Collections | Volume 7 | numéro 4

Article de fond

Une lecture accessible et adaptée

pour tous !

Stéphane Labbé

Les valeurs et principes de la diversité et de l’inclusion sont au cœur même de la mission des bibliothèques de par le monde, et ce, depuis leurs origines. En fait, donner accès aux savoirs et à la culture à tous constitue, pour le bibliothécaire, bien plus qu’une mission : cela s’inscrit dans la nature même de ses fonctions.

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Au Québec, le véritable déploiement du réseau des bibliothèques publiques autonomes et affiliées s’est effectué à compter des années 1980 au moment de l’adoption de la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre. Par  l’adoption de ces mesures, on a souhaité offrir au public le meilleur accès possible aux bibliothèques sur l’ensemble du territoire québécois. Force est de constater que l’objectif a été atteint avec brio : plus de 95 % de la population québécoise a accès à une   bibliothèque près de chez elle.

À cet accès géographique s’est conjugué l’élargissement d’une pluralité de documents par le développement des collections de livres, de périodiques, de documents audio et audiovisuels et, plus récemment, des collections numériques. Plus encore, on aura multiplié cette variété de documents par la diversification des formats, toujours dans une optique de diversité et d’inclusion.

C’est d’ailleurs en cohérence avec ces principes que dès le début du XXe siècle au Québec, on verra naître des collections de livres destinées aux malvoyants. Aujourd’hui desservies par le Service québécois du livre adapté (SQLA) de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), ces clientèles bénéficient d’un accès à un plus grand nombre de documents – et également à d’autres services – qui ont été adaptés à leur handicap.

Ainsi, le livre dit accessible – ou adapté – fait partie de la réalité du secteur du livre depuis belle lurette. Ça fait quelque temps qu’on discute de son avenir de façon plus intense et cela n’est pas étranger au fait que le gouvernement canadien soit l’un des signataires du Traité de Marrakech. L’objectif de ce traité est de « faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux œuvres publiées1 ». Très concrètement, le Traité de Marrakech vise principalement à fournir un accès plus grand aux savoirs et à la culture (les œuvres publiées) à ces clientèles, notamment en incitant les États à se concerter pour identifier les meilleures façons d’y arriver.

Aujourd’hui, 60 pays ont signé le Traité de Marrakech, dont le Canada. Ce faisant, ces pays se sont engagés à transformer leurs législations nationales sur le droit d’auteur et à mettre en place des dispositifs institutionnels permettant une plus grande accessibilité du livre pour les aveugles et les malvoyants. C’est dans ce contexte que le ministère du Patrimoine canadien a mis sur pied différents programmes permettant l’étude de ce secteur ainsi que la production d’œuvres dans un format accessible. C’est d’ailleurs sous cette impulsion que l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) a commandé une étude visant à dresser le portrait du livre accessible francophone au Canada.

Qu’est-ce qu’un livre accessible (adapté) ?

Du début du XXe siècle à nos jours, en plein cœur d’une économie numérique en fort développement, l’idée même du livre accessible (ou livre adapté) aura beaucoup évolué et cela invite à définir ce qu’on entend par « livre accessible » aujourd’hui.

Il faut savoir que les malvoyants ont d’abord eu accès à des livres au format braille. S’est ensuite imposé un format audio (le format Daisy) : ce dernier permet aux utilisateurs possédant une déficience perceptuelle de naviguer facilement dans la structure du document qu’ils souhaitent consulter. Plus précisément, les changements de page, de chapitre, la pose d’un signet ou encore la navigation dans la table des matières d’un ouvrage sont possibles. Dans la majorité des cas, un appareil adapté (Victor) ou un logiciel adapté (Victor Soft) doivent être utilisés. Aujourd’hui, le format audio (Daisy) constitue le format le plus prisé par les malvoyants.

Par ailleurs, le format audio permet également à d’autres clientèles d’accéder à des documents correspondant à leur situation : l’exemple d’un enfant souffrant de dyslexie est explicite, celui-ci peut utiliser un logiciel de synthèse vocale appliqué au fichier PDF d’un document (le logiciel fait alors la lecture du texte à l’enfant).

