Collections | Volume 9 | numéro 2

Littérature

Soigner le territoire

La littérature québécoise à l’ère des changements climatiques, des questions environnementales et de l’écoanxiété

Nicholas Giguère

La thématique environnementale n’est pas nouvelle en littérature québécoise. Dès le début du xxe siècle, les tenants du mouvement régionaliste chantent les beautés de la nature et proposent, dans des textes en tous points conformes à la morale catholique de leur temps, des descriptions de scènes agricoles et de contrées campagnardes. Plus tard, au tournant des décennies 1960 et 1970, une nouvelle génération d’auteurs participe à l’édification d’une littérature nationale. En plus de cristalliser, au sein de leurs œuvres, leurs revendications politiques, ces écrivains cherchent à nommer le territoire dans ses moindres détails. Par exemple, Paul-Marie Lapointe, dans son poème Arbres (1960), énumère différentes essences forestières que l’on retrouve au Québec.

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Mais les titres parus au cours de la dernière décennie se démarquent par le sentiment d’urgence qui s’en dégage : romans, recueils de nouvelles et de poèmes, pièces de théâtre et essais décrivent un monde qui risque de partir bientôt à la dérive en raison de la pollution, du réchauffement climatique, de la déforestation, des conflits armés qui dévastent des pays, etc. Les auteurs de ces œuvres on ne peut plus essentielles lancent un cri d’alarme et appellent de leurs vœux un monde meilleur qui ne serait pas menacé par l’activité humaine. La revue Collections offre un aperçu de cette production récente et protéiforme en insistant sur quelques ouvrages qui s’inscrivent, d’une façon ou d’une autre, dans la mouvance du nature writing.

Suggestions de livres

Les vents de Memramcook

SARAH MARYLOU BRIDEAU

Poète d’origine acadienne, SARAH MARYLOU BRIDEAU, active depuis de nombreuses années dans le milieu littéraire, fait paraître cette année Les vents de Memramcook, son quatrième recueil. Dans cette œuvre de maturité, non seulement l’écrivaine décortique les vicissitudes liées à l’amour à distance, mais elle met aussi en relation des lieux qu’elle a visités ou habités, comme Memramcook, un village situé dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, Montréal et Montmartre. Plus qu’un livre sur les relations sentimentales difficiles à l’ère contemporaine, Les vents de Memramcook dépeint avec justesse l’urbanité et la ruralité : au lieu de les opposer, l’autrice les associe étroitement et les fait parfois cohabiter dans un même poème. En résultent des textes surprenants où les mouvements ainsi que les excès des villes s’entremêlent aux descriptions poétiques de la nature : « goutte à goutte / le printemps me raconte / un récit de terre mouillée / ton retour impossible / les saveurs défraichies des métros de Paris /  échouées dans des bancs de neige ».

Perce-Neiges, 2022, 112 p 20 $

Vaste ciel

MICHEL X CÔTÉ

Dixième recueil de MICHEL X CÔTÉ, Vaste ciel suivi de Des eskers de beauté donne à lire des textes succincts et limpides dans lesquels l’écrivain définit son rapport à la région qui l’a vu naître : l’Abitibi-Témiscamingue. L’auteur, également parolier pour Richard Desjardins, Michel Faubert et plusieurs autres artistes, célèbre la nature boréale dans toute sa splendeur. Ruisseaux, rivières, lacs, conifères et autres essences d’arbres sont à l’honneur dans ce recueil toujours juste et méditatif : « les bouleaux ont une durée de vie / roche de celle des humains // à force / d’écrire le nom des arbres / ma main se couvre / d’écorce ». Le poète en profite aussi pour dénoncer l’insouciance des humains et les dangers qui menacent l’environnement : « on a crevé les tympans / des haut-parleurs // quelque chose va venir / à manquer // l’économie s’affaire /  à saccager l’offrande ». Huit magnifiques dessins de l’auteur séparent les deux sections de ce volume d’une grande beauté.

