Les premières fois
La valse des livres de nos premières fois
La valse des livres de nos premières fois
Les premières fois sont parfois angoissantes, et me plonger dans un livre a toujours été le moyen parfait pour avoir un pas d’avance, pour vivre beaucoup de ces premières d’abord par procuration.
J’ai ainsi vécu mon premier voyage à Paris avec Simenon, ma première nuit en wagon-lit avec Agatha Christie et ma première grande aventure avec Alain Fournier. J’ai expérimenté mes premières lassitudes amoureuses avec Kundera et Lauzier, appris à les contrer avec Alexandre Jardin et Stéphane Bourguignon et j’ai conçu mes premières campagnes publicitaires avec Beigbeder.
Certaines lectures amènent quant à elles des premières fois multiples. Si lire Le Petit Prince à l’âge adulte alors qu’on l’avait découvert enfant nous fait voir la Rose d’un tout autre œil, lire Hubert Reeves à 40 ans alors qu’on l’avait découvert à l’adolescence donne l’impression de s’être plongé dans deux livres tout à fait différents.
Il y a aussi des choses qui sont meilleures les premières fois. Je pense à la première fois où l’on s’attable à un restaurant dont on passera toutes les visites subséquentes à rechercher certaines saveurs, la première fois où l’on se baigne dans l’eau chaude du Pacifique, ou la première fois où l’on découvre un auteur ou une auteure qui ne nous quittera plus. À l’inverse, certaines compétences s’acquièrent à la dure et le fiasco de la première fois n’est que signe de choses meilleures à venir : la première paëlla ratée, la première relation amoureuse dont on ressort pas très fier, ou le premier manuscrit qu’on gardera pour soi.
Évidemment, on ne saurait traiter de première fois sans parler de sexualité, de « LA » première fois, des premiers émois et du premier grand chagrin d’amour. Dans un monde où nous pouvons accéder de façon instantanée à toutes les connaissances humaines, on pourrait croire que le livre a perdu de sa pertinence sur ces sujets. Or rien n’est moins vrai. Les jeunes d’aujourd’hui sont curieux, parfois moins pressés que leurs parents, et moins naïfs qu’on le croit : ils se doutent que la pornographie, si facilement accessible, n’est pas la réponse à leurs questions, et vont chercher autour d’eux des sources sensibles et nuancées pour combler leur curiosité.
C’est ici que nous, éditeurs et éditrices, avons une double responsabilité. D’abord celle d’offrir de l’information non biaisée, non culpabilisatrice, réaliste et sans tabou, puis celle, moins évidente, d’intéresser les jeunes lecteurs. Que ce soit par le choix d’une auteure qui saura gagner la confiance de son lectorat, par l’humour ou par un graphisme déjanté, il faut tout faire pour que le guide déposé subtilement sur la table de nuit d’un jeune ado soit consulté, pour que le roman traitant de la première fois soit emprunté à la bibliothèque et que, pour celui ou celle qui cherche à comprendre de quoi sera faite sa première fois, le livre demeure cet objet vers lequel se tourner.
Marc-André Audet
Président-directeur général et éditeur aux Éditions les Malins