Collections | Volume 8 | numéro 4

Littérature

Déjouer le repli

Josianne Létourneau

Depuis sa naissance, que l’on situe aux alentours de 1608, la littérature québécoise a vécu, à travers quatre siècles, une transformation spectaculaire. Rappelons-nous que le XVIIe siècle nous a surtout laissé une activité littéraire centrée sur la transmission d’informations. Aucune place pour la fiction, encore moins pour la création. Et que dire de l’image reflétée, à travers ces textes, de tout ce qui n’appartenait pas à l’Europe. Rien de ce qui existait avant l’arrivée des Européens sur ce territoire ne semblait digne d’être raconté.

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Faisons maintenant un bond de 345 ans. De ces débuts relationnels à l’emblématique Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. Enfin, la littérature tournait son attention sur le destin d’une jeune femme seule, ordinaire et peu fortunée du quartier Saint-Henri. Enfin, une écrivaine prenait le risque de croire que les tribulations d’une serveuse de 19 ans en pleine Deuxième Guerre mondiale méritaient d’être lues. Que la littérature pouvait parler de personnes dont la vie est une lutte quotidienne. Et qu’elles-mêmes s’y reconnaîtraient.

Mais depuis 1945, les visages qui composent notre entourage ont changé et notre société ne cesse de se transformer. La diversité culturelle au cœur de notre littérature n’est pas un simple appel au voyage ou à la découverte de l’Autre : elle raconte nos écueils collectifs et cherche à refléter davantage les réalités de tous ceux qui en font partie. Les livres proposés dans cette section vous invi-tent à déjouer le repli et à découvrir un Québec que seules ces voix peuvent raconter.

Suggestions de livres

Une nuit d’amour à Iqaluit

FELICIA MIHALI

Si le titre Une nuit d’amour à Iqaluit laisse présager une histoire tissée de tendres sentiments, l’autrice FELICIA MIHALI livre avec ce onzième roman une fiction qui relate davantage qu’une simple histoire d’amour. On y retrouve avec grand plaisir Irina, protagoniste de La bien-aimée de Kandahar qui, à l’aube de la longue nuit polaire, enseigne le français à l’Aurore Boréale, une école francophone de la capitale du Nunavut. Un contrat qui la dépaysera bien au-delà des inévitables notions de climat et de géographie nordique. Par le biais des apprivoisements, tant amoureux que professionnels, Felicia Mihali nous introduit habilement au cœur d’une communauté où les relations durables sont parfois compliquées et difficiles à construire. Irina sortira une fois pour toutes de sa zone de confort.

Éditions Hashtag, 2021, 392 p. 26 $

Un océan de minutes

THEA LIM

Finaliste au Prix Giller en 2018, Un océan de minutes, premier roman de l’écrivaine canadienne d’origine singapourienne THEA LIM, propose une étonnante mouture de la classique histoire d’épidémie. Alors que son amoureux Frank est infecté par un virus grippal mortel dont le traitement coûteux ne permet qu’aux fortunés de survivre, Polly Nader accepte de prendre part à un voyage temporel mis au point par la compagnie TimeRaiser. Mais si le contrat proposé par cette mystérieuse compagnie lui assure les soins qui sauveront la vie de Frank, il lui coûte d’être catapulté du Houston de 1981 au Galveston de 1993. De plus, Polly n’a aucune certitude que le voyage se passe comme prévu. De la première à la dernière page, l’autrice Thea Lim déploie une trame transcendante qui fait valoir la force unique des liens qui survivent au-delà de la servitude, des épreuves inattendues et du temps.

XYZ, 2021, 376 p. 27,95 $

Le jour se lèvera

GABRIEL OSSON

Tout commence avec Henri, ce fils de fonctionnaire ayant travaillé sous la dictature de François Duvalier. Étudiant à Barcelone, grand admi-rateur de Che Guevara, le jeune Henri s’installe à New York, dans un confort familial qui ne l’empêche pas de mesurer l’ampleur du combat mené par les Noirs américains contre la ségrégation : « Même bien nantie, une peau noire restait une peau noire aux États-Unis, tout comme une peau mulâtre en Haïti, avec tout ce que cela comportait de discrimination, de racisme et de haine. » Inspiré par leur lutte, Henri s’engage dans le mouvement Jeune Haïti, une opération de guérilla qui les transportera de Miami à Haïti. Avec Le jour se lèvera, l’écrivain GABRIEL OSSON s’inspire de faits réels pour graver dans l’Histoire les treize inoubliables et courageux haïtiens qui ont tout fait, au prix de leurs vies, pour renverser Papa Doc.

