Collections | Volume 8 | numéro 4

Essai

Pour le vivre-ensemble

La nécessité de réfléchir à la diversité

Nicholas Giguère

Autrefois très hétérocentré et axé sur les œuvres écrites par des hommes blancs cisgenres, le milieu de l’édition en général s’ouvre de plus en plus à la diversité. En témoignent des initiatives essentielles comme la librairie Racines, située dans le quartier Rosemont à Montréal, la présence accrue de personnes issues de la diversité qui occupent des postes clés dans le secteur du livre, ou encore les nombreuses publications de maisons d’édition qui contribuent, depuis leur fondation, à la diversité culturelle et littéraire : pensons à Mémoire d’encrier et à Lux éditeur.

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« Depuis les tout débuts de l’entreprise, confie Mark Fortier, l’un des éditeurs chez Lux éditeur, mes collègues et moi avons le souci de publier des livres qui promeuvent des valeurs qui nous tiennent à cœur, comme l’égalité et la justice sociale. C’est ce qui nous a amenés à accorder une tribune aux oubliés de l’histoire et à nous intéresser de près à des sujets tels que l’immigration, le colonialisme, les violences sociales, la diversité. Cette dernière, chez Lux éditeur, est organique, naturelle ; elle va de soi. »

Si Lux éditeur fait beaucoup pour la diversité, force est de reconnaître que plusieurs autres maisons lancent désormais des titres qui s’inscrivent dans ce créneau. Quelles sont ces publications ? Qu’apportent-elles à cette question de société ? Cet article présente onze essais majeurs qui remettent en question les principes de la pensée unique et de la culture monolithique.

Suggestions de livres

L’étrange étranger. Écrits d’un anarchiste kabyle

Mohamed Saïl

On se souvient peu de Mohamed Saïl. Militant communiste né en Kabylie, une région située au nord de l’Algérie, il est très vite remarqué pour ses prises de position farouchement anticolonialistes. En effet, il dénonce les conséquences désastreuses de l’impérialisme français sur l’économie et la culture de l’Algérie, de même que sur le climat sociopolitique du pays, gangrené par le racisme. En outre, il critique vertement les conditions de travail de ses compatriotes dans une série de six articles intitulée « Le calvaire des travailleurs nord-africains ». Heureusement, les lecteurs et lectrices ont maintenant accès à ces textes et à bien d’autres que Saïl a fait paraître au cours de sa carrière, puisqu’ils ont été colligés par Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal. L’étrange étranger. Écrits d’un anarchiste kabyle réunit une trentaine de contributions que le syndicaliste et anarchiste a rédigées entre 1924 et 1951. Ces brûlots n’ont pas pris une ride ; au contraire, ils trouvent écho dans plusieurs mouvements contestataires de l’heure, dont Black Lives Matter.

Lux éditeur, coll. « Instinct de liberté », 2020, 176 p. 16,95 $

Colonialité et ruptures. Écrits sur les figures juives arabes.

Joëlle Marelli et Tal Dor

Quiconque s’intéresse un tant soit peu aux études postcoloniales risque tôt ou tard d’être initié aux écrits d’Ella Shohat, professeure en études culturelles à la New York University. Selon les termes de la chercheuse, elle explore « [d]es sortes de récits et perspectives transfrontalières au moyen de ce que l’on peut appeler des “lectures diasporiques” ». Privilégiant une approche interdisciplinaire, Shohat décloisonne les champs d’études dans ses travaux et établit des liens entre des objets de recherche que tout, a priori, oppose. Ainsi, elle montre l’existence de similitudes entre l’histoire du Moyen-Orient et celle des Amériques. Pour le plus grand bonheur des spécialistes et des néophytes, Lux éditeur a eu l’excellente idée de réunir quatre études fondatrices de Shohat dans un livre intitulé Colonialité et ruptures. Écrits sur les figures juives arabes. Sélectionnés et présentés par Joëlle Marelli et Tal Dor, ces textes ont joué un rôle majeur dans l’émergence et la consolidation des études juives arabes. Il ne reste plus qu’à espérer que ce champ, grâce au travail de la maison, soit davantage reconnu.