Quartz, 2021, 122 p. 20 $

La patience du lichen

NOÉMIE POMERLEAU-CLOUTIER

Fascinée depuis sa tendre enfance par la Basse-Côte-Nord, NOÉMIE POMERLEAU-CLOUTIER a consacré son dernier recueil, La patience du lichen, à cette région. Plus précisément, l’autrice de Brasser le varech (La Peuplade, 2017) est allée à la rencontre des personnes habitant les villages situés entre Kegaska, où la route 138 se termine, et Blanc-Sablon. Les entrevues qu’elle a menées avec les membres de ces communautés anglophones, francophones et innues constituent la matière première de La patience du lichen, qui accorde une tribune à des gens dont on connaît peu l’environnement et les problèmes auxquels ils sont confrontés. Narratifs, sociologiques, voire anthropologiques, les poèmes alternent entre souvenirs, scènes de la vie quotidienne, préoccupations sociopolitiques et descriptions de la nature nord-côtière : « dans les villages / l’hiver goûte la liberté // les journées au grand air / le poisson cuit au feu de bois / les fins de semaine de carnaval // la neige et la glace / conservent les liens / au chaud // la route / fond chaque printemps ».

La Peuplade, 2021, 264 p. 23,95 $

Manifeste céleste. Aventures spirituelles en bottes à cap

PATTIE O’GREEN dessins signés DELPHINE DELAS

Connue pour son essai Mettre la hache. Slam western sur l’inceste (Éditions du remue-ménage, 2015), PATTIE O’GREEN récidive avec Manifeste céleste. Aventures spirituelles en bottes à cap, un livre remarquable pour son écriture incisive et irrévérencieuse. Agrémenté de dessins signés DELPHINE DELAS, il propose une réflexion intime sur le rapport à la nature. Au jargon scientifique et à la langue de bois des universitaires, l’essayiste oppose une pensée décomplexée sur le travail de la terre et la croissance personnelle. Les considérations autobiographiques et politiques s’entrecroisent allègrement dans cet ouvrage caustique qui n’épargne personne, y compris les fuckboys spirituels, perçus comme des prédateurs sexuels déployant toutes sortes de stratagèmes pour arriver à leurs fins : « J’aurais dû me douter qu’il insisterait avec une telle intensité, comme avec son grattoir dans les craques du trottoir, qu’il retirerait peu à peu les défenses de ma terre pour m’amener tout entière dans ma tête, puis dans mon univers. » Avec son Manifeste céleste, Pattie O’Green jette les bases d’un programme féministe et spirituel et fait de l’horticulture une pratique politique.

Éditions du Remue-Ménage, 2021, 170 p. 19,95 $

Le petit bestiaire

MICHEL PLEAU illustré par LYNE RICHARD

Auteur d’une œuvre d’une grande importance comprenant une quinzaine de titres, MICHEL PLEAU célèbre cette année ses 30 ans de publication avec Le petit bestiaire, un recueil superbement illustré par LYNE RICHARD, une artiste accomplie de Québec. Dans ce récent ouvrage, le poète nous fait voir la faune avec ses yeux d’enfant ému et émerveillé. Comme il l’écrit lui-même : « aujourd’hui à mon tour / je voudrais dessiner / la parole des bêtes / voici le bestiaire tout simple / d’un vieil enfant / encore affamé de lumière ». Par l’évocation de souvenirs, de scènes d’enfance tantôt drôles, tantôt touchantes, Michel Pleau immortalise les animaux du quartier Saint-Sauveur, où il a grandi, dans des poèmes accessibles qui n’ont toutefois rien de simpliste et de gratuit. Ainsi, l’araignée, le chat, la chenille, le chien, le hibou, la mésange, le poisson rouge, la tortue et bien d’autres trouvent leur place dans ce bestiaire qui plaira aux petits comme aux grands.

David, 2022, 72 p 17,95 $

Il fleurit

JUSTINE LAMBERT

Les toutes jeunes Éditions Omri, qui se distinguent par leur souci pour la matérialité de l’objet-livre, ont lancé en 2021 le premier recueil de JUSTINE LAMBERT, Il fleurit. Dans cette œuvre d’une grande sobriété qui rappelle à maints égards la Flore laurentienne, de Marie-Victorin, la poète explore le Grand Nord et note au passage les particularités géographiques et végétales remarquables de ce territoire : « j’appréhende le goût de la salicorne / aux abords des côtes / devine l’arôme du raisin-d’ours / qui n’existera que pour moi ». Pour l’autrice, l’observation de la nature est loin d’être anodine. Elle lui permet de garder en mémoire les moments précieux qu’elle a passés avec son grand-père et de traverser l’épreuve du deuil : « à sa mort / l’urgence / de transplanter ses vivaces // près des érables / il fleurit ». Recueil poignant sur le deuil et les pouvoirs de la nature, Il fleurit est magnifiquement illustré par l’autrice elle-même.

