grandes tendances contemporaines qui sont à l’œuvre dans les recherches actuelles sur le sujet.

Éditions Hermann, coll. « À propos », 2020, 214 p. Hachette Livre Distribution 25 €

Bande de colons. Une mauvaise conscience de classe

Alain Deneault

Philosophe, essayiste et polémiste parmi les plus influents de son époque, Alain Deneault poursuit son travail critique avec une rigueur et un souci de documentation inégalé. Dans Bande de colons. Une mauvaise conscience de classe, chez Lux éditeur, il revisite le mythe national canadien à la lumière des théories d’Albert Memmi et de Karl Marx, mais en y ajoutant son grain de sel. Au diptyque colonisateur / colonisé, il ajoute une variable, qui a toujours été là, en creux, mais trop peu mise de l’avant : le colon. À ce titre, pour lui, le Québécois n’est pas un colonisé, mais bien un colon, en ce qu’il sert de courroie de transmission au colonisateur dans l’exploitation du territoire. Deneault trace un portrait sombre du Canada, qu’il réduit à un ensemble de volontés colonisatrices issues de la soif de pécule de quelques oligarques, qui exploitent à la fois les ressources et les êtres sur le territoire. Il s’agit d’un essai exigeant, polémiste, mais terriblement éclairant pour quiconque a envie de sonder les questions identitaires.

Lux éditeur, coll. Lettres libres, 2020, 216 p. 21,95 $

L’empire invisible. Essai sur la métamorphose de l’Amérique

Mathieu Bélisle

La culture québécoise est marquée par ses questionnements identitaires, c’est-à-dire ce qui la démarque des autres. S’il est un trait de personnalité de la collectivité d’ici qui la distingue des autres nations de la francophonie, c’est bien son américanité. La proximité du Québec avec les États-Unis d’Amérique fait en sorte que le mode de vie québécois est beaucoup plus proche de celui des Américains que de celui des Français. Dans son passionnant essai L’empire invisible. Essai sur la métamorphose de l’Amérique, chez Leméac, le professeur de littérature Mathieu Bélisle propose une sorte de balade au cœur de la mythologie étasunienne avec cette particularité de le faire à partir d’un « moi » bien québécois. Ainsi, lorsqu’il démonte le mythe du déclin américain en démontrant en fait à quel point son soft power est plus influent que jamais, notamment grâce aux interfaces des GAFAM qui le propulsent, il le fait en se mettant lui-même en scène dans ses observations et ses réflexions. À ce chapitre, il y a un passage, à la fin de l’ouvrage, où le Québécois s’imagine un destin américain, comme s’il avait été un des descendants des tisserands de la Nouvelle-Angleterre du XIXe siècle, qui est particulièrement éclairant.

Leméac, coll. « Phares », 2020, 240 p. DNM 27,95 €

Anne Hébert. Vivre pour écrire

Marie-Andrée Lamontagne

Anne Hébert est la première écrivaine québécoise publiée dans une grande maison d’édition française à y avoir connu beaucoup de succès. Alors qu’elle passera l’essentiel de sa vie dans l’Hexagone, elle ne cessera d’écrire au sujet du Québec, comme s’il s’agissait de s’éloigner de chez soi pour en être au plus proche. C’est un peu la réalité que décrit la journaliste et écrivaine Marie-Andrée Lamontagne dans son essai biographique Anne Hébert. Vivre pour écrire, publié au Boréal. L’œuvre d’Hébert s’échelonne sur plus de cinquante ans et comporte parmi les plus belles pages de la littérature québécoise, mais l’autrice derrière tant de beauté constitue un mystère, tant elle s’est toujours montrée discrète sur sa vie personnelle. Voilà particulièrement ce à quoi s’attarde la biographe dans cet ouvrage exceptionnel, qui deviendra la pierre d’assise de la majorité des études qui seront consacrées à l’écrivaine dans les prochaines années. Plus qu’une biographie, c’est à une véritable enquête journalistique que nous avons affaire. Témoignages de proches, archives, correspondances inédites et documents personnels de l’autrice sont tour à tour convoqués afin de nous offrir un portrait comme il ne s’en est jamais fait de ce monument de la culture québécoise.