Lux éditeur, coll. « Humanités », 2021, 312 p. 34,95 $

La pensée blanche

Lilian Thuram

Réfléchir à la problématique du racisme et à la place de la diversité culturelle dans la société contemporaine ne peut se faire sans l’apport de Lilian Thuram, qui présente ses réflexions sur ces questions dans son ouvrage fondateur La pensée blanche. Pour l’essayiste, la pensée blanche est l’incarnation même de la notion de privilège : elle se présente comme une catégorie impensée, innommée ; comme un système qui a « construit un discours plaçant les Blancs au sommet de la “hiérarchie humaine” ». Elle devient ainsi la norme en fonction de laquelle toutes les autres communautés ethniques sont définies, pensées et hiérarchisées. Après une partie historique très documentée, dans laquelle l’auteur revient sur les différentes phases de développement de cette pensée réductrice (de l’Antiquité au mouvement de décolonisation, en passant par la traite des esclaves), Thuram adopte un ton revendicateur dans les sections suivantes, où il définit le racisme systémique et résume les objectifs de la pensée blanche : défendre le territoire, contrôler et discriminer. Un livre essentiel comme une belle leçon d’humilité.

Mémoire d’encrier, 2020, 320 p. 29,95 $

Une arme blanche. La mort de George Floyd et les usages de l’histoire dans le discours néoconservateur

Jean-Pierre Le Glaunec

Spécialiste de l’histoire de l’esclavage dans le sud des États-Unis et dans les Antilles, Jean-Pierre Le Glaunec, professeur au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke, signe, avec Une arme blanche. La mort de George Floyd et les usages de l’histoire dans le discours néoconservateur, un essai pamphlétaire d’une rare virulence. Prenant pour point de départ les six chroniques polémiques qu’a fait paraître Christian Rioux au lendemain du décès de Floyd, Le Glaunec élargit son champ d’analyse à d’autres penseurs associés à la droite politique, dont Mathieu Bock-Côté et Alain Finkielkraut. Pour le chercheur, ces néoconservateurs, en plus de rester indifférents face à la mort de Floyd, instrumentalisent cet événement tragique. Pire encore, ils l’utilisent afin de véhiculer leurs idées politiques bien arrêtées et de délégitimer ceux qu’ils appellent « les gauchistes », « les multiculturalistes », « les racialistes » ; en un mot, les forces progressistes de la société. Tout en passant au crible les discours de Rioux et consort, Le Glaunec démontre qu’il est plus que néfaste de s’approprier la vérité historique.

Lux éditeur, coll. « Lettres libres », 2020, 144 p. 19,95 $

Auassat. À la recherche des enfants disparus

Anne Panasuk

Les pensionnats, où les jeunes Autochtones ont été systématiquement discriminés et réprimés, ont été le théâtre d’abominations sans nom. Anne Panasuk, journaliste pendant plus de trente-huit ans à la télévision de Radio-Canada, ajoute un autre chapitre douloureux à cette histoire déjà bien sombre avec Auassat. À la recherche des enfants disparus : des enfants autochtones ont été arrachés de leur famille, puis envoyés à l’hôpital. Certains sont décédés ; d’autres ont été adoptés ; d’autres, encore, sont disparus. Or, des parents espèrent toujours des réponses… Panasuk est allée à la rencontre des membres de ces familles endeuillées, qui se livrent dans des entretiens poignants, reproduits fidèlement dans l’ouvrage. Au fil de son enquête, l’autrice, aujourd’hui conseillère du ministre responsable des Affaires autochtones, a découvert que plusieurs membres des Oblats de Marie-Immaculée sont responsables de crimes odieux commis au sein de communautés autochtones. Livre nécessaire, ne serait-ce que parce qu’il ne faut plus dissimuler les pans honteux de l’histoire canadienne, Auassat. À la recherche des enfants disparus est, espérons-le, la première étape menant à une réconciliation.

