Collections | Volume 8 | numéro 4

Article de fond

Fièrement autochtone

Frédérique Saint-Julien

Hannenorak, dans les archives civiques, c’était l’un des derniers noms wendat présents dans la lignée des fondateurs de la maison d’édition, Jean et Daniel Sioui. Fondées en 2010 et aujourd’hui codirigées par Daniel et Cassandre Sioui, les Éditions Hannenorak sont situées au cœur de Wendake, près de Québec, tout comme la librairie du même nom qui a vu le jour en 2009. Même si certains organismes autochtones comme l’Institut Tshakapesh ou le Cree School Board font la publication d’ouvrages à vocation davantage éducative, Hannenorak demeure aujourd’hui la seule maison d’édition autochtone agréée au Québec à publier autant des œuvres de fiction, des essais, des albums jeunesse ou encore de la poésie.

Partager

La mise en place d’une maison d’édition consacrée entièrement aux Premières Nations est venue combler le besoin, encore présent, de rendre l’édition plus accessible aux auteurs et autrices des Premiers Peuples pour qui, souvent, la langue première n’est ni le français ni l’anglais, mais leur langue maternelle respective.

Onze ans plus tard, les Éditions Hannenorak comptent près d’une soixantaine de publications d’auteurs et d’autrices issus de différentes nations (huronne-wendat, crie, mi’gmaq ou innue, pour n’en nommer que quelques-unes).

Récemment, deux concours littéraires organisés par la maison d’édition, en partenariat avec le ministère de l’Éducation et destinés aux adultes et aux adolescents provenant des onze nations autochtones du Québec, ont permis de sélectionner des textes provenant de chacune des nations afin de faire une publication trilingue (français, anglais, langues autochtones) dont la publication est prévue en 2022. Une première d’une telle envergure au Québec.

« [ Chez les Wendat ], nous avons eu la chance et la malchance d’être près des Français. Nous avons pu bénéficier d’une scolarisation très tôt et nous avons pu développer une plus grande tradition d’écriture, bon, pas depuis quatre cents ans, mais tout de même. »

Daniel Sioui

Aux Éditions Hannenorak, l’équipe de travail est mixte, soit composée à 50 pour cent d’autochtones et 50 pour cent d’allochtones. Le travail d’accompagnement des auteurs et autrices est quelque peu différent de ce qui se fait au sein des maisons d’édition que nous pouvons qualifier de plus « traditionnelles ». Pour certains auteurs ou autrices, être publié par une maison d’édition dédiée aux Premières Nations répond à un besoin d’être compris au travers des épreuves qu’ils ou elles ont pu traverser. D’autres, parfois, ont ce désir d’écrire, mais n’ont pas nécessairement reçu un niveau d’éducation adéquat. Pour ces auteurs et autrices, l’équipe d’Hannenorak offre un accompagnement tout au long du processus de création.

Si certaines nations ont davantage une tradition orale, chez les Wendat, indique Daniel Sioui, « nous avons eu la chance et la malchance d’être près des Français. Nous avons pu bénéficier d’une scolarisation très tôt et nous avons pu développer une plus grande tradition d’écriture, bon, pas depuis quatre cents ans, mais tout de même. » Encore aujourd’hui, même s’il y a davantage d’auteurs et autrices autochtones dans la sphère publique, ils ne sont pas encore si nombreux. C’est souvent un travail de longue haleine pour les convaincre qu’ils ont leur place dans le milieu littéraire, même si cela peut difficile à atteindre. En étant publiés au sein d’une maison d’édition qui fait rayonner les écrits et les cultures des Premières Nations, ces écrivains et écrivaines peuvent se tailler une plus grande place au cœur du milieu littéraire québécois. Être publié n’est pas seulement une fierté pour celui ou celle qui a finalement franchi le grand pas, mais c’est également une fierté pour la communauté. Quand un auteur ou une autrice revient dans sa communauté avec le fruit de son travail, ça suscite des discussions, des questions, des réflexions et d’autres oseront peut-être par la suite franchir le pas et soumettre leurs écrits, comme un effet boule de neige. Plus il y aura de livres publiés, moins ce sera intimidant pour les Premiers Peuples de s’exprimer par écrit.

Si tranquillement les publics s’intéressent à la lecture d’histoires de ces peuples, les obstacles demeurent nombreux pour rejoindre les lecteurs et lectrices autochtones. La librairie Hannenorak est encore aujourd’hui la seule librairie établie dans une communauté autochtone au Québec. Et si Wendake fait partie d’une zone urbaine, il est loin d’en être de même pour nombreuses communautés souvent situées loin des grands centres. Wendake abrite également l’organisme à but non lucratif Kwahiatonhk ! qui a pour mission la promotion d’auteurs et autrices autochtones par la production d’évènements littéraires comme le Salon du livre des Premières Nations, dont Daniel Sioui en est le fondateur. Le Salon se déroule en alternance à Québec et sur le territoire wendat. Daniel et Cassandre Sioui se disent émus lorsqu’ils constatent que des Attikameks ont fait le long déplacement pour le Salon. À l’heure actuelle, les réseaux sociaux jouent un rôle important pour rejoindre le lectorat hors des zones urbaines. Faciliter l’accessibilité aux livres aura un effet positif non seulement sur le goût de lire, mais sur le goût d’écrire.

