Collections | Volume 7 | numéro 4

Essai

Du colon au Québécois moderne

L’un des traits principaux qui caractérise la culture québécoise est son rapport à l’identité. Tous les chercheurs et critiques qui interrogent l’histoire de ce peuple unique en Amérique sont confrontés un jour ou l’autre à la question du « qui sommes-nous ? ».

Partager

Des premières publications canadiennes-françaises du début du XIXe siècle aux plus récents essais contemporains, la question apparaît comme le fil de trame d’un récit qui se tisse au hasard des différents textiles qui viennent composer sa courtepointe. Nous proposons ici un choix d’essais récents qui mettent de l’avant cette question et les différentes influences qui s’exercent sur elle au contact des autres cultures. Loin d’être le lieu des certitudes et de la stabilité, nous verrons que l’identité québécoise est un carrefour d’hybridations qui s’enrichit sans cesse de ce qu’il intègre et ramène à lui.

Suggestions de livres

Jean-Baptiste décapité. Nationalisme, religion et sécularisme au Québec

Genevieve Zubrzycki

La sociologue et professeure à l’Université du Michigan Genevieve Zubrzycki interroge les conditions de possibilité d’un passage d’un nationalisme canadien-français vers un nationalisme québécois, dans son essai Jean-Baptiste décapité. Nationalisme, religion et sécularisme au Québec, publié au Boréal. Sa lecture de cette mutation sociologique prend ancrage dans un fait divers survenu lors du défilé du 24 juin 1969, alors que des militants prirent contrôle du char allégorique à l’effigie du prophète, ce qui aura pour effet de faire rouler la tête de la statue sur le pavé. Cet événement, qui fit grand bruit dans la presse de l’époque, devient pour elle le symbole d’un passage vers la sécularisation des célébrations nationales et le signe d’une mutation de la manière d’affirmer son identité du peuple québécois. La réflexion de l’auteure sur ce changement la mène à analyser le rapport de l’identité québécoise avec la religion et, éventuellement, avec la laïcité qui est au cœur des débats contemporains en cette terre francophone d’Amérique.

Boréal, 2020, 304 p. 29,95 $

Les nations savent-elles encore rêver ?

Gérard Bouchard

L’identité d’un peuple prend racine dans les récits qu’il se raconte pour se nommer. Cette mythologie dont on voit poindre les manifestations dans la fiction et les différents gestes culturels qui caractérisent une identité est inévitablement influencée par le contexte socio-économique au sein duquel elle se développe. Pour le professeur d’histoire et de sociologie Gérard Bouchard, le contexte de la mondialisation, qui se fait sous le signe du néolibéralisme et l’abolition des frontières, tend à uniformiser les récits et les vider de leur caractère exclusif au profit d’une conception globalisée des représentations. Le livre Les nations savent-elles encore rêver ?, exigeant et rigoureux comme son auteur, explique en détail ce qui rend possible l’existence d’un mythe national, comment il se manifeste et quels sont les enjeux qui s’opposent à lui lorsque les nations se voient diluées dans un vaste marché qui cherche à tout ramener à ses impératifs économiques. La réflexion de l’auteur mène le lecteur à comprendre que ce qui se joue au niveau symbolique a, tôt ou tard, un impact bien réel sur ses conditions de vie et, ultimement, sur la démocratie.

Boréal, 2019, 440 p. 32,95 $

Le Québec vers l’âge adulte

Nicolas Lévesque

Nicolas Lévesque est l’un des intellectuels les plus puissants, orignaux et méconnus de sa génération. Si ces livres n’obtiennent pas la reconnaissance qu’ils méritent, les lecteurs qui s’aventurent en ses pages y trouvent des fulgurances et un regard sur notre société d’une richesse et d’une érudition rares. Dans Le Québec vers l’âge adulte, qui est une réécriture de son essai Teen spirit. Essai sur notre époque, aux éditions Nota Bene, le psychanalyste fait le portrait de sa génération, celle dite des X, à l’aide d’une brillante hybridation entre philosophie, sociologie et psychanalyse. À ce chapitre, les passages où il établit une analogie entre la figure du père dans la représentation de l’identité québécoise et la nécessité de faire place à la figue maternelle pour évoluer sont particulièrement éloquents. Il fait également une critique virulente de la tendance à la fuite et à l’engourdissement des masses, au sein de sa génération, à l’aide du divertissement et de la médication abusive.