Éditions David, Coll. « Indociles », 2020, 208 p. 23,95 $

Viral

MAURICIO SEGURA

Roman polyphonique, Viral ne perd pas de temps lorsqu’il s’agit de nous plonger dans le tourbillon d’un simple partage sur les médias sociaux. Lola, une jeune journaliste culinaire ambitieuse, filme dans un autobus bondé du quartier Côte-des-Neiges une altercation qui suscitera une multitude de réactions inattendues. L’écrivain MAURICIO SEGURA utilise habilement la multiplicité des points de vue pour traiter, avec un éventail intéressant de nuances, des épineuses questions de différences culturelles, de xénophobie et de racisme. Une lecture qui nous fait constater, à l’instar de Lola, que nous habitons peut-être « une société qui n’aime recevoir que des fleurs [...] Mais bon, […], quelle société aime recevoir un pot sur la tête ? »

Boréal, Coll. « Boréal compact », 2021, 306 p. 14,95 $

On meurt d’amour, doucement

FRANCINE MINGUEZ

Échappant de justesse au double patronyme floral que lui destinait sa famille, la chanteuse Daniela Flores s’installe au Québec avec son amoureux Roberto. Mais fuir le coup d’état de son Chili natal ne lui garantit pas la quiétude… Et dans la relative sécurité de son pays d’adoption, Daniela vivra un traumatisme personnel qu’elle aura du mal à surmonter... Second livre de FRANCINE MINGUEZ, On meurt d’amour, doucement tisse le récit d’une vie construite entre celui qui deviendra son ex-mari, son fils Francisco et la création littéraire dans une langue qui n’est pas encore sienne : « Voyager par procuration. Et s’en aller loin, dans une contrée sans nom, sans me poser de questions sur le pays auquel j’appartiens. » À travers son personnage, Francine Minguez glisse du présent à la nostalgie sans jamais perdre de vue cet amour de l’écriture qui lui permet de respirer entre chaque plongée.

L’instant même, 2021, 122 p. 18,95 $

Dans le ventre du Congo

BLAISE NDALA

Finaliste du Prix Ivoire pour la littérature africaine d’expression française 2021 et faisant partie de la Première sélection du Grand Prix du Roman Métis 2021, Dans le ventre du Congo, troisième roman de l’écrivain d’origine congolaise BLAISE NDALA, a su se faire remarquer autant du lectorat européen que québécois. Après le foudroyant Sans capote ni kalachnikov, l’auteur poursuit la construction d’une œuvre qui s’inscrit autant dans l’actualité du questionnement sur l’impact des colonialismes que dans une littérature de la mémoire. Ainsi, Dans le ventre du Congo nous introduit auprès de la sublime et sage princesse Tshala Nyota Moelo, de sa naissance au cœur de l’une des plus prestigieuses monarchies du Congo précolonial à sa présence dans l’odieuse mascarade du « village congolais » construit de toutes pièces pour l’Exposition universelle et internationale de Bruxelles de 1958. Entre ces deux événements, c’est le charme de l’écriture élégante de Blaise Ndala qui agit, nous racontant les amitiés, les amours et l’impact indéniable de la princesse Tshala dans la vie des êtres croisés sur sa route.

Mémoire d’encrier, 2021, 268 p. 29,95 $

Ma mère noire

FRANÇOIS COUTURE

Lorsque Lucas rencontre Adanna sur les bancs d’une université, il n’a encore aucune idée des difficultés qui attendent leur relation. Car la profondeur et l’intensité de l’amour qui unira les deux êtres ne suffiront pas à séduire, à son tour, tous les membres de leur entourage. Premier roman de FRANÇOIS COUTURE, Ma mère noire raconte les débuts de ce couple formé d’un homme blanc et d’une femme noire et de leur passion indéniable qui se heurte, dans l’Ontario des années 1980, à des regards et des paroles parfois violentes. Mais qu’est-ce que la violence de l’extérieur, celle des étrangers, face à celle qui surgit inexplicablement de sa propre famille. Dans ce roman, où il nous semble de prime abord facile d’en identifier la source, François Couture cherche à comprendre les véritables racines du mal qui pousse une mère à ternir le bonheur de ses enfants.

