Collections | Volume 9 | numéro 1

Essai

Nos vies numériques

Essais québécois contemporains et livres pratiques récents sur les nouvelles technologies

Nous n’avons certainement pas encore mesuré l’ampleur des changements qu’ont entraînés les nouvelles technologies sur toutes les facettes de nos vies. Depuis la deuxième moitié de la décennie 1990, au moment où l’accès à Internet s’est démocratisé, notre quotidien, nos méthodes d’apprentissage, notre travail et même notre relation à la société en général ont été complètement transformés par le numérique.

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Si une telle révolution présente de nombreux bienfaits – augmentation de la production, meilleur accès à l’information, facilitation du partage et de la diffusion des connaissances, abolition des frontières et des distances entre les individus, les pays, etc. –, certains spécialistes demeurent dubitatifs et sonnent même l’alarme. En passant une grande partie de notre temps devant notre cellulaire ou notre ordinateur, est-ce que nous ne nous coupons pas de toute forme de contact humain réel ? En plaçant ces appareils au cœur de nos vies, ne risquons-nous pas de nous déshumaniser progressivement ? Comment les nouvelles technologies ont-elles changé le monde, pour le meilleur et pour le pire ? Qu’ont réellement apporté le numérique et l’intelligence artificielle au monde du travail, au milieu des arts ?

Voici quelques essais et livres pratiques qui s’attardent à ces questions capitales et  soulèvent bien d’autres enjeux incontournables. Il s’agit d’un échantillon représentatif des meilleures publications sur le sujet au Québec.

Suggestions de livres

Le code Québec. Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde

Jean-Marc Léger, Jacques Nantel, Pierre Duhamel et Philippe Léger

Basée sur des sondages récents portant sur des sujets aussi divers que la pandémie et l’impact des nouvelles technologies, l’édition entièrement remaniée du guide Le code Québec. Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde, de Jean-Marc Léger, Jacques Nantel, Pierre Duhamel et Philippe Léger, révèle que le Québécois moyen est un être heureux, consensuel, détaché, victime (il a peur du risque), villageois (il prêche pour son clocher), créatif et fier. L’étude statistique fait aussi la part belle aux représentants de la génération Z, ces milléniaux nés « un écran à la main ». Grâce aux tableaux reproduits dans le volume, il est possible d’en savoir plus sur les préférences et les compétences technologiques de ces jeunes. Ainsi, 82 % des personnes âgées de 13 à 17 ans et 84 % des 18-24 ans utilisent couramment Instagram. Une mine d’or pour découvrir qui sont les Québécois d’aujourd’hui.

Éditions de l’Homme, 2021, 320 p. 29,95 $

Les écrans. Usages et effets, de l’enfance à l’âge adulte.

Stéphane Labbé

Les écrans. Usages et effets, de l’enfance à l’âge adulte est un tout petit livre qui va droit au but pour répondre à une question : quelles sont les conséquences — potentiellement graves — de la surexposition aux écrans pour les enfants, les adolescents et les adultes ? Les nombreuses réponses à ce sujet touffu sont transmises par Stéphane Labbé, un chercheur postdoctoral en culture et en communications à l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui travaille comme conseiller stratégique et qui enseigne dans plusieurs universités québécoises. Conscient du clivage entre les protechnologies, qui vantent les nouveaux outils de communication en parlant d’une quatrième révolution industrielle, et leurs détracteurs, qui vont parfois très loin pour illustrer les dérives du phénomène, l’auteur prêche pour les faits, la science et la rationalité. Il aborde non seulement l’influence des écrans sur le cerveau et le bien-être, mais également son impact sur le sommeil, le développement, la violence et la sexualité. Très loin des ouvrages foisonnants, élitistes et souvent trop longs, son livre est une plaquette qui va à l’essentiel.