Éditions Allias, poches Allias, 2017, 177 p. 13,95 $

Bande de colons. Une mauvaise conscience de classe

Alain Deneault

Philosophe, essayiste et polémiste parmi les plus influents de son époque, Alain Deneault poursuit son travail critique avec une rigueur et un souci de documentation inégalé. Dans Bande de colons. Une mauvaise conscience de classe, chez Lux éditeur, il revisite le mythe national canadien à la lumière des théories d’Albert Memmi et de Karl Marx, mais en y ajoutant son grain de sel. Au diptyque colonisateur / colonisé, il ajoute une variable, qui a toujours été là, en creux, mais trop peu mise de l’avant : le colon. À ce titre, pour lui, le Québécois n’est pas un colonisé, mais bien un colon, en ce qu’il sert de courroie de transmission au colonisateur dans l’exploitation du territoire. Deneault trace un portrait sombre du Canada, qu’il réduit à un ensemble de volontés colonisatrices issues de la soif de pécule de quelques oligarques, qui exploitent à la fois les ressources et les êtres sur le territoire. Il s’agit d’un essai exigeant, polémiste, mais terriblement éclairant pour quiconque a envie de sonder les questions identitaires.

Lux éditeur, coll. Lettres libres, 2020, 216 p. 21,95 $

Un peuple libre. Indépendance, laïcité et inclusion

Benoit Renaud

Constatant que l’option indépendantiste est relativement évacuée du discours politique actuel, l’enseignant et militant de Québec solidaire Benoit Renaud soumet l’idée que c’est surtout parce que l’idée de projet de pays s’est trouvée vidée de sa substance qu’elle bat de l’aile. Dans Un peuple libre. Indépendance, laïcité et inclusion, chez Écosociété, il propose de revisiter le discours indépendantiste en abordant de face les notions de racisme, d’islamophobie, d’anticolonialisme et de laïcité. En gros, il s’agit pour lui de lier le destin du pays avec les enjeux sociaux, de sorte que l’indépendance du Québec soit perçue comme un affranchissement du colonialisme canadien pour fonder un pays fondé sur une solidarité inédite avec les minorités qui l’habitent. Il s’appuie notamment sur le racisme étatique canadien à l’égard des autochtones pour proposer un nouveau modèle d’inclusion qui mènerait à un Québec inclusif et plus démocratique que jamais.

Écosociété, coll. Polémos, 2020, 200 p. 22 $

L’œil du maître

Dalie Giroux

S’il est un mythe qui a longuement animé les luttes souverainistes au Québec, c’est bien celui de la figure du maître. Souvent envisagé comme un geste de décolonisation, le rêve indépendantiste québécois a intérêt à se transformer pour intégrer des discours qui incluent ceux qui se reconnaissent moins dans la lutte au « boss anglais », mais qui n’en sont pas moins attachés au territoire et à la culture d’ici. Dans L’œil du maître, chez Mémoire d’encrier, l’essayiste Dalie Giroux propose plutôt de décoloniser la décolonisation, ou, pour le dire plus simplement, d’intégrer au discours identitaire les réalités autochtones, antiracistes, écologistes, féministes et celles issues de l’immigration. Écrit sous le signe de la polémique, l’essai renouvelle avec le genre pamphlétaire et se veut une sorte de coup de pied dans la ruche nationale. L’ouvrage saura certainement plaire à ceux qui cherchent à reprendre un rendez- vous manqué avec l’Histoire.

Mémoire d’encrier, 2020, 192 p. 21,95 $

Ne sommes-nous pas Québécoises ?

Rosa Pires

Fille d’immigrants portugais, élevée à Montréal, Rosa Pires a longuement milité dans les cercles féministes et souverainistes québécois. Depuis le référendum de 1995 et plus encore avec la Charte des valeurs du Parti québécois de Pauline Marois, quelque chose s’est brisé en elle. Dans Ne sommes-nous pas Québécoises ?, aux Éditions du remue-ménage, elle interroge le rapport qu’entretient l’identité québécoise avec les femmes issues de la deuxième génération après l’immigration. Cet essai, à la fois documenté et personnel, est issu d’une thèse de maîtrise présentée à l’UQAM. L’on y lit les réflexions de l’auteure éclairées par les témoignages d’une dizaine de femmes, francophones, militantes et instruites, issues des minorités visibles. Leurs constats convergent ; le passage d’un nationalisme civique vers un nationalisme identitaire tend à accentuer le sentiment d’exclusion de ceux qui ne sont pas considérés comme « de souche ». Ce mouvement, loin d’être exclusif au Québec, se manifeste un peu partout en Occident et est moussé largement par les intellectuels de droite et a donné naissance ici à des politiques comme la Loi 21. Il en résulte que les enfants de ces femmes rejettent massivement la notion d’identité québécoise, ce qui laisse présager des fractures sociales peu rassurantes pour l’avenir de la nation.