Boréal, 2019, 504 p. Interforum 27 €

Le géant Ferré. La huitième merveille du monde

Bertrand Hébert et Pat Laprade

D’une taille de 2,44 mètres, André Rossimoff, né en Seine-et-Marne, méritait bien le surnom de Géant Ferré, selon lequel le connaissent les Québécois. Personnage central de l’univers de la lutte professionnelle nord-américaine, il sera l’un des pionniers de la fondation de la WWF, la ligue professionnelle de catch aux États-Unis. Dans Le géant Ferré. La huitième merveille du monde, les historiens du sport Bertrand Hébert et Pat Laprade racontent le destin bref, mais intense de ce personnage hors norme. Atteint d’acromégalie, la maladie à l’origine de sa taille exceptionnelle, qui le mènera également à sa mort prématurée, il fera sa place dans la lutte, mais également sur les plateaux de tournage américains, mexicains et même japonais. Cette biographie exhaustive a bénéficié des témoignages de ses proches, mais ne fait pas l’impasse sur les côtés sombres du personnage pour autant. En effet, si l’on y célèbre ses exploits dans le domaine du sport et du spectacle, on fait également état de sa relation difficile avec sa fille ou de ses rapports parfois tendus avec les autres.

Hurtubise, 2020, 600 p. DNM 35 €

Les Acadiens louisianais et leur parler

Jay K. Ditchy

Nommée en l’honneur du roi Louis XIV, la Louisiane fut, en son temps, un territoire francophone faisant partie de la Nouvelle- France. Quelques siècles plus tard, il ne reste guère que quelques poches de résistance où l’on parle encore français, un phénomène quasi unique au pays de l’Oncle Sam. Le français qu’on y parle est le résultat d’une évolution insulaire et des multiples métissages subis au fil de sa relation avec l’anglais prédominant dans la région. Originalement paru en 1932, Les Acadiens louisianais et leur parler, sous la direction de Jay K. Ditchy, est une référence incontournable pour quiconque s’intéresse à l’histoire et à la culture des Cajuns du sud des États-Unis. Les éditions Lux en sont à la seconde édition de ce livre qui raconte l’histoire de ce peuple, dont le récit tragique de leur déportation, et qui propose un bref survol du folklore louisianais. Ce qui rend cet ouvrage si populaire depuis près d’un siècle est indubitablement son glossaire où sont répertoriées les expressions les plus pittoresques de cette langue créolisée.

Lux éditeur, 2020, 280 p. Harmonia Mundi Livre 18 €

La crise d’octobre. 50 ans après

Jules Falardeau

La fin des années 1960 a été marquée par de nombreuses révolutions sociales un peu partout en Occident. La France a connu son mai 68 et, au Québec, c’est le mois d’octobre 1970 qui est marqué au fer rouge dans la mémoire collective. Cinquante ans après les derniers attentats attribués au Front de libération du Québec (FLQ), les enlèvements du ministre Pierre Laporte et de l’attaché commercial James Cross et la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre, l’écrivain et cinéaste Jules Falardeau jette un regard neuf sur les événements. Dans La crise d’octobre. 50 ans après, aux éditions du Journal de Montréal, il donne la parole à différents intervenants de première main dans le conflit. Ce sont à la fois des policiers, des politiciens, des journalistes, des felquistes et certains de leurs sympathisants qui viennent raconter leur version d’Octobre. L’ouvrage est destiné au grand public et a été salué par de nombreux journalistes pour ses qualités de synthèse et pour l’éclairage très précis qu’il apporte. Le livre a aussi le mérite de raconter l’après-crise, où l’on voit ce qui est advenu de ses principaux acteurs après les procès, notamment en ce qui a trait à l’exil de certains felquistes et les combats pour la justice sociale qu’ils ont menés, de manière pacifique, au cours des décennies qui ont suivi.

Éditions du Journal, 2020, 256 p. DNM 31,30 €

Pandémie. Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus

Sonia Shah

L’année 2020 aura été marquée par un événement mondial sans pareil : la pandémie liée à la COVID-19. Si certains se sont étonnés de l’ampleur de la catastrophe et de la rapidité avec laquelle le virus s’est propagé sur la planète, pour la journaliste scientifique Sonia Shah, cela n’aurait pas dû être une surprise, tant les épidémiologistes prévoyaient depuis longtemps qu’un virus, ou une bactérie, engendrerait, tôt ou tard, une pandémie planétaire. Pour relater ces faits, les éditions Écosociété publient Pandémie. Traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus, une enquête journalistique exhaustive, qui se lit comme un roman policier. Elle propose de tirer des leçons des pandémies du passé afin de mieux se prémunir de celles à venir. Celle qui a déjà écrit un essai sur la malaria explique, avec moult détails, comment une pandémie comme celle que nous connaissons actuellement est le résultat cruel, mais inévitable de notre mode de vie. Bien que traumatisant à maints égards, le livre prêche tout de même un certain optimisme en ce qu’il suggère un ensemble de pistes de solutions qui ont le potentiel de nous permettre de mieux gérer, à l’avenir, les inévitables épidémies, qui feront toujours partie de la nature humaine.