Pour Daniel et Cassandre Sioui, il y a une volonté de faire connaitre les différentes nations. Au Québec, on identifie onze nations autochtones distinctes, chacune ayant des réalités différentes, ne serait-ce que par le fait qu’elles aient été nomades ou sédentaires. Il est donc important d’avoir un accès à ces différentes littératures.

Au Québec, le conte et la poésie ont longtemps été les principaux genres associés aux littératures des Premières Nations, alors que du côté anglophone étaient davantage présents les romans et recueils de nouvelles. Au sein des littératures des Premiers Peuples, on retrouve certains motifs récurrents tels que le territoire, le colonialisme, la dépossession ou la transmission générationnelle.

Que l’on pense à l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la commission Viens sur les relations entre les Autochtones et certains services publics, la mort de Joyce Echaquan que l’on associe au racisme systémique ou encore la découverte des corps d’enfants autochtones dans des fosses communes de pensionnats, tous ces évènements récents ont contribué à modifier et élargir les attentes du lectorat québécois en matière de littératures autochtones.

Nous prenons conscience qu’il faut davantage nous tourner vers l’autre pour apprendre à le connaitre réellement. Le travail d’Hannenorak permet d’établir et de construire ces ponts dont nous avons besoin.

Une jeune littérature en pleine expansion

Le corpus de la maison d’édition est aujourd’hui très diversifié. On retrouve entre autres au sein du catalogue la collection « Nation Big Spirit. D’hier à aujourd’hui », qui regroupe sept bandes dessinées destinées aux jeunes de neuf ans et plus. La série présente des figures autochtones importantes qui sont parfois passées dans l’oubli.

Les essais côtoient les contes et légendes, l’histoire, les biographies et les romans d’auteurs et autrices des Premières Nations du Québec ou du Canada. On y retrouve également des publications portant sur des enjeux autochtones écrites par des allochtones (professeurs, chercheurs, policiers, artistes).

Un des plaisirs de la maison d’édition est de faire découvrir des auteurs et autrices qu’on peut qualifier de « champ gauche », qu’on n’attendait pas dans le détour et qui surprennent positivement. Souvent, l’humour parfois grinçant ou mordant est un trait bien présent dans les différents écrits autochtones, comme dans C’est fou comme t’as pas l’air d’en être un de Drew Hayden Taylor, auteur ojibwe originaire de la communauté de Curve Lake en Ontario ; On pleure pas au Bingo de Dawn Dumont, autrice crie des Plaines ; ou Mononk Jules, du marionnettiste, comédien et auteur wendat Jocelyn Sioui.

Gageons que dans l’avenir l’équipe sera appelée à s’agrandir et, qui sait, le succès de la maison d’édition Hannenorak inspirera peut-être la naissance d’autres maisons d’édition autochtones afin d’assurer davantage de visibilité aux littératures des Premiers Peuples dans le milieu litté- raire québécois.

« Lire parce qu’à travers le plaisir des mots, le partage des imaginaires, des peines et des rêves, les auteurs et autrices nous disent ce qu’eux et leurs peuples ont été, mais surtout ce qu’ils sont devenus, ce qu’ils ont envie d’être demain. Lire parce que leurs mots nous rendent plus humains, nous parlent de notre façon de vivre, ici, aujourd’hui. »

Tracer un chemin. Écrits des Premiers Peuples, collectif, Hannenorak.

Suggestions de livres

Perles de verre

DAWN DUMONT

Actrice et humoriste issue de la nation crie d’Okanese en Saskatchewan, DAWN DUMONT, autrice phare de la maison d’édition Hannenorak, récidive avec un troisième roman. Dans Perles de verre, chaque chapitre est construit comme de petites histoires où l’on suit, du début des années 1990 jusqu’à la fin des années 2000, la relation, de l’adolescence à l’âge adulte, de quatre amis. Ils s’appellent Nellie Gordon, Julie Papquash, Taz Mosquito et Everette Kaiswatim et sont les premiers de leurs familles à quitter la réserve pour la vie en ville. Le roman aborde à la fois des thèmes universels comme les difficultés au travail ou le poids des relations interpersonnelles, mais également des enjeux en lien avec la culture dans laquelle les personnages ont grandi, telle la recherche de leur identité culturelle. Encore une fois, l’autrice nous revient avec un roman poignant et teinté d’humour. Traduit de l’anglais par Daniel Grenier.