La forte présence du format audio à titre de format permettant l’accessibilité aux œuvres par des clientèles souffrant d’un handicap ou d’un trouble de l’apprentissage invite à préciser la définition même du livre audio destiné au grand public afin de le distinguer des formats dont nous avons discuté ici et qui sont dits accessibles ou adaptés.

Le livre audio destiné au grand public se retrouve sous forme matérielle (un CD) ou sous forme numérique (différents types de fichiers, notamment le format MP3). On peut se les procurer chez un détaillant qui a pignon sur rue ou chez un détaillant en ligne. Précisons que la majorité de ces formats numériques destinés au grand public n’offrent pas les fonctionnalités nécessaires à une lecture adaptée.

Vous l’aurez compris, la possibilité d’élargir les collections de livres accessibles aux clientèles qui en ont besoin en adaptant le produit destiné au grand public semble constituer une avenue prometteuse, notamment parce qu’elle permet, en cohérence avec les valeurs de diversité et d’inclusion, de mieux servir ces clientèles, mais également parce qu’elle pourrait se développer naturellement par l’émergence d’un marché audio dans le secteur du livre. Pour y voir plus clair, nous présentons ici un portrait pour chacun des secteurs que sont le livre accessible et le livre audio.

L’offre de livres accessibles aujourd’hui

En plus des formats audio mentionnés, les livres accessibles incluent également des formats visuels adaptés à une clientèle éprouvant certains problèmes de vision ou de lecture. On pense entre autres aux livres imprimés en braille, en gros caractères ou pour les troubles de lecture. Le format DAISY, déjà évoqué, est offert en trois formats, soit le format audio, où le texte est narré, le format textuel qui « s’affiche » sur une page tactile (un périphérique affiche ainsi en relief du texte en braille, une ligne à la fois), et le format dit intégral, qui comprend les deux. Certains formats numériques, notamment le ePub, permettent aussi de modifier l’apparence du texte pour l’adapter à une condition visuelle, d’activer la lecture audio

Au Québec, on retrouve deux principaux diffuseurs, soit le Service québécois du livre adapté (SQLA) offert par la BAnQ et le service DONA (DOcument Numérique Accessible) de Copibec.

du document par synthèse vocale (pour les ePUB-3) et de naviguer à l’intérieur de la même manière qu’avec un fichier DAISY. Si plusieurs estiment ce nouveau format (ePub3) plus prometteur et plus facile à créer pour les éditeurs, il semble que ce format soit moins adapté pour les franges de la population mal à l’aise dans un environnement numérique, notamment les personnes âgées. Les verrous numériques qu’ils contiennent peuvent également présenter un frein à leur accessibilité.

Au Québec, on trouve deux principaux diffuseurs, soit le Service québécois du livre adapté (SQLA) offert par BAnQ et le service DONA (DOcument Numérique Accessible) de Copibec. Si le premier est le point central de l’approvisionnement pour les usagers du livre accessible au Québec, le second dessert essentiellement le milieu institutionnel, soit les écoles du niveau primaire à universitaire. Ailleurs au Canada, c’est le Centre d’accès équitable aux bibliothèques (CAÉB) qui diffuse les livres accessibles.

À l’heure actuelle, ce sont près de 32 000 exemplaires de livres adaptés sur support matériel que l’on trouve dans les rayonnages du SQLA. Cela comprend les livres audio sur disque et les livres en braille. Le service dispose également d’un peu plus de 26 000 fichiers numériques.

Du côté de Copibec, le service DONA, qui est destiné aux milieux scolaires, comporte un catalogue un peu moins étoffé, soit 1387 titres en 2019. Son service payant, mais abordable (6 $ de frais de service plus la moitié du prix du livre papier) permet aux étudiants, aux parents d’élèves ou aux établissements scolaires d’obtenir une version numérique d’un manuel ou de tout autre livre au programme, qu’on peut notamment lire à l’aide d’un logiciel de synthèse vocale. La majorité des ouvrages disponibles provient des deux principaux éditeurs scolaires du Québec.

Le Service québécois du livre adapté (SQLA)

Depuis 2005, les individus ayant une déficience perceptuelle ont accès gratuitement au catalogue de livres adaptés du SQLA. Ce service n’est cependant disponible que pour les personnes ayant une déficience perceptuelle connue ou qui souffrent d’un trouble de l’apprentissage ou d’inaptitudes résultant d’un traumatisme crânien. Il faut également résider au Québec pour s’en prévaloir.

