Collections | Volume 9 | numéro européen

Essai

Le nouvel élan des essais québécois

Samuel Larochelle

Cet article a été rédigé pour le public européen.

Disons les choses telles qu’elles sont : au Québec, pendant des années, l’essai n’était pas le premier, le deuxième ni le troisième genre littéraire auquel les férus de lecture pensaient quand il était question de littérature québécoise. Les romans, les biographies, les recueils de poésie et de nouvelles (sans oublier les livres de cuisine au succès retentissant) trouvaient preneurs par milliers, alors que les essais reconnus comme des succès populaires – malgré leurs indéniables qualités – étaient plutôt rares. Moins couverts par les médias grand public et souvent considérés, peut-être à tort, comme une forme d’écriture réservée à l’élite intellectuelle, les titres publiés chaque année ne déchaînaient pas les passions hors des cercles d’initiés.

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Cela dit, le vent semble avoir tourné dans la Belle Province. En effet, au cours de l’année 2021, les ventes des essais y ont bondi de 90 %, non seulement grâce aux succès de figures populaires – comme le défunt sociologue Serge Bouchard, dont le livre Un café avec Marie (Éditions du Boréal) a terminé parmi les dix livres les plus vendus de l’année dans les librairies partout sur le territoire québécois – , mais également grâce à la diversité des sujets et des tons employés pour en parler. Tant chez les érudits que chez les auteurs et autrices de réflexions orientées pour le grand public, les essais québécois attirent de plus en plus l’attention. La plupart du temps, plus un titre est mis en lumière dans son lieu d’origine, plus il a de chance de joindre les lecteurs et lectrices ailleurs dans le monde. Voici donc une sélection de certaines oeuvres incontournables accessibles dans plusieurs pays européens. Il y est entre autres question de nordicité, de révolution verte, de pensée queer, du devenir-femme, du futur d’une planète en déroute et du racisme exploré de l’intérieur.

Suggestions de livres

Les racistes n’ont jamais vu la mer

Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban

Loin des politicailleries et des non-dits de nos dirigeants, RODNEY SAINT-ÉLOI et YARA EL-GHADBAN ont décidé de discuter de racisme dans une correspondance sans faux-fuyant. Nullement écrit comme un manifeste accusateur ou un livre moralisateur, Les racistes n’ont jamais vu la mer est une oeuvre conçue pour ouvrir les coeurs, enrichir les esprits, délier les langues et rapprocher les êtres. À partir de leurs expériences personnelles, les deux artistes, reconnus et respectés du milieu littéraire québécois, montrent la réalité telle qu’elle est, avec toutes ses joies et ses souffrances. S’ils en parlaient à sa parution comme de l’introduction du grand livre du Québec sur le racisme, ils ont depuis reçu quantité de témoignages sur l’impact de leurs paroles sur les lecteurs et lectrices. En effet, quiconque ouvrirait leur livre avec un esprit obtus, décidé à les contredire, aurait du mal à rester insensible à leur propos.

Mémoire d'encrier 20€ / 24,95 $

Le mal du Nord

Pierre Perrault

Si plusieurs amants du Québec parlent de la province comme d’un territoire nordique, les vrais connaisseurs perçoivent quant à eux toutes les nuances avec le Grand Nord canadien, celui flirtant avec l’Arctique et attirant les curieux comme PIERRE PERRAULT. Cinéaste, poète, essayiste et animateur de radio, il a marqué le paysage de la pensée québécoise avec son oeuvre. Parmi ses publications, on retrouve Le mal du Nord, livre dans lequel il raconte la traversée qu’il a menée avec sa femme Yolande jusqu’à l’île Bylot, un morceau de terre situé dans le passage du Nord-Ouest. Une façon pour lui de naviguer vers l’inconnu, de trouver son chemin sans le précieux soutien du Nord et de s’orienter en l’absence de mémoire. Récompensé d’un prix littéraire du Gouverneur général du Canada à sa parution initiale en 1999, année du décès du créateur, ce livre testament connaît une deuxième vie, à l’image des essais québécois.