Éditions Hannenorak, 2021, 372 p. 21,95 $

Tracer un chemin Meshkanatsheu Ahaha’yeh Hatihente

OLIVIER DEZUTTER, JEAN-FRANÇOIS LÉTOURNEAU, NAOMI FONTAINE

Tracer un chemin Meshkanatsheu Ahaha’yeh Hatihente’ est une anthologie de littératures des Premiers Peuples dirigée par les professeurs OLIVIER DEZUTTER et JEAN-FRANÇOIS LÉTOURNEAU ainsi que la romancière NAOMI FONTAINE. L’anthologie en est à sa deuxième édition et présente une cinquantaine de textes d’écrivains et écrivaines sélectionnés à partir de coups de cœur pour les présenter à des jeunes en milieu scolaire. L’anthologie, bâtie comme un recueil de textes, peut aussi se lire pour le plaisir de découvrir de nouveaux textes ou de nouvelles voix. Il s’agit d’un projet qui s’adresse autant aux enseignants du secondaire que du collégial qui veulent proposer des textes autochtones à leurs élèves, tout en permettant au grand public de mieux connaitre ces écrits. On y trouve également des suggestions de documentaires et de balados. « Lire est comme la plus belle façon d’écouter ces écrivains et écrivaines des Premiers Peuples, de plus en plus nombreux à publier pour dénoncer et revendiquer, certes, mais aussi pour faire rire, pour parler de celles et de ceux qu’ils aiment, pour se dire. »

Éditions Hannenorak, 2021, 228 p. 21,95 $

Nokomis et la marche pour l’eau

JOANNE ROBERTSON

Nokomis et la marche pour l’eau de l’autrice et illustratrice JOANNE ROBERTSON, anishnaabe et membre de la Première Nation Atikameksheng Anishnawbek, propose de parler de l’importance de l’eau, « Nibi », avec les jeunes enfants. Nokomis, une grand-mère, a toujours célébré la présence de Nibi. Mais, si Nibi devait se faire rare ou devenir inaccessible, qu’adviendrait-il de notre survie ? Nokomis, sa sœur et ses kwewok niichiis deviennent les Marcheuses pour l’eau de la Terre Mère. Marcher les territoires de l’île de la Tortue durant sept ans pour sensibiliser les gens à prendre soin de Nibi. Nokomis et la marche pour l’eau, c’est l’histoire de Josephine Mandamin, originaire de la communauté Wikwemikong. Elle a marché plus de 17 000 km pour sensibiliser les gens à prendre conscience de l’importance de l’eau. L’album s’accompagne d’un lexique de quelques mots en ojibwé et d’indications de prononciation.

Éditions Hannenorak, 2021, 40 p. 19,95 $

Elles se relèvent encore et encore

JULIE CUNNINGHAM

C’est dans le cadre de sa thèse de doctorat mené avec le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones que l’autrice JULIE CUNNINGHAM a fait la rencontre de onze femmes autochtones, vivant au Québec, âgées de 27 à 60 ans. En racontant l’histoire de leurs vies, elles se sont questionnées sur la place qu’on accorderait à leurs récits et l’autrice a proposé d’en faire un livre. Elles se relèvent encore et encore, paru tout juste avant le décès de Joyce Echaquan, témoigne de toute la résilience dont ces femmes sont capables. Selon l’aînée du cercle de partage, « les mots histoires, souffrance, soutien, héritage et résilience trouvent fortement leur résonance dans le cœur des femmes. Chacune de ces femmes, chacune à sa manière, a saisi l’essence de ce que l’aînée veut leur transmettre. » Souvent, elles se sont relevées parce qu’elles avaient des souvenirs heureux de femmes significatives dans leur enfance. Meky Ottawa, artiste atikamekw de Manawan, a su interpréter en images les témoignages de ces femmes. Des mains, un bâton de parole, un cœur, des visages rythment les paroles aujourd’hui libres de ces femmes. « En apprenant à prendre soin de nous, nous façonnons notre capacité à reconstruire des liens, des relations qui font de nous des femmes autochtones. Des gardiennes des valeurs d’honnêteté, de vérité, d’humilité, d’amour, de sagesse, de courage et de respect. »

Éditions Hannenorak, 2020, 84 p. 16,95 $

Indien stoïque

DANIEL SIOUI

DANIEL SIOUI le dit lui-même, il n’est « ni un écrivain, ni un universitaire, ni un spécialiste de la gouvernance autochtone », en réalité, il n’aurait jamais cru écrire quoi que ce soit. Le fondateur et copropriétaire de la maison d’édition Hannenorak et de la librairie du même nom s’autorise un petit détour par l’écriture pour inaugurer la nouvelle collection « Harangues ». « Autrefois, les voix des Autochtones étaient écoutées par les Européens. Les harangues des plus grands orateurs étaient admirées de tous et pouvaient amener la paix entre nos peuples. La collection ‘‘Harangues’’ souhaite inciter les Canadiens à entendre de nouveau les voix des Premières Nations, désireuses de choisir elles-mêmes leur avenir. » Quiconque plonge dans Indien stoïque ne pourra rester indifférent en lisant ce pamphlet revendicateur. Cet avis guerrier, qui n’est pas dépourvu de l’humour qu’on retrouve fréquemment dans les écrits des Premiers Peuples, fera réfléchir autant le lectorat allochtone qu’autochtone. Un livre pour libérer la colère, pour parler un peu plus de « l’avenir de rêve et un peu moins du passé de chnoute ».

Éditions Hannenorak, 2021, 80 p. 12,95 $