Le mandat du SQLA est de servir d’intermédiaire. Ainsi, il met à la disposition du public des livres accessibles, mais n’en assure pas la production. À la politique de développement des collections de BAnQ et aux demandes spéciales de ses usagers, il ajoute régulièrement de nouveaux titres à son inventaire. Étant partenaire du Centre d’accès équitable aux bibliothèques (CAÉB), le SQLA peut s’y procurer certains ouvrages. Il partage également son catalogue avec celui du Accessible Books Consortium (ABC). Pour les titres en demande inexistants sous une forme adaptée, le SQLA les commandera chez un fournisseur externe. Il faut environ trois mois pour produire un livre accessible.

Le catalogue du SQLA comprend des livres, périodiques et d’autres produits culturels. On y trouve des documents en format braille intégral ou en braille abrégé, mais aussi des partitions en braille musical. 

Le catalogue du SQLA comprend des livres, des périodiques et d’autres produits culturels. On y trouve des documents en format braille intégral ou en braille abrégé, mais aussi des partitions en braille musical. Il y a, en plus des fichiers DAISY, des livres audio au format MP3 et des livres imprimés en gros caractères. Le SQLA fournit également une multitude de ressources en ligne.

Pour faciliter l’accessibilité des œuvres offertes, il est possible de commander en ligne, par courriel ou par téléphone. La livraison de livres par la poste est également une option, tout comme le téléchargement en ligne s’il s’agit d’un format numérique. Actuellement, les usagers commandent surtout par téléphone et 85 % d’entre eux privilégient un support physique. Toutefois, la demande pour les livres en braille tend à chuter, et le SQLA prête de plus en plus des livres au format DAISY, surtout par téléchargement numérique. L’emprunt en ligne des ressources du SQLA comporte un point particulièrement intéressant : un système automatisé permet aux usagers de définir un profil de lecture et de recevoir des recommandations adaptées à leurs goûts, un peu à la manière du système de l’office dans l’industrie du livre.

Pour s’abonner au SQLA, il faut d’abord fournir à BAnQ un certificat médical attestant d’une déficience perceptuelle ou d’un trouble de lecture. Une entrevue est ensuite organisée avec un technicien, ce qui permet entre autres choses de connaître le profil de lecture de l’usager. L’inscription est ensuite complétée et l’usager peut emprunter les documents du SQLA. Le processus d’abonnement ne peut pas se faire en ligne.

Le livre audio au Québec et ailleurs dans le monde

Si le livre audio est encore loin d’être un marché aussi prolifique que son homologue papier, on note une tendance à la hausse pour la consommation de ce type de produit.

En France, le livre audio représente 5 % de l’ensemble du marché du livre, et ceux qui en consomment n’écoutent qu’un ou deux livres par année. Toutefois, la tendance pourrait bien s’inverser, puisque ce sont 21 % des Français qui se disent intéressés par l’idée d’écouter un livre audio. L’offre est également bien présente. Les Français ont pu voir récemment apparaître la marque Lizzie, une création du groupe EDITIS, qui produit des livres audio en français, en adaptant des livres de tous les genres. Elle publie depuis 2018 près de 200 titres par année, au format MP3, que l’on peut se procurer à l’unité ou via un abonnement. Lizzie rivalise avec Audiolib, une maison de livres audio fondée en 2008 qui possède un catalogue d’environ 600 titres.

Aux États-Unis, c’est 10 % du marché du livre qui est désormais accaparé par les livres audio. Les auditeurs écoutent en moyenne 15 titres par année. Selon le sondage annuel d’Audio Publisher Association, une bonne partie d’entre eux disent consommer ce genre de produit parce qu’ils peuvent faire autre chose en même temps. La plupart écoutent des romans, principalement des intrigues, de la science-fiction ou des romans d’amour.