Édito, 2021, 288 p. 24,95 $

Vivre la diversité. Pour en finir avec le clivage eux/nous

Shakil Choudhury

À l’ère de la résurgence du nationalisme blanc, de la prolifération des commentaires haineux sur les réseaux sociaux et de la montée du racisme décomplexé, comment est-il possible pour les humains de vivre ensemble ? C’est l’un des questionnements qui traverse l’essai Vivre la diversité. Pour en finir avec le clivage eux/nous, de Shakil Choudhury. Alternant entre vécu autobiographique, expériences de terrain concrètes – rappelons que l’auteur est conseiller en diversité et en inclusion pour plusieurs organismes – et réflexions théoriques, judicieusement présentées dans des encarts, ce guide propose des outils pratiques pour réconcilier les différences identitaires et surmonter le racisme : prendre conscience de ses privilèges en tant que Blanc ; déceler ses propres biais ; privilégier l’empathie et l’autoéducation à la confrontation. L’ouvrage, à la fois très personnel et érudit, est également remarquable pour sa dénonciation du racisme systémique, particulièrement persistant et intrinsèquement lié aux institutions qui régissent la vie sociale, dont les systèmes de justice, de santé et d’éducation.

Mémoire d’encrier, coll. « Vivre », 2019, 296 p. 22,95 $

Comment devenir antiraciste

Ibram X. Kendi

Alliant aussi démarche introspective et analyse de faits, Comment devenir antiraciste, de l’historien et professeur Ibram X. Kendi, est encore plus radical. Dans ce titre, le fondateur du Centre de recherches antiracistes de l’Université de Boston juxtapose l’examen de sa trajectoire personnelle à l’analyse des faits historiques et des bouleversements qui ont marqué la société américaine au cours des quarante dernières années. Cette double perspective originale amène le penseur à livrer des constats troublants. À titre d’exemple, le racisme systémique, pour Kendi, revient à une forme de négation de pensées et de propos foncièrement racistes. Dans le même ordre d’idées, il n’y a pas de compromis ou d’entre-deux possibles pour l’historien : on est soit raciste, soit antiraciste. Ainsi, « [s]ur la question du racisme, la neutralité n’est pas une option : tant que nous ne nous impliquons pas dans la solution, nous faisons inéluctablement partie du problème ». Et c’est justement ce que ce livre courageux et audacieux est : une invitation à agir.

Les Éditions de l’Homme, 2021, 416 p. 36,95 $

Les Juifs hassidiques de Montréal

Pierre Anctil et Ira Robinson

Paru dans la collection « Pluralismes » des Presses de l’Université de Montréal, qui « propose un espace de prise de parole multidimensionnelle et interdisciplinaire », comme l’indique le site web de la maison d’édition, le collectif Les Juifs hassidiques de Montréal réunit dix universitaires qui analysent, dans des contributions variées et rigoureuses, les multiples enjeux liés à la présence juive au sein de la métropole. Publié sous la direction de Pierre Anctil et d’Ira Robinson, tous deux professeurs et spécialistes des questions juives, l’ouvrage dresse un portrait d’ensemble de cette population et déboulonne bon nombre d’idées reçues, notamment celle de l’homogénéité parfaite de la communauté juive hassidique de Montréal. Les collaborateurs n’hésitent pas non plus à se pencher sur des sujets plus controversés, comme la scolarisation des jeunes Hassidim ainsi que les rapports – parfois conflictuels – entre les Juifs hassidiques et le reste de la population. Sérieuses, basées sur des données récentes, les études qui composent ce volume constituent les fondements d’une sociologie des communautés hassidiques de la province.