La Plume D’or, 2021, 198 p. 21,95 $

Les Enragé.e.s

VALÉRIE BAH

D’une puissance et d’une force littéraire qui ne font aucun compromis, les courts récits qui donnent voix aux personnages du recueil Les Enragé.e.s de l’autrice et directrice photo VALÉRIE BAH résonnent comme un point d’orgue sur la dernière note d’une composition. Par le biais trouble des collages qu’une jeune fille réalise avec les livres qu’elle vole à la bibliothèque de son école, des singulières sculptures de cire que Marie dévoile à Daphné ou de la violence subie par tous ces personnages, Valérie Bah interpelle le mépris collectif et l’indifférence qui, trop souvent, étouffent la rage ressentie devant les sournoises hypocrisies de nos milieux : « Elle sait qu’au fond de chaque scénario institutionnel de ce pays se trouve un miasme de discrimination. »

Éditions du remue-ménage, Coll. « Martiales », 2021, 216 p. 21,95 $

Nous sommes un continent. Correspondance mestiza

NICHOLAS DAWSON et KARINE ROSSO

Lire une correspondance nous place au cœur d’un échange et d’un processus intellectuel qui implique autant les vertus de l’amitié que celles qui émergent d’une recherche commune. Dans les mots de Karine Rosso : « Échanger sous forme de lettres construit aussi “this bridge we call home”, car la correspondance suppose une interrelation ou, comme le dirait [Gloria] Anzaldua, une interconnexion entre les êtres. » Paru sous le titre Nous sommes un continent. Correspondance mestiza, les lettres croisées de NICHOLAS DAWSON et KARINE ROSSO abordent l’existence de ce « récit diasporique qui habite la littérature québécoise » et nous invite, avec rigueur et passion, à en prendre acte. À l’instar des auteurs et autrices cités tels que Gloria Escomel, Flavia Garcia, Sergio Kokis et Mauricio Segura, l’œuvre mouvante de Karine Rosso et Nicholas Dawson nous appelle à reconnaître la contribution de la culture latino-américaine dans la construction de notre imaginaire.

Triptyque, Coll., Difforme, 2021, 198 p. 25,95 $

Vignettes africaines

MARIE-CLAUDE HANSENNE

Après avoir abordé, dans son premier roman, le thème de la construction identitaire à travers une réalité d’immigrante, MARIE-CLAUDE HANSENNE approfondit dans Vignettes africaines celui des souvenirs d’enfance. Dans une forme davantage autofictionnelle, l’autrice raconte l’enfance de Mathilde, fille d’un administrateur belge envoyé au Congo après la Seconde Guerre mondiale. Et dans cette maison où les parents « vaquaient l’un à un travail harassant, l’autre à ses propres soins et à une vie mondaine avec la poignée d’Européennes qui peuplaient la bourgade », tout passe par le regard candide de l’enfant qui grandit. L’amitié qu’elle ressent pour Amédée, son attachement pour sa nounou et le cuisinier Bouma, tout, dans ces Vignettes africaines, rappelle le roman d’apprentissage, celui d’une enfant qui exprime en toute liberté un amour inconditionnel.

L’Interligne, 2021, 192 p. 23,95 $

Histoires d’immigration

Michaëlle Jean

« Ce recueil a pour intention de dégager un espace essentiel de parole et de dialogue, de servir aussi d’antidote à nos peurs. » Ce sont par les mots simples et éloquents de l’ex-journaliste et ancienne gouverneure générale Michaëlle Jean que s’amorce l’aventure du livre Histoires d’immigration. Projet qui fut d’abord le titre d’un concours de création littéraire lancé par les Éditions David, cette brillante initiative visait à rassembler les meilleurs courts textes relatant une histoire personnelle d’immigration ou une expérience en lien avec ce thème. Quarante textes ont ainsi été choisis par l’équipe éditoriale de la maison, parmi lesquels se retrouvent ceux de Monia Mazigh (Farida, 2020) et de Jean Mohsen Fahmy (La sultane dévoilée, 2019), mais également de nombreux textes inédits.