Lux Éditeur 20€ / 29,95 $

Ville féministe. Notes de terrain

Leslie Kern

Pendant des siècles, les femmes étaient promises à l’espace privé, alors que les hommes pouvaient jouir de l’espace public. Ainsi, les inégalités entre les genres se répercutaient jusque dans l’environnement urbain, comme le démontre l’ouvrage Ville féministe. Notes de terrain. Traduit de l’anglais vers le français par la Québécoise Arianne Des Rochers, le livre de la géographe féministe canadienne LESLIE KERN pose une question lourde de sens : à qui appartient la ville ? Certainement pas aux femmes, qui y sont sans cesse victimes de violences. Il existe pourtant, selon l’autrice, divers moyens de rendre nos cités plus féministes. En partageant son expérience de citadine en tant qu’enfant, adolescente, adulte et mère de famille, elle multiplie les propositions en se basant sur des travaux de géographes féministes et des théories d’urbanisme, sans se priver de références à la culture pop.

Éditions du remue-ménage 16€ / 20,95 $

Planète en ébullition

Laurence Hansen-Løve

Et si la révolution verte tant attendue se conjuguait au féminin ? Et si ce dont la planète avait besoin depuis des siècles était une série de contre-pouvoirs basés sur le féminisme et la jeunesse, afin d’éviter le point de non-retour ? Pendant que la situation environnementale est plus critique que jamais et que la majorité des gouvernements du monde prennent des mesures aux conséquences tout au plus mineures, la professeure agrégée de philosophie LAURENCE HANSEN-LØVE lance un pavé dans la mare avec Planète en ébullition. Celle à qui l’on doit plusieurs titres, dont Oublier le bien, nommer le mal : une expérience morale paradoxale, fait dialoguer les idées de Spinoza, Arendt, Stengers, Lévi-Strauss et Jonas, en s’intéressant à l’écoféminisme, à l’animalisme et à l’écologie profonde qui se rencontrent au carrefour d’une révolution attendue d’innombrables personnes souffrant d’écoanxiété et quantité de personnes militant pour l’écologie et le climat.

Écosociété 16€ / 24 $

Les rêves du ookpik

Étienne Beaulieu

Figure de proue du milieu essayiste québécois, ÉTIENNE BEAULIEU explore la notion de rêve chez les Premières Nations et ne se gêne pas pour dénoncer l’époque où les colonisateurs européens ont rejeté l’importance des rêves chez les autochtones lors de leurs premières rencontres, persuadés que les songes étaient inspirés par le diable et qu’il fallait les chasser. Quelques siècles plus tard, l’auteur part d’une expérience personnelle pour mieux comprendre son sujet. En effet, Beaulieu évoque, dans Les rêves du ookpik, comment un ookpik, petit hibou en peau de phoque fabriqué à la main, s’est retrouvé sur la table familiale durant son enfance. Il explore comment les Blancs du Sud en connaissent si peu sur les traditions millénaires des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Campé dans les années 2000, il remet en question notre mémoire collective et notre relation toxique au territoire dans un texte qu’il présente comme une médication écologique.

Varia 22€ / 23,95 $

Godzilla et l’Amérique. Le choc des titans

Alain Vézina

Godzilla, l’énorme monstre qui a marqué l’imaginaire de plusieurs générations, est-il un bon ou un méchant ? Bien que manichéenne, cette question illustre en partie la curiosité d’ALAIN VÉZINA, professeur de cinéma et de journalisme spécialisé en littérature et en cinéma fantastiques, à l’égard de l’une des franchises les plus lucratives de l’histoire du septième art. En effet, quand on s’attarde à l’évolution de la créature, on constate qu’elle n’était, en 1954, rien de moins qu’une incarnation du péril nucléaire, avant de devenir, dix ans plus tard, le défenseur du Japon ! Avec cette information en tête et en considérant que le retour de la bête dans les années 1980 avait pour but de renouveler son public, l’essayiste, dans Godzilla et l’Amérique. Le choc des titans, se demande si les multiples vies du monstre sont purement dictées par des impératifs financiers, et si on peut également y voir un symbole des perspectives de la société japonaise après la défaite de 1945.