Les Presses de l’Université de Montréal, coll. « Pluralismes », 2019, 208 p. 34,95 $

Prendre goût à  la diversité culturelle. S’outiller pour mieux la savourer

Qu’est-ce que la diversité culturelle ? Sur quels concepts et préceptes repose-t-elle ? Quels enjeux sociaux, politiques et économiques soulève-t-elle ? Voilà autant de questions auxquelles l’ouvrage Prendre goût à  la diversité culturelle. S’outiller pour mieux la savourer apporte des réponses d’une limpidité imparable. Conçu par des personnes travaillant pour l’organisme Option-travail, un centre-conseil en emploi et en développement de carrière qui œuvre notamment auprès de gens issus de l’immigration, ce guide aborde des sujets tels que les causes multiples de l’immigration ainsi que les obstacles linguistiques et culturels à l’intégration à une société donnée. Surtout, il débouche sur une réflexion cruciale sur la communication en contexte interculturel et regorge d’outils qui permettent de faire respecter la diversité culturelle dans une foule de milieux, de l’établissement scolaire à l’entreprise. Agrémenté de schémas, de questionnaires et d’exercices, Prendre goût à la diversité culturelle s’impose comme une référence sur le sujet.

Septembre éditeur, 2019, 122 p. 29,95 $

Philosophie du hip-hop. Des origines à Lauryn Hill

Jérémie McEwen

Quels liens peut-on établir entre les chansons du rappeur Biggie Smalls et la philosophie épicurienne ? Ou encore entre l’œuvre de Tupac Shakur et celle de Nicolas Machiavel ? C’est ce qu’explique avec brio Jérémie McEwen dans Philosophie du hip-hop. Des origines à Lauryn Hill, un essai dans lequel il réunit deux des passions qui l’animent depuis sa prime adolescence : le hip-hop et la philosophie. L’un des apports majeurs de l’auteur, qui enseigne aussi la philosophie au Collège Montmorency et a signé plusieurs articles dans Liberté et Nouveau Projet, est de faire dialoguer ces deux champs d’intérêt, ces deux disciplines, que tout semble séparer. Il invoque les grands noms de la philosophie occidentale pour expliquer et décortiquer des textes de chansons hip-hop de même que d’autres manifestations culturelles. Ce faisant, McEwen révèle la richesse de la culture hip-hop, qu’on ne saurait désormais plus assimiler à la violence et à l’hypersexualisation, et vulgarise des pensées, des courants philosophiques majeurs. Une bibliographie exhaustive clôt ce livre incontournable pour les études sur le hip-hop dans l’espace francophone.

XYZ, coll. « Essai », 280 p. 24,95 $

De l’exclusion à la  solidarité. Regards intersectionnels sur les  médias

Alexandre Barbeau et Stéphanie Defoy-Robitaille

Notion majeure des sciences humaines et sociales contemporaines, l’intersectionnalité, qui permet d’analyser les différentes formes de domination et de discrimination que vivent les membres d’une communauté en raison de leur identité sexuelle et de genre, de leur âge, de leur classe sociale, de leur ethnie, etc., est au cœur du recueil de textes De l’exclusion à la  solidarité. Regards intersectionnels sur les  médias. Les universitaires qui ont participé à ce volume mobilisent cette approche théorique pour analyser les représentations des femmes musulmanes, des trans, des membres des Premières Nations et des personnes sourdes, pour ne nommer que ces cas, dans les médias grand public. Leurs constats sont souvent navrants : silence radio, omissions flagrantes, propos stéréotypés, racisme et xénophobie à peine voilés. Ainsi, Alexandre Barbeau et Stéphanie Defoy-Robitaille montrent que des téléséries comme Mirador et Scandal promeuvent une seule identité (ou presque) : blanche, cisgenre et hétéronormative. Fouillées, les études rassemblées dans cet ouvrage sont autant d’invitations à passer à l’action, c’est-à-dire à mieux représenter les communautés marginalisées dans les médias de masse.

Éditions du remue-ménage, 2020, 312 p. 27,95 $