Collections | Volume 9 | numéro 3

Littérature

Livres illustrés, livres illustres

Josianne Létourneau

La lecture sans notion de plaisir est inconcevable. Combien de fois cherchons-nous, à travers une œuvre, à simplement déconnecter, voire à nous évader du pragmatisme quotidien ? De ses tâches. De ses horaires. De ses obligations.

De ses horizons familiers parcourus mille fois du regard.

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Pourtant, encore trop nombreux sont les lecteurs et lectrices adultes qui considèrent que la lecture de fictions est une perte de temps. Une opinion qui se répand, inévitablement, au cœur de cette logique implacable, jusqu’au territoire du livre illustré: 

« Bon nombre d’adultes, pourtant grands lecteurs de textes […] ont beaucoup de mal à “lire” l’image comme “faiseuse” de sens. », écrivait Dominique Rateau, dans la revue Spirale 2015 (vol. 3, no 75). « De fait, la tendance la plus répandue chez les adultes consiste à promouvoir le texte et à dénigrer l’image… Ou à la voir comme un petit dessin qui vise à amuser les petits enfants, ou encore à expliquer le texte. Trop de préjugés dans ces regards-là…* »

Préjugés que de nombreuses œuvres parues ces dernières décennies, à la fois saluées par la critique et honorées par les récompenses, peuvent sans peine remettre en question. Pensons au roman graphique Maus de l’auteur américain Art Spiegelman, récipiendaire d’un Prix Pulitzer spécial en 1992. À la série Paul du bédéiste Michel Rabagliati, phénomène inédit de popularité au Québec ayant certainement amené des lecteurs et lectrices au monde fabuleux du roman graphique. Ou à l’engouement provoqué par les romans dessinés de l’académicien Dany Laferrière qui, avec Autoportrait de Paris avec chat, publié en 2018, a glissé subtilement entre les mains de son lectorat quelque chose qui ressemble drôlement à un livre illustré?

Ainsi, pour ceux et celles qui aiment simplement se faire raconter des histoires par la symbiose merveilleuse des images et des mots, nous vous dédions la liste des œuvres qui suit.

Suggestions de livres

La brume

Mireille St-Pierre

Finaliste de l’édition 2021 du prix Réal-Fillion, qui récompense l’auteur, scénariste et/ou dessinateur canadien s’étant le plus illustré avec un premier album francophone professionnel, La brume de Mireille St-Pierre tient toutes les promesses. Touchant, sobrement mais magnifiquement illustré, le premier roman graphique de l’illustratrice, maintes fois récompensée pour son travail d’artiste, déploie avec délicatesse un récit sur les épreuves qui ne peuvent être laissées derrière soi et nous changent à jamais. Sur des pages claires et sombres où la nuit s’illumine et les étoiles mettent en évidence des reliefs inattendus, elle dépose une histoire profondément humaine sur les univers qui nous forgent, les musiques et les lieux qui nous accompagnent et sur tout ce que l’on traverse, ensemble, mais différemment. Définitivement une œuvre à lire et à faire découvrir.

Nouvelle adresse, 2020, 192 p. 34$

La Cité oblique

H. P. Lovecraft; Ariane Gélinas; Christian Quesnel

Saviez-vous que la ville de Québec fut, il y a presque cent ans maintenant, l’hôte de séjours d’une incontestable légende de la littérature fantastique mondiale? Eh oui: l’auteur culte Howard Phillips Lovecraft a non seulement visité plusieurs fois la capitale nationale, mais en a été si inspiré qu’est née de sa plume une histoire de la Nouvelle-France qui ne sera publiée qu’après sa mort, en 1976. C’est à cette fiction peu connue que s’attaquent Ariane Gélinas et Christian Quesnel dans l’hallucinante épopée  La Cité oblique, toujours à paraître au moment de l’écriture de ces lignes. Page après page, le travail impressionnant de l’autrice et de l’illustrateur révèle un voyage qui, jusqu’à la fin, exerce sur le lecteur et la lectrice son pouvoir de fascination. Textures, mouvements hypnotiques et relecture fantastique de l’Histoire sont au rendez-vous pour nous offrir un périple inédit dans une Nouvelle-France parallèle, « doppelgänger »  onirique et, sans conteste, plus grand que nature. 