Les Presses de l’Université de Montréal 31€ / 34,95 $

La guerre est dans les mots et il faut les crier

Pierre-Luc Landry et Florian Grandena

Selon les universitaires PIERRE-LUC LANDRY et FLORIAN GRANDENA, les personnes LGBTQ+ ne doivent pas plier sous le poids des traditions hétéronormatives ou se donner le mandat d’accéder à une prétendue « normalité » établie par la majorité. Elles ne doivent pas laisser faire les personnes qui prônent l’acceptation de la diversité sexuelle en comparant les comportements homosexuels à ceux de plusieurs espèces animales. Elles ne doivent pas non plus se satisfaire de la tolérance des personnes hétérosexuelles et cisgenres. Au contraire, les deux plumes derrière le livre La guerre est dans les mots et il faut les crier mettent le feu aux idées reçues. Avec un mélange de recherches sociologiques et de clins d’oeil à la culture populaire, le duo se permet de provoquer pour renverser les préjugés. Refusant de collaborer à leur propre invisibilité, Landry et Grandena encouragent les membres des communautés arc-en-ciel à façonner leur émancipation.

Triptyque 24,50€ / 26,95 $

Le devenir-femme des historiens de l’art

Katrie Chagnon

Comment devient-on femme selon les arts visuels ? Quels liens peut-on tisser entre l’histoire de l’art et les fantasmes couchés sur toile de certains artistes ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions auxquelles tente de répondre KATRIE CHAGNON – professeure associée à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université Laval, rédactrice en chef du magazine culturel Spirale, chercheuse, conservatrice et commissaire d’exposition – dans son livre Le devenir-femme des historiens de l’art. S’appuyant sur les travaux de la philosophe française Sarah Kofman, l’autrice québécoise examine les oeuvres de deux historiens théoriciens de l’art, le Français Georges Didi- Huberman et l’Américain Michael Fried, afin d’en révéler les mécanismes historiques, sociaux, politiques, philosophiques et psychanalytiques. Son étude de cas approfondie lui permet de mettre en lumière des systèmes fantasmatiques et les positions hystériques, fétichistes, mélancoliques et paranoïaques des deux théoriciens.

Les Presses de l’Université de Montréal 40€ / 44,95 $

Airvore ou le mythe des transports propres

Laurent Castaignède

Les véhicules motorisés sont partout. Malgré les alarmes lancées par les scientifiques sur le futur de la planète, ils continuent de se multiplier dans tous les pays, en campagne comme en ville. À l’image d’une espèce toute-puissante qui bouleverse tout sur son passage, ces machines sont des dinosaures énergivores et polluants, selon LAURENT CASTAIGNÈDE, qui les compare à des bêtes, non pas des herbivores ou des carnivores, mais des « airvores », puisqu’elles bouffent toute la pureté de l’air ambiant. Auteur de Airvore ou le mythe des transports propres, celui qui a oeuvré pendant neuf ans chez Renault, avant de devenir conseiller en impact environnemental et expert dans les médias sur les questions des transports, remet en question les discours sur la consommation plus efficiente des voitures neuves, les trains électriques vendus comme étant parfaitement propres, les navires supposément plus discrets et les avions décrits comme étant plus sobres que jamais.

Écosociété 25€

Petit éloge du mouton

Thierry Pardo

Qui aurait cru qu’un essai sur les moutons arriverait un jour sur les tablettes ? Bien peu de gens. Pourtant, l’animal reconnu pour sa laine, son petit air naïf, ses bêlements inoffensifs et sa présence dans de nombreuses histoires destinées à toute la famille est devenu le sujet d’intérêt de THIERRY PARDO, un écrivain spécialisé en éducations alternatives qui « globe-trotte » à la recherche de ce qui pourra enrichir sa posture libertaire. Après avoir publié Une éducation sans école, Petite géographie de la fuite, Les savoirs vagabonds et Weedon ou la vie dans les bois, il rapplique avec Petit éloge du mouton, un livre qu’il a écrit après avoir participé en tant que berger à une expérience d’écopâturage urbain dans un parc de Montréal. Il raconte sa vie parmi les moutons, ce que les animaux laineux lui ont apporté et leur impact dans le projet écologique.

Les éditions du passage 16€ / 19,95 $