Fidès, 2020, 110 p. 19,95 $

Le minimalisme numérique. Se reconnecter à l’essentiel dans un monde saturé

Cal Newport

Vous considérez-vous comme dépendant de votre téléphone intelligent ? Éprouvez-vous de la difficulté à décrocher de vos écrans ? Restez-vous toujours à l’affût des moindres nouvelles, commentaires et likes qui peuvent surgir sur les réseaux sociaux ? Si vous répondez par l’affirmative à l’une ou l’autre de ces questions, peut-être devriez-vous lire Le minimalisme numérique. Se reconnecter à l’essentiel dans un monde saturé, de Cal Newport. L’auteur, également professeur d’informatique à l’Université de Georgetown, définit ce mouvement comme une philosophie selon laquelle le temps passé en ligne doit être optimisé et concentré uniquement sur un nombre restreint d’activités. Il suggère de procéder à un « grand ménage technologique » et prodigue de judicieux conseils pour les personnes voulant atteindre cet objectif : laisser son téléphone à la maison, éviter de cliquer sur « J’aime » sous chacune des publications, regrouper les activités sur les réseaux sociaux durant une période déterminée, s’accorder une pause plus ou moins prolongée d’Internet, adopter l’approche slow media, etc. Ce faisant, Newport invite les lecteurs à repenser leur rapport aux écrans et aux médias en général.

Éditions de l’Homme, 2020, 256 p. 29,95 $

Survivre au XXI e siècle. Rester humain à l’ère du numérique

Stéphane Garneau

S’inspirant de son expérience personnelle, misant sur son expertise en tant que chroniqueur spécialisé en culture numérique à la radio, Stéphane Garneau propose, en cette période de perte de repères, Survivre au XXI e siècle. Rester humain à l’ère du numérique, un mode d’emploi à l’égard des technologies. Riche, documenté et instructif – on y apprend notamment que la nomophobie est la peur panique d’avoir perdu son téléphone –, l’ouvrage déboulonne plusieurs idées reçues véhiculées au sujet des réseaux sociaux. Ces derniers, très utiles, peuvent également causer des dérives : flot continu de contenus peu pertinents et de fausses nouvelles, polarisation à l’extrême des idées et des opinions, procrastination. Préfacé par Pierre-Yves McSween, Survivre au XXIe siècle est, comme son titre l’indique, un guide de survie pour les personnes aspirant à une existence épanouie qui n’est pas assujettie au nombre de likes et au culte de la célébrité.

Éditions de l’Homme, 2019, 208 p. 24,95 $

On peut plus rien dire. Le militantisme à l’ère des réseaux sociaux.

Judith Lussier

Avec les réseaux sociaux sont apparus des militants nouveau genre : les social justice warriors, comme les appelle Judith Lussier dans On peut plus rien dire. Le militantisme à l’ère des réseaux sociaux. Très réactifs, ils ne ratent jamais une occasion de faire valoir leur point de vue et de défendre les droits des communautés marginalisées, par exemple les Noirs et les personnes LGBTQ+. Journaliste et chroniqueuse aguerrie, l’autrice dresse un portrait tout en finesse de ces militants de gauche : elle s’éloigne radicalement de la caricature pour révéler le vrai visage de ces personnes qui placent leur quête d’égalité et de liberté au-dessus de tout, quitte à s’épuiser ou à adopter des stratégies discutables… « Les principes du guerrier », l’une des meilleures sections de l’ouvrage, renferme un lexique des termes et expressions qu’on retrouve dans la bouche ou sous la plume de ces activistes. Des entretiens avec des social justice warriors complètent merveilleusement l’ouvrage.

Cardinal, 2019, 224 p. 24,95 $

Nouveau traité de sécurité. Sécurité intérieure et sécurité urbaine

Maurice Cusson, Olivier Ribaux, Étienne Blais et Michel Max Raynaud

Pour le colossal Nouveau traité de sécurité. Sécurité intérieure et sécurité urbaine, les chercheurs Maurice Cusson, Olivier Ribaux, Étienne Blais et Michel Max Raynaud ont réuni une grande équipe d’universitaires québécois et européens qui rendent compte des plus récentes découvertes dans le champ des études sur la (cyber)sécurité et la criminalité. Bien qu’elle aborde des sujets bien connus des spécialistes, tels que la sécurité routière, les rôles du gendarme, le crime organisé, les fraudes dans le monde du sport et les méthodes pour contrôler les manifestations, cette édition revue et augmentée met en relief les questions relatives à la cybersécurité. Après un court chapitre introductif, qui définit les notions mobilisées, les auteurs décortiquent, entre autres, les rôles des nouvelles technologies dans la prévention et la répression du terrorisme, l’importance cruciale des mégadonnées dans la résolution d’affaires criminelles (dont les crimes économiques), etc. Exhaustive, cette somme intéressera autant les spécialistes que les étudiants en criminologie et en droit.