Éditions David, 2021, 232 p. 20,00 $

Au nord de ma mémoire

MATTIA SCARPULLA

Récipiendaire du prix Rolande-Gauvin en 2018 pour son recueil hallucinations désirées et origines en fuite, le romancier, nouvelliste et poète MATTIA SCARPULLA fait un retour en poésie avec le fracassant Au nord de ma mémoire : « le passé a rattrapé la précédente violoniste/elle a disparu à jamais/chaque membre de son corps s’est perdu au fil du périple administratif reliant les ministères les tribunaux les prisons les associations pour les droits des réfugiés. » À l’image des êtres courageux qu’ils évoquent, les vers de Scarpulla nous plongent dans la vie à vif de ces réfugiés et immigrants, dont le passé hanté par les tortures et les dictatures les poussent à chercher asile en des terres d’accueil aux rouages institutionnels souvent inhumains. Montréal devient ainsi un territoire d’anonymat, un lieu de repli où l’on tente la guérison.

Annika Parance, Coll. « Sauvage - Poésie », 2021, 138 p. 13 $

Manman la mer et Rendez-vous Iakay

DJENNIE LAGUERRE

Dans l’une, on rencontre Marjolaine, cette jeune femme qui, dès l’enfance, semble prédire l’avenir par le dessin. Dans l’autre, ce sont Joséphine et Suzette, ces deux sœurs apprenant la mort d’un père qu’elles n’ont pas vu depuis 20 ans. Dans les pièces Manman la mer et Rendez-vous Iakay de DJENNIE LAGUERRE, tous les personnages sont en quête d’identité, de liberté et d’authenticité. Par une parole théâtrale forte et teintée d’humour, la conteuse et comédienne conduit ces femmes sur le chemin d’Haïti afin de retrouver ce quelque chose qui leur manque. Pour Marjolaine, ce sera la rencontre avec une grand-mère guérisseuse qui lui donnera le courage d’être elle-même. Pour Joséphine et Suzette, ce seront les retrouvailles auprès d’une famille qui leur enseignera le véritable sens du mot richesse.

Prise de parole, 2021, 75 p. 13,95 $

Pomme grenade

ELKAHNA TALBI

Autrice, poète, comédienne et artiste de spokenword, ELKAHNA TALBI, également connue sous le patronyme QUEEN KA, nous offre un deuxième recueil de poésie portant le titre fort évocateur de Pomme grenade. Née à Montréal de parents tunisiens, la poète aborde cette fois-ci le thème de l’identité culturelle à travers l’explosion du désir et des émois du sentiment amoureux: « ici/dans Saint-Michel/mes pas voguent/près des tiens/l’Italie et la Tunisie/côte à côte/ sur cette île/nos rivages enfin/se frôlent. » Invoquant la multitude des saveurs d’un amour qui ébranle, Pomme grenade revendique une liberté d’abandon qui jamais n’oublie la charge politique du corps. Dans les mots d’Elkahna Talbi: « Faire de mon désir un refuge, vivre dans l’amour alors que tout autour explose. », la poésie de Pomme grenade rappelle que ce fruit, comme le cœur humain, cache dans ses ventricule les promesses silencieuses et ardentes du désir.

Mémoire d’encrier, Coll. « Poésie », 2021, 116 p. 17 $

Les traces d’un papillon

ZHIMEI ZHANG

Alors qu’une traduction de son premier livre, Ma vie en rouge. Une femme dans la Chine de Mao, est aussi paru en 2008 chez VLB éditeur, ZHIMEI ZHANG relève le défi d’écrire, en français cette fois, un récit plus personnel sous le délicat titre Les traces d’un papillon. Relatant son arrivée à Montréal en avril 1985, sept ans après avoir obtenu une bourse de l’école de journalisme de l’université de King’s College à Halifax, l’autrice fera de ses études le point de départ d’un récit sur sa quête de liberté intellectuelle, d’indépendance et d’émancipation. Emploi, chômage, amitiés, déménagements, à travers les moments-clés et les exigences du quotidien dans son pays d’adoption, Zhimei Zhang raconte, en parallèle de souvenirs de sa vie chinoise, l’apprivoisement des réalités montréalaises.

VLB éditeur, 2019, 192 p. 24,95 $