Alto, 2022, 168 p. 36,95$

Sept nuits dans la vie de Chérie

Danièle Vallée

À nouveau inspirée par les tableaux de l’artiste peintre Suzon Demers, l’autrice Danièle Vallée nous fait pénétrer, avec son quatrième livre publié aux Éditions David, dans les mondes croisés du théâtre et de la couture. Coincée dans son quotidien de couturière de quartier, Clarisse, personnage central des Sept nuits dans la vie de Chérie, voit l’étoffe de ses jours se métamorphoser avec l’arrivée, dans sa vie trop tranquille, de la fantasque Éva. Flamboyante, papillonnante et ambitieuse actrice, cette dernière commande à Clarisse une robe qui s’avère être, peut-être, le premier point d’un tracé tortueux qui perturbe bientôt l’humble artisane. Tissant une histoire tendue comme un fil entre les huit tableaux de l’exposition La costumière costumée de l’artiste Suzon Demers qui ponctuent le roman, Danièle Vallée s’amuse à semer le doute dans l’esprit du lecteur et mène sa trame jusqu’au bout d’une intrigue brodée avec soin.

David, 2020, 184 p. 24,95$

L’été au parc Belmont

Thara Charland

Premier livre de la chargée de cours et postdoctorante Thara Charland, L’été au parc Belmont brille par sa sobriété efficace et sa maîtrise littéraire remarquable. Peuplé de chapitres plutôt courts, de photographies familiales et de croquis qui achèvent d’ancrer la littérature dans le réel, ce premier récit publié de l’autrice réussit, sans surenchère d’émotions, à toucher profondément le lecteur et  la lectrice, le guidant dans un parcours mémoriel sensible et fondamental. Explorant les thèmes de la relation au père, du deuil, de la santé mentale et des espaces familiers, L’été au parc Belmont scrute aussi sans détour le paradoxe d’une vie familiale habitée par le drame s’écoulant en marge d’un lieu de festivités inépuisables. Dichotomie qui met d’autant plus en évidence le rapport essentiel entre les difficultés de nos vies et la recherche incessante de loisirs qui ne réussit jamais tout à fait à déjouer les souffrances.

La Mèche, coll. « Les doigts ont soif », 2022, 216 p. 24,95$

Les carnets de l’underground

Gabriel Cholette; Jacob Pyne

« La règle, c’est : passé huit heures du matin dans un rave qui s’éternise, quand tu as l’impression que tout le monde autour de toi est un gobelin, c’est que tu en es un aussi. » Ça se passe à New York, Paris, Berlin et, parfois, dans les références familières des nuits montréalaises. Peu importe le lieu : l’élan, la liberté, l’abandon à l’irrésistible spirale restent les mêmes. Une spirale que Gabriel Cholette détaille sans complaisance dans Les carnets de l’underground, premier livre où résonne la techno pendant que les restes de kétamine se sniffent aux toilettes avec avidité. Appuyé par les illustrations évocatrices et sexuellement chargées de l’artiste montréalais Jacob Pyne, le récit noctambule de Gabriel Cholette courtise les limites et regarde bien en face l’univers infini des fantasmes tout en traçant la carte brûlante des lieux et des êtres qui leur permettent de se déployer.

Triptyque, coll. « Queer », 2021, 168 p. 28,95$

Débarqués

André Marois; Michel Hellman

Débarqués est, sans contredit, une histoire de duos. Celui, évidemment, composé du prolifique et versatile écrivain André Marois et du talentueux bédéiste Michel Hellman, mais également celui, autrement plus improbable, se retrouvant piégé au centre d’un roadtrip au parfum de roman noir. Réunis par un singulier contrat de transport, Gil et Jean-Fran n’anticipent pas les nombreuses difficultés que peut comporter un périple en voiture avec deux hommes handicapés à plusieurs heures de distance de leurs familles respectives. En effet, au fil des kilomètres et du temps passé ensemble, l’habitacle semble devenir de plus en plus étouffant et le succès de l’entreprise de moins en moins assuré. Judicieusement illustré par le trait ombrageux de Michel Hellman, Débarqués est une histoire qui s’assombrit au fil des pages, tel un ciel imprévisible.