Hurtubise, 2019, 576 p. 44,95 $

L’intelligence artificielle et les mondes du travail. Perspectives sociojuridiques et enjeux éthiques

Jean Bernier

Jusqu’à quel point les mégadonnées sont-elles importantes dans les milieux de travail aujourd’hui ? Comment peuvent-elles s’avérer utiles ? De quelles façons l’intelligence artificielle transforme-t-elle les chaînes de production dans les usines et crée-t-elle des inégalités chez les employés ? À quels défis sont confrontés les gestionnaires des ressources humaines à l’ère du « 4.0 » ? Est-il possible de légiférer le travail numérique ? Existe-t-il, tant pour les patrons que pour les employés, une forme d’encadrement juridique pour le droit à la déconnexion et au repos ? Autant de questions fort pertinentes auxquelles répondent les collaborateurs au recueil d’essais L’intelligence artificielle et les mondes du travail. Perspectives sociojuridiques et enjeux éthiques, dirigé par Jean Bernier, professeur retraité de l’Université Laval. Croisant les perspectives théoriques, les auteurs s’interrogent sur la place grandissante de l’intelligence artificielle et des technologies dans les milieux de travail contemporains. Le cas d’Uber, extrêmement riche, est étudié en profondeur. À lui seul, il vaut le détour !

Les Presses de l’Université Laval, 2021, 232 p 30 $

Le journaliste béluga. Les reporters face à l’extinction

Mathieu-Robert Sauvé

Journaliste chevronné, auteur de plusieurs centaines d’articles publiés dans dif férents périodiques, Mathieu-Robert Sauvé livre, avec Le journaliste béluga. Les reporters face à l’extinction, un vibrant plaidoyer en faveur de sa profession menacée, entre autres choses, par la baisse des revenus publicitaires au sein des entreprises de presse, les exigences du marché, le vedettariat et la désinformation. Sérieux sans être alarmiste, Sauvé, en bon journaliste, rapporte les faits, fournit de nombreux exemples – chiffres à l’appui – et démontre que ses collègues et lui exercent leur métier dans des conditions on ne peut plus précaires : abolitions de postes, disparition progressive du journalisme scientifique, concurrence des médias sociaux. L’auteur en profite pour critiquer au passage le journalisme narcissique, les contenus sensationnalistes, ou encore les anciens joueurs de hockey qui deviennent de soi-disant journalistes. Il se montre aussi admiratif devant de grands ténors, parmi lesquels Pierre Foglia, qui ont accordé leurs lettres de noblesse à la profession. Un essai vrai et grinçant comme il s’en écrit peu aujourd’hui.

Leméac, 2020, 204 p. 24,95 $

Écrans motiles

Sylvain Campeau

Tour à tour poète, essayiste, critique d’art et commissaire d’expositions, Sylvain Campeau offre, avec Écrans motiles, une suite à son livre Chambres obscures (1995), dans lequel il examinait les rapports entre photographie et installation. Cette fois-ci, il se penche sur des artistes québécois, canadiens et même américains qui intègrent, d’une façon ou d’une autre, la vidéoprojection à leur pratique. Loin du catalogue d’exposition ou de l’ouvrage savant, Écrans motiles s’avère plutôt un essai libre et personnel dans lequel l’auteur, qui connaît fort bien le milieu de l’art contemporain, consacre chacun des 11 chapitres à l’œuvre d’un artiste en particulier. On apprend ainsi que Mireille Baril utilise la technique de la camera obscura pour ses productions ; que Manon Labrecque a recours à la vidéo, au son et au dessin pour ses installations ; que Stan Douglas repousse les limites du cinéma traditionnel. Accessible, ce livre fait décou-vrir une pléthore d’artistes contemporains majeurs, dont Milutin Gubash, qui utilisent les technologies à leur disposition pour renouveler leur rapport à l’art.