Omri, 2021, 57 p. 20 $

Chasseur au harpon

MARKOOSIE PATSAUQ

Considéré comme le premier roman en inuktitut jamais publié au Canada et comme un classique de la littérature autochtone, Chasseur au harpon, de MARKOOSIE PATSAUQ, est d’abord paru, entre 1969 et 1970, dans trois livraisons de l’Inuktitut Magazine. Cet ouvrage fondateur est désormais disponible en français grâce au travail colossal de Valerie Henitiuk et de Marc-Antoine Mahieu, qui signent la traduction, établie à partir du texte original. Récit d’aventures, Chasseur au harpon raconte l’histoire de chasseurs qui se lancent à la poursuite d’un ours polaire dangereux. Parmi ces hommes, il y a le jeune Kamik, qui rêve de devenir aussi habile que son père et ses semblables à la chasse. Les actions des Blancs, qui s’approprient et saccagent le territoire nordique, menacent l’existence des membres de leur communauté. Est-ce que leur environnement sera longtemps préservé de l’intrusion de la modernité ? C’est ce que révèle le livre de l’écrivain et pilote d’avion Markoosie Patsauq, préfacé par Mary Simon, ancienne présidente du Conseil circumpolaire inuit.

Boréal, 2021, 128 p. 19,95 $

Le fil du vivant

ELSA PÉPIN

Après Quand j’étais l’Amérique (XYZ, 2014) et Les sanguines (Alto, 2016), ELSA PÉPIN publie Le fil du vivant, un roman tout en oppositions et en contrastes dans lequel le personnage principal, Iona, est déchiré entre ses obligations maternelles et son désir de liberté. À ce drame personnel se superpose une catastrophe environnementale : un véritable déluge s’abat sur le Québec et menace la survie de l’espèce humaine. Nils, le conjoint de Iona, prend les choses en main : il emmène les membres de sa famille ainsi que quelques proches dans une propriété luxueuse, située dans le nord du Québec. Loin de la civilisation, les protagonistes, surtout Iona, s’émerveillent devant les beautés de la forêt boréale. Il s’agit certainement des passages les plus poétiques du roman. Toutefois, les tensions montent et deux clans se forment : ceux qui veulent maintenir leur vie luxueuse d’avant et ceux qui s’adaptent à la situation. Que faire en cas de crise ? Voilà la question à laquelle ce roman apporte des réponses essentielles.

Alto, 2022, 232 p. 25,95 $

Un conte de l’apocalypse

ROBERT MARINIER

Dramaturge, acteur et metteur en scène, le prolifique ROBERT MARINIER, natif de Sudbury, revient à la charge avec Un conte de l’apocalypse, une fable écologique grinçante. Dans un futur plus ou moins lointain, les changements climatiques ont entraîné des conséquences dévastatrices : la fonte des glaciers a causé des inondations meurtrières ; les épisodes de sécheresse rendent toute forme d’agriculture impossible ; les quelques habitants qui restent, affamés, se rebellent ; pour leur part, les forces de l’ordre se montrent incapables de contrôler les émeutes, tandis que du côté de l’État, on cherche à réprimer sévèrement toutes les personnes qui ont nié les changements climatiques. Guy Coudonc, personnage au centre de cette intrigue rocambolesque, ignore totalement la catastrophe planétaire, mais pourra-t-il longtemps vivre ainsi ? Pièce à l’humour décapant sur les conséquences possibles de nos choix actuels, Un conte de l’apocalypse met en relief notre aveuglement face à la crise environnementale.

Prise de parole, « coll. Théâtre », 2021, 155 p. 18,95 $

La blessure

GABRIELLE LESSARD

Avec La blessure, son plus récent ouvrage, GABRIELLE LESSARD, dramaturge d’origine beauceronne, démontre une fois de plus que les enjeux sociopolitiques contemporains la fascinent. Dans cette œuvre foisonnante, l’autrice met en scène Anne, une journaliste d’enquête écoanxieuse atteinte d’un cancer. Alors qu’elle est sur le point de subir son premier traitement, la protagoniste se sauve à toutes jambes. Béa, sa mère, Chloé, sa sœur, et Josiane, sa conjointe, tentent de la con-vaincre de retourner à l’hôpital. La situation s’envenime lorsque Anne doit affronter les préjugés de ses proches et leur manque de sensibilité aux questions environnementales. La dynamique familiale dysfonctionnelle et les nombreux conflits entre les personnages reflètent d’ailleurs bien la polarisation des débats entre écoanxieux et climatosceptiques. Ambitieuse, la pièce La blessure jette un regard plus que juste sur l’écoanxiété et ses conséquences sur les sphères de l’existence. Elle impose aussi Gabrielle Lessard comme l’une des plus grandes créatrices du milieu du théâtre québécois, de plus en plus interpellé par les questions d’ordre politique.