Au Canada anglophone, selon Booknet Canada, 37 % des gens consomment des livres audio. La fréquence de leur utilisation a augmenté drastiquement dans les dernières années, car si seulement 7 % des gens écoutaient quotidiennement des livres audio, ce nombre a atteint 24 % en 2020. Toutefois, en dépit de cette hausse, le livre audio ne reflète seulement que 5 % du marché du livre en général. Les Canadiens anglophones écoutent en moyenne cinq livres audio par année et se les procurent majoritairement en ligne, sur les sites des détaillants ou sur les plateformes des bibliothèques publiques. On comprend ici que l’emprunt d’un livre audio à une bibliothèque constitue un mode d’approvisionnement important. L’offre est également bien diversifiée : en 2017, c’est plus de la moitié des éditeurs du Canada anglais (61 %) qui ont produit des livres audio, ce qui représente une augmentation de 24 % par rapport à l’année précédente.

Le marché du livre audio au Québec commence tout juste à se développer. Il existe peu d’éditeurs francophones spécialisés en la matière, mais quelques-uns offrent des versions audio de leurs livres imprimés. Au Québec, les œuvres au format audio sont généralement disponibles en librairie, sur des plateformes en ligne ou en bibliothèque. Par exemple, la plateforme pretnumerique.ca du réseau Bibliopresto offre aux lecteurs québécois la possibilité d’emprunter des livres numériques à leur bibliothèque locale, dont ceux au format audio. Un peu plus de 4200 titres (dont 24 % d’ouvrages québécois) y sont disponibles au format audio. On observe d’ailleurs une popularité grandissante du livre au format audio sur la plateforme : en 2019, le nombre de prêts audionumériques sur la plateforme s’élevait à 20 361, un nombre qui sera largement dépassé durant l’année 2020, puisqu’on en enregistrait déjà 54 738 prêts en date du 1er octobre dernier.

Le livre audio : un format d’avenir ?

Il serait bien hasardeux de prédire le format prisé par les lecteurs des prochaines années ou décennies. Cela étant, on observe deux tendances importantes ces jours-ci : d’abord les consommateurs s’intéressent de plus en plus au format audio, notamment puisqu’il permet de transposer le livre écrit – qui mobilise toute la concentration du lecteur – dans un format audio, lequel permet le multitâche, un comportement de plus en plus présent en cette ère numérique. Ensuite, une tendance semble s’imposer dans le secteur du livre accessible : le format audionumérique permet un accès plus aisé aux savoirs et à la culture, notamment du fait qu’il ne nécessite pas la maîtrise du braille. Cet accès facilité est également avisé pour différentes situations, comme la lecture audio pour aider un étudiant souffrant d’un trouble de l’apprentissage.

Le marché du livre audio au Québec commence tout juste à se développer. Il existe peu d’éditeurs francophones spécialisés en la matière, mais quelques-uns offrent des versions audio de leurs livres imprimés.

S’il semble tout à fait plausible que le livre audio se développe plus amplement tant dans sa version commerciale destinée au grand public que dans sa version adaptée pour les clientèles souffrant d’un handicap ou d’un trouble de l’apprentissage, il n’apparaît pas si clairement qu’un seul et unique format audio pourrait servir les deux marchés. En effet, pour rendre un livre audio destiné au grand public dans une version dite accessible ou adaptée, plusieurs fonctionnalités doivent être développées et activées dans le processus de création. D’ailleurs, ces développements représentent un investissement relativement important pour l’éditeur. Aujourd’hui et depuis ses origines, le livre accessible est un livre qu’on emprunte, par opposition à un livre qu’on achète, et cela a pour effet de complexifier encore davantage sa viabilité.

Conclusion

Le Québec connaît aujourd’hui l’exorde du livre audio dans son marché. Force est de constater que le format plaît, ici comme ailleurs. Quels seront la place et le format des livres audio et des livres adaptés ? Quel mode d’approvisionnement choisiront les lecteurs ?

Au moment de l’émergence du livre au format numérique, nous n’aurions pas pu imaginer que ce format allait connaître un succès de loin supérieur en matière d’emprunts qu’en matière d’achats. De la même manière, il est difficile d’envisager le livre audio et le livre adapté de demain. Cela étant, des entreprises développent de nouveaux modèles d’affaires ainsi que de nouvelles plateformes de diffusion au Québec. Ces projets étant embryonnaires, il n’est pas de mise de les présenter, mais ils font la démonstration qu’on n’a pas fini d’entendre parler du livre audio ni du livre adapté ! À vos écouteurs, chers lecteurs !