Écosociété, 2020, 328 p. Harmonia Mundi Livre 20 €

Danger d’extinction. Changements climatiques et menace nucléaire

Noam Chomsky

Noam Chomsky est sans conteste l’un des intellectuels les plus importants de notre époque. À la fois linguiste de haut niveau et activiste anarcho-syndicaliste, ses contributions à l’avancée de la pensée et son influence sont immenses. Dans son plus récent essai Danger d’extinction. Changements climatiques et menace nucléaire, dont la traduction française est proposée par Écosociété, il explique avec la rigueur et l’extrême clarté que ses lecteurs lui connaissent quels sont les principaux défis auxquels fait face l’humanité. Selon lui, la propension de l’humanité à s’autodétruire se manifeste selon deux axes fondamentaux : la prolifération des armes capable de détruire la vie sur terre et l’anthropocène. Dans la mesure où, selon son analyse, les États cèdent leur pouvoir à des conglomérats privés à un rythme accéléré, il faut d’urgence signer des traités internationaux qui baliseront à la fois l’émission de carbone dans l’atmosphère et la multiplication débridée de l’armement. Convaincu que les dirigeants sont largement inféodés aux entreprises qui sont en cause dans les deux catastrophes imminentes, il en appelle à une mobilisation populaire globalisée et sans précédent.

Écosociété, 2020, 120 p. Harmonia Mundi Livre 12 €

J’ai peur des hommes

Vivek Shraya

Les problématiques liées aux questions de genre et de l’identité sexuelle font lentement leur place dans le panorama de l’édition. Les Éditions du remue-ménage, maison engagée dans les luttes féministes et intersectionnelles depuis 1976, sont un endroit privilégié pour prendre la parole sur ces enjeux. L’autrice canadienne d’origine indienne Vivek Shraya témoigne des difficultés auxquelles elle a dû faire face, dans sa condition de femme trans, tant dans sa jeunesse qu’une fois devenue adulte. J’ai peur des hommes interroge les questions de la masculinité et de la virilité au regard du désir qu’une femme transsexuelle a pour eux, ce qui force une redéfinition des paradigmes canoniques. Il s’agit d’un essai en forme de brûlot, écrit de manière franche et lucide, où sont mises en perspectives les questions de masculinité toxique, de transphobie, de misogynie et d’homophobie.

Éditions du remue-ménage, 2020, 120 p. Hobo Diffusion / Makassar 13 €

Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité

Gabrielle Richard

Dans les dernières années, un discours prend de plus en plus de place dans les départements de sociologie et fait lentement sa marque dans l’édition : celui de l’intersectionnalité. Cette approche favorise l’étude des régimes oppressifs que subissent les minorités (ethniques, de genre, de classe sociale, etc.) par les plus privilégiés d’une société. Les Éditions du remue-ménage constituent un lieu de diffusion particulièrement dynamique dans la diffusion de ces théories. L’essai Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité, par la sociologue Gabrielle Richard en est une vibrante illustration. L’auteure insiste sur le fait que, selon elle, dès qu’il y a sexualité, il y a rapports de force. Le début de l’activité sexuelle chez l’adolescent est donc une occasion à saisir pour leur montrer différents modèles de sexualité situés en dehors du spectre de l’hétérosexualité, ce à quoi l’école actuelle échoue, à son avis. Elle s’attarde à démontrer comment les systèmes scolaires québécois et français tendent à entretenir des stéréotypes qui perpétuent la stigmatisation et la marginalisation des tendances alternatives, ce qui mène, selon sa logique, à une forme de violence et d’oppression. Elle présente quelques pistes de réflexion pour rendre l’école de demain plus inclusive et positive à l’égard des sujets moins hétéronormés. Il s’agit d’un essai engagé et polémique qui s’appuie sur des observations du milieu scolaire qui sont bien documentées.

Éditions du remue-ménage, 2019, 168 p. 18,95 $