Les Presses de l’Université de Montréal, 2022, 280 p. 39,95 $

L’âge des postmachines

Isabelle Boof-Vermesse et Jean-François Chassay

« Comment l’imaginaire contemporain s’est-il emparé de la machine ? ». Voilà la question à laquelle répondent les 17 textes du collectif L’âge des postmachines, paru sous la direction d’Isabelle Boof-Vermesse et de Jean-François Chassay, tous deux professeurs de littérature. À la fois fantasme, objet presque inaccessible et fruit d’une quête d’absolu débouchant souvent sur l’impossible, la machine nourrit nos imaginaires depuis des siècles : elle en dit long sur notre rapport au monde et se décline en plusieurs récits et représentations. Ces dernières sont au cœur de cet essai savant, qui mobilise plusieurs approches méthodologiques et convoque la littérature, le cinéma, la bande dessinée, la science-fiction et les réseaux sociaux. Des œuvres littéraires de Richard Powers et de David Foster Wallace aux téléséries Star Trek et Fringe, en passant par Achille Talon et Gaston Lagaf fe, personnages inoubliables, L’âge des postmachines propose des analyses fouillées de moult productions culturelles, tant légitimées que populaires, qui expliquent notre rapport souvent conflictuel aux technologies.

Les Presses de l’Université de Montréal, 2020, 306 p. 34,95 $

Pour  que tu mèmes encore. Penser nos identités au prisme des mèmes numériques

Megan Bédard et Stéphane Girard

Megan Bédard, doctorante en études sémiotiques à l’Université du Québec à Montréal, et Stéphane Girard, professeur de littérature et de sémiologie à l’Université de Hearst, en Ontario, invitent les lecteurs à se plonger dans la culture populaire avec Pour  que tu mèmes encore. Penser nos identités au prisme des mèmes numériques. Réunis- sant 11 auteurs, ce collectif, qui inaugure la collection « Cultures vives » aux Éditions Somme toute, s’impose comme le premier livre francophone sur les mèmes, ces fragments de culture populaire (américaine surtout) remodelés, resignifiés et diffusés à grande échelle sur les réseaux sociaux. Moyens inusités de communication, stratégies pour attirer l’attention et entités numériques, les mèmes s’inspirent largement d’objets culturels, par exemple la musique populaire et les dessins animés, et critiquent souvent l’actualité sociopolitique récente : c’est ce qu’illustrent Simon Fitzbay et Mireille Lalancette dans leur article sur l’élection fédérale canadienne de 2019. Les mèmes sont également « des vecteurs d’appartenance à une communauté », aussi virtuelle soit-elle : ils pallient le manque de contacts sociaux en temps de crise. Pleins feux sur un phénomène culturel qui n’a pas fini de nous étonner.

Somme toute, 2021, 248 p. 27,95 

La culture enclavée. Art, argent, marché

Claude Vaillancourt

« Avec le développement des nouvelles technologies, avec la numérisation d’innombrables œuvres d’art, on semble avoir résolu de façon inattendue les dif f icultés d’archivage et de distribution. La production artistique est plus abondante que jamais. Tout indique que nous vivons dans un véritable eldorado culturel ». Pourtant, tout n’est pas aussi rose dans le milieu de la culture, comme le soutient Claude Vaillancourt dans son plus récent essai La culture enclavée. Art, argent, marché. Le problème majeur réside dans l’avènement d’une culture industrielle qui carbure aux algorithmes, étouf fe toute forme de diversité et impose des productions conformistes. À ce nivellement par le bas et à cette hégé-monie, l’essayiste, également membre du comité de rédaction de la revue À bord !, oppose l’ouverture d’esprit et l’exploration de nouvelles avenues culturelles. Il suggère aussi que les artistes, victimes de la dif fusion gratuite de leur travail sur Internet, en finis-sent avec le tabou de l’argent et repensent leur rapport au financement. Fouillé, documenté et engagé, La culture enclavée regorge d’informations, de réflexions et de pistes de solution pour les travailleurs du monde de la culture.

Somme toute, 2019, 296 p. 29,95 $