La Pastèque, 2022, 104 p. 21,95$

Football-Fantaisie

Zviane

On comprend dès ses premières pages pourquoi le fabuleux Football-Fantaisie, et sa talentueuse créatrice, Zviane, ont remporté la plus récente édition du prix Bédélys Québec. D’une virtuosité incomparable, tant au niveau du travail graphique empreint de versatilité que de la complexité audacieuse mais bien maîtrisée du scénario, ce vingt-cinquième opus de la bédéiste est un énorme cadeau, autant pour ses fans invétérés que pour les lecteurs et lectrices qui voudraient se lancer dans la découverte de son travail singulier. Mais quelle est la trame de cette merveille de 516 pages? Simplement l’histoire de deux jeunes filles, la grande Frédérique et la petite Annabelle qui, afin de fuir le feu meurtrier d’un scientifique dément, se retrouvent à Football-Fantaisie, ville insulaire gaspésienne où les habitants parlent un langage incompréhensible. Comment se sont-elles retrouvées dans cette situation périlleuse et réussiront-elles à échapper au pire? C’est l’aventure fabuleuse que tracent les pages vivantes et colorées de Football-Fantaisie.

Pow Pow, 2021, 516 p. 54,95$

Quelques jours avec moi

Marilyse Hamelin; Agathe Bray-Bourret

Première création littéraire publiée après le marquant essai Maternité: la face cachée du sexisme, le recueil de microrécits Quelques jours avec moi de Marilyse Hamelin offre de petites fenêtres ouvertes sur les moments doux-amers, tendres, drôles et déchirants de la vie de la narratrice. Tout comme les illustrations d’Agathe Bray-Bourret qui, dans des teintes de rose, proposent de petits univers où tout ne l’est pas toujours, les textes de Quelques jours avec moi racontent ces jours ponctués par la maladie et les deuils, et par les traces qu’ils laissent sur leur passage. Teintés d’honnêteté et de lucidité, les mots de Marilyse Hamelin savent nommer petits et grands malheurs et, du même souffle, alléger leur part d’ombre, révélant la réelle magie portée par l’humour comme système de survie: « Je me demande à quoi pense la plante quand, au beau milieu de la nuit, j’allume la lampe parce que j’ai peur de la mort. »

Hamac, coll. « Hamac illustré », 2021, 80 p. 18,95$

Elles se relèvent encore et encore

Julie Cunningham; Meky Ottawa

Illustré par l’artiste atikamekw multidisciplinaire Meky Ottawa, Elles se relèvent encore et encore rassemble des textes hybrides mêlant fictions et témoignages. Rencontrées par Julie Cunningham dans le cadre de la recherche doctorale de cette dernière, des femmes autochtones, âgées de 27 à 60 ans, ont partagé leurs parcours de vie marqués par les épreuves et les traumatismes. « Renouer avec sa propre histoire n’est pas chose facile et la démarche se présente le plus souvent avec une part troublante d’inconfort, mais qui s’avère nécessaire. Elles le sentent. Elles le savent. Elles le comprennent. » Émouvant, Elles se relèvent encore et encore fait partie de ces lectures fondamentales qui sensibilisent et rendent hommage, par l’art et les mots, à la résilience admirable des femmes autochtones.

Hannenorak, 2020, 60 p. 16,95$

Capitaine Aime-ton-mou

Guylaine Guay; Boum

Premier livre de la comédienne, chroniqueuse et animatrice Guylaine Guay, Capitaine Aime-ton-mou est, grâce au trait inimitable et énergique de la bédéiste Boum, la première superhéroïne de la positivité corporelle. Courageuse, résiliente et toujours prête à relever les défis que dresse devant elle la grossophobie ambiante, la sympathique Capitaine déjoue avec brio les mécanismes de victimisation et utilise l’humour pour « passer le message » de façon pacifique, mais efficace. Avec son sens de la répartie redoutable, la superhéroïne fait face à tous les scénarios d’intimidation et propose des outils pour retrouver le chemin parfois difficile de l’estime de soi. Tout ça sans jamais oublier de faire preuve d’une bonne dose d’autodérision!

