Collections | Volume 7 | numéro 4

Article de fond

Réalités acadiennes

Je suis acadien

Ce qui signifie

Multiplié fourré dispersé acheté aliéné vendu révolté

Homme déchiré vers l’avenir

Raymond Leblanc, Cri de Terre, 1972

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40e anniversaire des éditions Perce-Neige

L’histoire de l’Acadie en est une de survie et de résistance. Profondément marquée par la Déportation de 1755, l’identité acadienne porte les stigmates de la douleur, de l’exil et de l’errance. Pour les artistes, écrivains et créateurs de tous genres, les blessures du passé constituent souvent les matériaux pour bâtir le futur et les Éditions Perce-Neige en ont été un lieu d’expression privilégié au cours des quarante dernières années. Fondée en 1980, initialement sous la forme d’une coopérative, la maison entendait prendre le relais des Éditions d’Acadie – qui furent, dès 1972, la première maison d’édition de la région –, car ces derniers ne parvenaient plus à publier tous les manuscrits qu’on leur soumettait. Le mandat que se donne alors l’Association des écrivains acadiens en fondant Perce-Neige est d’encourager la relève en offrant la possibilité de publier un premier livre avant de pouvoir intégrer le catalogue des Éditions d’Acadie.

Progressivement, les Éditions Perce-Neige vont délaisser leur rôle de club-école des Éditions d’Acadie, devenue avec le temps un éditeur généraliste, afin de gagner en autonomie. La maison va s’incorporer en tant qu’organisme sans but lucratif (OSBL) en 1986, mais traversera une période de relative inertie jusqu’en 1991. Ce sont alors les jeunes poètes Jean-Philippe Raiche et Fredric Gary Comeau qui reprennent la maison d’édition, avec le poète et fondateur de la maison Gérald Leblanc à la direction littéraire. La publication du recueil Stratagème de mon inertie de Fredric Gary Comeau, finaliste au prix Émile-Nelligan, constituera un moment phare de cette relance. Fortes de leur association temporaire avec la maison d’édition québécoise les Écrits des Forges, les Éditions Perce-Neige permettront aux poètes de la relève acadienne de se faire connaître au Québec, en particulier grâce au Festival international de la poésie de Trois-Rivières. Cette association ne durera que trois ans, mais cela aura suffi pour faire connaître les voix émergentes de l’acadianité dans la Belle Province.

À partir de 1992, c’est Gérald Leblanc qui prend les commandes des Éditions Perce-Neige. Les années suivantes se feront sous le signe d’une professionnalisation de la maison. Toujours animé du désir de faire connaître les voix nouvelles de l’Acadie, le poète s’appliquera à multiplier les publications. Peu à peu, les Éditions d’Acadie délaisseront la poésie au profit d’un catalogue plus généraliste, laissant le champ libre aux Éditions Perce-Neige. Le tournant des années 2000 sera marqué par une véritable tragédie dans le milieu littéraire acadien avec la faillite des Éditions d’Acadie. Ce sera l’occasion pour Perce-Neige d’intégrer à son catalogue des classiques tels que les poèmes de Guy Arsenault et Raymond Guy LeBlanc, auteur de Cri de terre, le premier recueil de poésie acadienne, originalement paru en 1972.

Gérald Leblanc dirige la maison jusqu’à son décès, en 2005. Le poète Serge Patrice Thibodeau, de retour à Moncton après une quinzaine d’années passées à Montréal, en prendra la relève à ce moment. Sous l’égide de ce dernier, la maison verra sa production se diversifier et ses effectifs se multiplier. Soucieux de donner la parole à toutes les voix de l’Acadie, Thibodeau fera entrer au catalogue nombre de poètes issus de toutes les régions du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et même de la Louisiane. La maison comporte aujourd’hui pas moins de neuf collections, où sont représentées l’ensemble des réalités acadiennes, allant des voix du sud des États-Unis aux paroles autochtones, de la parole des femmes aux plus récentes perspectives contemporaines. Longtemps consacrée à la poésie, la maison publie désormais des essais, du théâtre et du roman. La gestion de Serge Patrice Thibodeau se fait sous le signe de la collégialité et du souci de pérennité. Loin d’être l’œuvre d’un seul homme, les Éditions Perce-Neige sont aujourd’hui un collectif dynamique et multiple où l’on se soucie au moins autant des quarante prochaines années que des quarante dernières.

Maisons d’édition acadiennes

Le contexte éditorial acadien actuel se divise essentiellement en trois maisons d’édition principales, remplissant chacune son mandat dans sa niche respective. Alors que les Éditions Perce-Neige occupent le champ de la relève littéraire, Bouton d’or Acadie se consacre principalement à la littérature jeunesse et La Grande Marée, pour sa part, oeuvre comme maison généraliste depuis maintenant 26 ans. Les auteurs acadiens confirmés ont souvent leurs habitudes établies dans des maisons d’édition externes, c’est notamment le cas pour Antonine Maillet, publiée chez Leméac au Canada et Grasset en France, ou Herménégilde Chiasson, dont l’essentiel de l’œuvre est publié par la maison franco-ontarienne Prise de parole. Bien que toujours en mode de survie culturelle, l’édition acadienne contemporaine témoigne d’une diversité de genres, de voix et de préoccupations qui lui confèrent une richesse qui n’a rien à envier à ce qui se fait ailleurs dans la francophonie, comme en témoigne le choix d’ouvrages que nous vous proposons ici.

