Un monde diversifié
on m’appelle monsieur diversité
« Agis dans ton lieu, pense avec le monde ! »
– Édouard Glissant
On m’appelle Monsieur Diversité. J’ai beaucoup parlé de diversité dans ma vie d’écrivain, d’éditeur et d’activiste littéraire. J’ai fondé Mémoire d’encrier en 2003 avec une vision qui entend rassembler les imaginaires du monde. Le mot qui exprimait le mieux mes préoccupations à l’époque était diversité.
La vérité est que je cherchais ma place, un sens à mes mots, à mes gestes et à mes écrits dans la société québécoise. Il m’a fallu des mots et des histoires pour inscrire ma mémoire et mon monde sous la forêt d’érables et de peupliers.
Le mot diversité est pour moi un casse-tête. On me presse d’expliquer et/ou de repenser la vision, qui semble se prêter à toutes les sauces.
Une amie que je suis en train d’éditer vient de m’apprendre qu’elle n’aime pas du tout cette expression fourre-tout. La romancière que j’invite pour lancer son livre à l’Espace de la diversité au Salon du livre de Québec me prend par les bras pour me dire gentiment : « Être ici dans cet espace est une preuve d’amour pour toi. Car ce mot diversité, je le déteste vraiment. »
Je me fais souvent aimer ou engueuler avec ce mot diversité, qui dit à la fois la chose et son contraire. Invité à prononcer le discours inaugural à un colloque sur la poésie contemporaine à l’UQAM, un écrivain appelait ça effet diversité. J’aurais pu évoquer des dizaines de cas et de malentendus du genre. Alors que j’écris ces mots, une amie autochtone m’appelle pour me dire qu’elle ne veut pas être associée à la diversité.
Je suis confus et fais face à ces mémoires, identités et révoltes qui me questionnent et me demandent de m’expliquer.
Quel nom et quel sens donner au mot diversité ?
C’est la question que je me pose tous les jours, avec une pensée inquiète.
Comment réparer la violence coloniale ?
Comment donner une patrie aux humiliés ?
Comment prendre parti et être utile, en refusant de reproduire le système ?
Comment entrer par/avec la littérature des humains longtemps privés de leur dignité dans le cercle de l’humanité ?
Comment combattre le racisme et l’exclusion ?
Comment rêver et agir pour un monde plus juste ?
Comment refuser le patriarcat, le colonial, la servitude et le mépris ?
Comment penser un espace littéraire plus inclusif et plus ouvert aux imaginaires du monde ?
Comment donner voix et corps à d’autres narratifs pour pouvoir écrire et accueillir d’autres histoires, d’autres images et d’autres formes ?
Comment produire de l’altérité, de la solidarité et de la justice sociale, en créant ce en-commun qui fonde toute société ?
Peut-être que tout ce que je viens de dire là constitue le sens même de la diversité : une suite de questions quant à notre présence au monde, au désir de faire foule afin d’éviter l’entre-soi et toute mentalité pure-laine-tricotée-serré. Une manière de vivre ensemble, d’apaiser les mémoires et de rechercher en nous nos humanités multiples.
Une manière d’être ensemble, dans la pluralité des pratiques et actions.
Oubliez le mot diversité. Tout le désaccord vient de là. Ne définissez rien. Vivez plutôt dans un monde diversifié. Sachez que le monde frappe à nos portes. Reprenons la parole d’Édouard Glissant, pour refonder nos relations avec les autres : « Agis dans ton lieu, pense avec le monde. »
Rodney Saint-Éloi
Auteur, éditeur et directeur général de la maison d’édition Mémoire d’encrier
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