Les éditions de la Bagnole, coll. « Tout-terrain », 2018, 48 p. 22,95$

Confessions d’une femme normale

Éloïse Marseille

« Je ne suis pas une très grande poète ou écrivaine… Alors je vais laisser mes dessins parler pour moi! » Tirée de l’introduction de son premier livre, Confessions d’une femme normale, cette phrase remplie d’humilité de l’autrice Éloïse Marseille perd toute sa pertinence une fois la lecture terminée. Car tout est charme dans ce roman graphique que la talentueuse artiste nous offre. Le ton, qui mêle juste ce qu’il faut d’humour à une franchise désarmante. Le style graphique affirmé, abouti, énergique et adorable. Cette façon de regarder sans détour les défis, douleurs, délices et écueils d’une vie sexuelle qui cherche à s’épanouir. À travers son récit, Éloïse Marseille fait rire et touche le lecteur tout en mettant en lumière ce sentiment de honte qui ternit trop souvent l'expression de nos désirs. Œuvre courageuse par sa charge jouissive d’honnêteté, Confessions d’une femme normale fait un bien fou. À lire et à offrir!

Pow Pow, 2022, 168 p. 24,95$

Corps vivante

Julie Delporte

Après Moi aussi je voulais l’emporter, publié aux éditions Pow Pow en 2017, Corps vivante de Julie Delporte semble, dès la lecture du titre, annoncer une prise de pouvoir de la part de l’autrice. Un état d’esprit que les mots d’Adrienne Rich, en exergue du livre, confirment d’emblée: « If you think you can grasp me, think again/My story flows in more than one direction ». Car si ce roman graphique s’amorce avec le récit des doutes et celui, plus bouleversant encore, des violences sexuelles subies, son cours nous entraîne bientôt vers la douce puissance des pensées qui se révèlent et des volontés qui s’affirment: « J’ai voulu être Tove Jansson, Courtney Barnett, Chantal Akerman… J’ai voulu être une lesbienne avant d’avoir du désir pour les femmes. Et avant de tomber amoureuse de l’une d’elles. La voilà, mon histoire. » Une histoire qu’elle illustre aussi à travers un travail d’artiste organique, minéral, rempli de couleurs, de vie et de douceur.

Pow Pow, 2022, 268 p. 35,95$

Simone Simoneau : chronique d’une femme en politique

Valérie Plante; Delphie Côté-Lacroix

Les illustrations du roman graphique Simone Simoneau : chronique d’une femme en politique ont beau être dominées par des teintes froides et douces, elles racontent une histoire de passion qui fait chaud au cœur : celle d’une femme impliquée, d’une citoyenne engagée sur un chemin semé d’embûches menant à la politique active. Difficile de ne pas y voir un rapprochement avec la vie de l’autrice et actuelle mairesse de Montréal, Valérie Plante, un contexte personnel qui ajoute à l’histoire un petit plus de crédibilité sur ce qu’un tel parcours implique pour une femme. Mise en images par le talent de Delphie Côté-Lacroix (qui nous avait aussi offert, en collaboration avec Stéphanie Lapointe, le merveilleux Jack et le temps perdu), Simone Simoneau arrive à secouer le cynisme persistant qui entoure les récits habituels de parcours politique.

XYZ, coll. « Quai no 5 », 2020, 104 p. 24,95$

Qui est Ana Mendieta ?

Christine Redfern; Caro Caron

Qui est Ana Mendieta ? Titre du seul et unique roman graphique né de la collaboration des talentueuses Christine Redfern et Caro Caron, Qui est Ana Mendieta ? est aussi une question légitime posée sur la présence des femmes dans l’histoire de l’art. Dans un style graphique d’une fabuleuse et audacieuse expressivité, les autrices revisitent la vie, les créations, les circonstances de la mort prématurée et violente de l’artiste cubaine Ana Mendieta et les doutes persistants autour de l’implication de son amoureux de l’époque dans les événements ayant entraîné celle-ci. Préfacé par Lucy R. Lippard, artiste de réputation internationale ayant bien connu Ana Mendieta, et qui exprime de façon touchante la pertinence toujours actuelle de cette histoire, Qui est Ana Mendieta ? est un livre qui fait réfléchir et qui nous habite longtemps après sa lecture.