Suggestions de livres

Anthologie de la poésie des femmes d’Acadie

Monika Boehringer

C’est animée du souci de faire découvrir les voix de femmes poètes acadiennes que la spécialiste de la littérature et de l’écriture des femmes Monika Boehringer propose l’Anthologie de la poésie des femmes d’Acadie, chez Perce-Neige. Regroupant la parole de 27 femmes, dont deux poèmes d’Antonine Maillet, l’anthologie offre un survol exceptionnel des préoccupations des poètes de la patrie. La variété et la richesse de cette poésie ont de quoi émerveiller le lecteur. Que l’on parle de poésie engagée et subversive ou de désenchantement face au quotidien, de haïkus modernes ou de versification religieuse, cette anthologie contient autant de légèreté et d’ironie que de propos plus fondamentaux. L’ouvrage est préfacé par la grande poète québécoise Nicole Brossard, qui a su exprimer les mutations et rendre grâce la multiplicité des voix de ces femmes.

Éditions Perce-Neige, 2014, 266 p. 19,95 $

Acadie multipiste

Robert Viau

La littérature acadienne est trop peu enseignée dans les départements d’études littéraires. C’est du moins ce à quoi entend remédier le professeur de littérature à l’Université du Nouveau-Brunswick Robert Viau, avec les deux tomes de l’Acadie multipiste, aux Éditions Perce-Neige. Alors que le premier tome se consacre à tracer l’histoire des romans acadiens, du prix Goncourt qu’a remporté Antonine Maillet aux explorations plus contemporaines de Fredric Gary Comeau, en passant par la sublimation du chiac dans l’œuvre de France Daigle ou les détours par la science-fiction d’un Claude Le Bouthiller, le second étudie la relation de la littérature avec l’histoire contemporaine. L’on y parle de la fondation de la dramaturgie et l’on y ose une analyse très fine de la poésie acadienne, ce qui a très peu été fait dans les corpus universitaires. Les deux livres constituent, en somme, une pierre d’assise pour établir la place de la littérature acadienne au cœur de la grande histoire littéraire.

(Éditions Perce-Neige, 2014, 228 p., 24,95 $, 978-2-89691-155-4.)
(Éditions Perce-Neige, 2020, 264 p., 25,00 $, 978-2-89691-376-3.)

Éditions Perce-Neige 24,95 $

Les premiers pas de l’Acadie : 1604-1713

Caroline St-Louis

L’histoire acadienne est marquée au fer rouge par le Grand Dérangement de 1755, au point où la déportation occulte généralement ce qui s’est passé en amont. C’est avec l’intention de faire revivre l’Acadie glorieuse des premières années que l’historienne Caroline St-Louis s’est attablée pour écrire Les premiers pas de l’Acadie : 1604-1713, aux Éditions Perce-Neige. Elle nous présente une galerie de personnages et d’événements étonnants dont la première femme millionnaire d’Acadie, la fondation du premier théâtre ou de la première congrégation religieuse. Loin d’être un essai académique, le livre se compose de courtes chroniques afin de rendre ces récits fondateurs accessibles au plus grand nombre possible. La volonté de l’auteure est clairement de faire découvrir les petites histoires qui composent la grande Histoire, mettant ainsi en lumière les récits oubliés. L’ouvrage est richement illustré à l’aide d’images d’archives, de photographies et même de bandes dessinées.

Éditions Perce-Neige, 2019, 120 p. 35,00 $

(12) Abécédaires

Herménégilde Chiasson

Il est impossible de parler de littérature acadienne sans évoquer Herménégilde Chiasson, l’auteur d’un des plus beaux poèmes de la francophonie : « Eugénie Melanson ». Artiste pluridisciplinaire qui s’illustre tant en peinture, en réalisation cinématographique, en dramaturgie, en poésie qu’au théâtre, il constitue une sorte de fer de lance de la modernité acadienne. Avec son essai (12) Abécédaires, publié chez Prise de parole, il ajoute une corde à son arc. Dans ce livre dense et unique, il développe une pensée digne des humanistes de la Renaissance, interrogeant tour à tour le territoire, la langue, l’identité, la psychanalyse, l’altérité et nombre d’autres facettes du savoir humain. Le poète se fait ici polémiste en soulevant des débats sensibles comme l’acculturation et les dérives identitaires. Rédigé sous forme d’abécédaire, le livre propose une série de courts textes originalement destinés à être lus en public, qui sont regroupés ici pour la première fois.

Prise de parole, coll. Essais, 2017, 309 p. 27,95 $

Pour sûr

France Daigle

Autre figure de proue majeure de la culture acadienne, la poète, dramaturge et romancière France Daigle poursuit une œuvre exigeante et riche depuis le début des années 1980. Parfois qualifié de postmoderne, le travail de l’auteure entre en résonance avec d’autres œuvres importantes de son époque, telles celles des Québécoises Nicole Brossard et France Théoret. Avec son roman Pour sûr, publié au Boréal, elle s’affirme comme une romancière capable d’élaborer une architecture diégétique érudite et polymorphe. Alliant savamment les mathématiques, les dédales d’un savoir encyclopédique, une défense vibrante de la langue chiac et autres réflexions sur le territoire, sa prose vertigineuse se déploie avec une envergure qui pourrait donner le tournis si elle n’était pas aussi habilement menée. Les personnages de ce roman n’ont pas pour fonction d’illustrer des émotions ou quelconques psychologies. Avec Daigle, l’on navigue entre l’Œuvre ouverte d’un Umberto Eco que l’on aurait croisée avec certaines stratégies discursives empruntées au mouvement de l’Oulipo. Cette courtepointe étonnante tisse en creux le destin d’une acadianité qui n’a pas fini de fasciner.

Boréal, coll. Essais, 2011, 752 p. 34,95 $