Somme toute, 2022, 184 p. 19,95 $

Défricher l’aube

DOMINIQUE ZALITIS

Les préoccupations environnementales sont au centre de Défricher l’aube, le quatrième recueil de poèmes que DOMINIQUE ZALITIS fait paraître aux Éditions David. Dans cet opus, la poète québécoise d’origine lettone propose un véritable réquisitoire pour la survie de l’espèce humaine ainsi que pour la préservation de la faune et de la flore. Dans des proses poétiques brèves, ciselées et lapidaires, l’écrivaine décrit l’état du monde actuel, de plus en plus fragilisé par les industries polluantes, l’inaction gouvernementale et l’inconscience humaine. Qui plus est, elle réclame coûte que coûte des changements avant qu’il ne soit trop tard. Politique, volontiers sombre, cette poésie comporte aussi sa part de lumière. En effet, l’autrice énonce quelques pistes de solution aux problèmes environnementaux et se montre optimiste malgré tout : « Nous devrons réinitialiser le chiffrier. Réunir les fruits dans le désordre, sans connaître leur nom. Ramasser la chicorée au bord des routes et moudre les racines oppressantes des villes. Avoir, pour demeure, des chants d’abeilles et des passerelles invisibles. Un pays plus vaste que la terre. »

David, « coll. Poésie », 2021, 72 p. 17,95 $

Projet TERRE

NELSON CHAREST, MICHEL THÉRIEN

Paru sous la direction de NELSON CHAREST, professeur au Département de français de l’Université d’Ottawa, et de MICHEL THÉRIEN, poète chevronné, le collectif Projet TERRE donne la parole à une trentaine d’auteurs québécois, franco-canadiens et autochtones, dont Martine Audet, Maya Cousineau Mollen, Daniel Groleau Landry, Chloé LaDuchesse, Georgette LeBlanc, Maude Pilon et Véronique Sylvain. Ces écrivains s’expriment de façon différente sur le sort que nous réservons à la planète : ils mettent en mots leurs angoisses et leurs espoirs tout en insistant sur le sentiment d’urgence actuel et sur les catastrophes écologiques qui nous guettent. Oscillant entre douceur et douleur, appel à la mobilisation et plainte, rage et désespoir, les nombreux poèmes de ce florilège reflètent une même volonté, une même conviction profonde : « l[e] besoin d’agir et de participer à une grande entreprise de sauvetage – la plus grande, peut-être, que l’humanité ait connue ». Plurielle, cette véritable anthologie s’avère essentielle pour les personnes qui s’intéressent de près ou de loin à l’environnement.

David, 2021, 174 p. 21,95 $

En cas d’incendie, prière de ne pas sauver ce livre

CATHERINE VOYER-LÉGER

Publié chez Prise de parole, En cas d’incendie, prière de ne pas sauver ce livre a été dirigé de main de maître par CATHERINE VOYER-LÉGER, bien connue dans le milieu littéraire. Les 12 auteurs qui ont collaboré à ce projet analysent, dans des essais narratifs très personnels et lucides, la crise climatique dans tous ses paradoxes. Par la même occasion, ils témoignent de leur rapport complexe à l’environnement, souvent teinté de colère, de résignation ou de culpabilité. Parmi les contributions les plus percutantes du volume, mentionnons celle de Mishka Lavigne, axée sur la surconsommation ; celle de Le R Premier, un rappeur et slameur de l’Ontario francophone, qui propose une réflexion sur les biens matériels ; enfin, celle de Ouanessa Younsi, qui s’adresse à son fils dans une lettre émouvante. Intimistes, mais pas larmoyants, engagés sans être trop politiques, les textes évitent le ton moralisateur et brossent un portrait nuancé de l’une des plus grandes crises du xxie siècle.

Prise de parole, 2021, 98 p. 12 $