Éditions du remue-ménage, coll. « Hors-collection », 2021, 56 p. 19,95$

Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire

Roxane Desjardins

Après un premier recueil, Ciseaux, doublement récompensé des prix Émile-Nelligan et Félix-Leclerc de poésie en 2014, l’actuelle directrice des éditions Les Herbes rouges, Roxane Desjardins, offrait en 2016 un deuxième opus, Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire. Une poésie qui exprime, certes, une jeunesse grave, assombrie, déjà fatiguée, mais dans une forme audacieuse, joueuse et inusitée qui rappelle les bulles de dialogues d’une bande dessinée : « […] Je n’ai pas de meilleur outil/l’écriture, seulement l’écriture/dans mon esprit décalé/entre mes petites mains gauches. » Rien de léger dans le propos de la poète, mais une brèche, une respiration dans la forme et les possibilités de lecture que les poèmes ouvrent au lecteur et à la lectrice. Indéniablement, ce deuxième recueil de Roxane Desjardins, finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général en 2017, s’ajoute à un catalogue d’éditeur qui se distingue par les voix singulières qui y vivent.

Les Herbes rouges, coll. « Récit », 2016, 102 p. 17,95$

Le corps de l’ombre

MC June; Marieve Grondin

Des ténèbres à la lumière. Ce sont les mots qui viennent à l’esprit à la lecture de la poésie de MC June dans Le corps de l’ombre, son deuxième recueil publié. Poète, slameur, rappeur, animateur et conférencier, c’est le rythme du slam qu’il fait sentir dans ses vers, avec une présence affirmée des assonances qui enveloppent les mots de musique: « J’ai vu une famille parfaite/une famille défaite, une femme toute refaite/Un vieux qui a toute faite, plus de dents dans bouche, un hôtel louche. » Récit de quotidiens sombres et oppressants, la poésie/slam de Mc June aborde indéniablement les thèmes de la dépression et des affres du destin mais, aussi, ceux des rêves et de la liberté, appelant avec conviction la possibilité de se sortir de la noirceur évoquée par le talent d’illustratrice de Marieve Grondin afin de réaliser ses plus lumineux désirs: « Ce tableau d’azur/ces centaines de mirages cotonneux/Ce gros rond lumineux et son coucher orangé rayonnant/comme grandiose/Ils auront créé en moi une impression d’immensité/De faire partie d’une immense cité. »

Bouton d’or Acadie, coll. « Mouton noir Acadie », 2020, 72 p. 12,95$

Distance

Collectif; Mélodie Rheault; Virginia Pesemapeo Bordeleau

« Il y aura toujours une relève pour tenir le flambeau de l’espoir ou de la vie, des artistes qui se donnent le droit de fouiller leurs jardins secrets et d’oser leur intimité, leur puissance d’expression. » Ces mots de Virginia Pesemapeo Bordeleau en préface du collectif Distance présente judicieusement la nécessité des voix littéraires lorsque la vie nous défie au détour. Rassemblant des textes poétiques qui visitent les pensées et émotions engendrées par la solitude du confinement lié à la pandémie de COVID-19, le collectif porte également les espoirs des possibles et matérialise par la fiction l’énergie et la magie de ceux qui ont su déjouer la distance par la littérature. Une distance et une solitude également exprimées par les collages de l’artiste Mélodie Rheault, où les silhouettes et les visages mis en scène semblent tournés vers l’intérieur, à la fois contemplatifs et prisonniers d’eux-mêmes. Une belle réussite de création sous contraintes et un défi bien relevé par de nouvelles plumes prometteuses.

Quartz, coll. « Carnet », 2022, 107 p. 18$

Camera lucida: chambres et antichambres

Marie Bélisle

Chambres côtoyées, mitoyennes où se révèlent, parfois, des instants inattendus. Poésie d’une énumération des espaces qui revivent sans arrêt dans le secret du cœur. Œuvre poétique habitée de croquis, mais aussi de mots; de ceux qui dessinent la mémoire tout autant que le crayon et associent les lieux aux souvenirs, aux êtres et aux temps. Voici l’inventaire que nous fait visiter Marie Bélisle dans Camera lucida: chambres et antichambres, septième recueil publié jusqu’ici chez le Noroît. Nés d’une même plume, croquis et vers s’illustrent ici, et s’expriment, arpentant le parcours intime des chambres, de « cette idée des chambres », toujours unique, incomparable à tout autre lieu de la vie quotidienne. « [...] CAMERA LUCIDA. Un clin d’œil à Barthes et à sa chambre claire, peut-être? En fait, non. Nulle photo ici, même s’il y a bien une réflexion implicite sur l’image: [...] Une chambre de lucidité paramnésique. Camera lucida, donc. »

Noroît, 2022, 75 p. 22$

Particules mélancoliques

Simon Poirier

Particules mélancoliques est un titre juste pour ce premier recueil de poèmes de Simon Poirier. On y retrouve d’entrée de jeu les lieux de l’enfance, et la calligraphie juvénile utilisée comme caractère d’impression des textes nous donne la sensation de parcourir un journal intime dans lequel sont gribouillés des élans d’âme au fil des jours, des mois et, peut-être, des années: « le contact des autres me blesse/la solitude en cuillère/j’écoute tomber les machines/derrière un écran de verre brisé ». Outre la solitude et cette sensation émouvante de vulnérabilité qui se dégage des poèmes, les illustrations, évoquant presque, parfois, des casse-têtes enfantins, donnent à l’œuvre des allures de poésie d’apprentissage, parcours de jeu se terminant sur les thèmes croisés de l’identité et de la rupture, note de fin qui apporte une touche de gravité à ce recueil débordant de sensibilité et de mélancolie.

Le lézard amoureux, 2017, 86 p. 17,95$

Mécanismes NDN d’adaptation : notes de terrain

Billy-Ray Delcourt

Dans son deuxième recueil, Mécanismes NDN d’adaptation : notes de terrain, traduit comme le précédent aux éditions Triptyque, le poète de la nation crie Driftpile Billy-Ray Delcourt revient à la charge poétique, armé des thèmes fondamentaux déjà abordés dans son premier opus. Mais si les motifs de la « queeritude » et de l’autochtonie occupaient déjà une place essentielle dans sa poésie, Mécanismes NDN d’adaptation, notes de terrain les incarne avec d’autant plus de puissance que s’y joignent l’évocation des horreurs subies et la dénonciation de la mémoire canadienne aphone. « Je veux écrire comme si la phrase était un ensemble de membres humains qui serviraient de marionnettes. » Usant de photographies, de mises en page judicieuses et d’images fortes des plus nécessaires, passant parfois même par le territoire connu de la culture populaire, Billy-Ray Belcourt secoue violemment nos perceptions dominatrices, leur impact destructeur et interpelle avec éloquence et douleur notre inertie. 

Triptyque, coll. « Queer », 2022, 114 p. 22,95$

Monuments

Vanessa Bell; Kéven Tremblay

Fort de la poésie majestueuse de Vanessa Bell et de l’art photographique de Kéven Tremblay, Monuments est une architecture de beauté où tout, de l’amorce à l’apothéose, se met en branle pour créer non seulement le mouvement du voyage mais, aussi, ces instants parfaits de fulgurance et ceux, tout aussi justes, de contemplation. Nous transportant « de la pointe Est de la Nouvelle-Écosse jusqu’à Terre-Neuve », cet exceptionnel livre d’art, porté par un souci perceptible d’une expérience de la texture et du souffle, tant dans les mots que dans les images, explore la beauté des choses simples, la symbiose des organismes et la mouvance des corps aux rythmes variables du périple, de la respiration et des retrouvailles secrètes. « […] cueillir comme écrire comme mourir est un acte d’amour et aimer nous arrache par-delà les rochers j’avance genoux lacérés de morsures salines doigts bandés en eaux froides ». Avancée résiliente, marche végétale au cœur d’une poésie du don total, Monuments happe par la puissance sans partage de ses vers et par le récit intrinsèque de son périple photographique.

Noroît, 2022, 216p. 40$

Morceaux de mémoire

Mathieu Dubé

Les médias sociaux offrent, aujourd’hui, des vitrines accessibles et universelles pour exposer le travail artistique. C’est justement sur Instagram que Mathieu Dubé a d’abord publié sa poésie avant d’avoir le bonheur de la voir rassemblée par les Éditions Sémaphore sous le titre bien à propos de Morceaux de mémoire. Constituées de mots découpés, les constructions poétiques de papier de Mathieu Dubé combinent dans un même geste littérature et art visuel, jouant avec les coupures, les textures et les coloris, pour former chaque fois un tout évocateur et créatif. Une création poétique unique dont la lecture fait souvent sourire, parfois rire, mais surprend surtout par un mélange inédit de profondeur et de légèreté. Un plaisir de lecture qui, outre la somme publiée en le très beau Morceaux de mémoire continue d’être disponible au bout des doigts, sur Instagram!

Les Éditions Sémaphore, coll. « Mobile », 2021, 224 p. 49,95$