Éditions du remue-ménage, 2019, 144 p. 17,95 $

Elles se relèvent encore et encore

Julie Cunnigham

Originalement destinés à la rédaction de sa thèse de doctorat, les témoignages recueillis par Julie Cunnigham composent la matière première d’Elles se relèvent encore et encore, aux éditions Hannenorak. Sorte d’hybride entre le livre d’art, la fiction et les récits de vies, le livre s’adresse à un public de tous les âges, tant qu’il est soucieux d’en apprendre sur la réalité des femmes aux prises avec les séquelles des pensionnats autochtones. Cette tragédie aux conséquences trop peu mesurées dans notre société a des impacts très concrets sur l’existence de ces femmes et ce livre vient leur donner une voix, une dignité. Certaines auront été poussées à l’itinérance, d’autres s’en sortiront ; dans tous les cas, le livre a bénéficié de l’appui et des témoignages d’intervenants de première ligne auprès de ces femmes.

Éditions Hannenorak, 2020, 60 p. 16,95 $

L’empire invisible. Essai sur la métamorphose de l’Amérique

Mathieu Bélisle

La culture québécoise est marquée par ses questionnements identitaires, c’est-à-dire ce qui la démarque des autres. S’il est un trait de personnalité de la collectivité d’ici qui la distingue des autres nations de la francophonie, c’est bien son américanité. La proximité du Québec avec les États-Unis d’Amérique fait en sorte que le mode de vie québécois est beaucoup plus proche de celui des Américains que de celui des Français. Dans son passionnant essai L’empire invisible. Essai sur la métamorphose de l’Amérique, chez Leméac, le professeur de littérature Mathieu Bélisle propose une sorte de balade au cœur de la mythologie étasunienne avec cette particularité de le faire à partir d’un « moi » bien québécois. Ainsi, lorsqu’il démonte le mythe du déclin américain en démontrant en fait à quel point son soft power est plus influent que jamais, notamment grâce aux interfaces des GAFAM qui le propulsent, il le fait en se mettant lui-même en scène dans ses observations et ses réflexions. À ce chapitre, il y a un passage, à la fin de l’ouvrage, où le Québécois s’imagine un destin américain, comme s’il avait été un des descendants des tisserands de la Nouvelle-Angleterre du XIXe siècle, qui est particulièrement éclairant.

Leméac, coll. Phares, 2020, 240 p. 24,95 $

La lutte pour le territoire Québécois. Entre extractivisme et écocitoyenneté

Bruno Massé

L’identité d’un peuple est intimement liée à la manière qu’il a d’habiter son territoire. Au Québec, comme dans toutes les sociétés industrialisées, le rapport à la terre en est surtout un d’exploitation des ressources et d’extractivisme outrancier. Les fondements mêmes du pays Canada sont un récit de grandes entreprises qui exploitent le sol et développent des cités au gré des besoins en ressources. Dans La lutte pour le territoire Québécois. Entre extractivisme et écocitoyenneté, publié chez XYZ, le géographe et militant écologiste Bruno Massé propose d’interroger les rapports de pouvoir qui animent notre relation au territoire et de considérer le Québec autrement que comme une vaste mine à ciel ouvert où il s’agit de piger au profit de la croissance économique. Il suggère ainsi une fierté nationale renouvelée, davantage orientée vers la beauté des paysages et la santé des écosystèmes plutôt que sur l’envergure de chantiers et la multiplication des possessions matérielles.

XYZ éditeur, coll. Essai, 2020, 336 p. 27,95 $

À table en Nouvelle-France

Yvon Desloges

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es », écrivait Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût, ouvrage fondateur de la culture culinaire française. S’il est quelqu’un qui ne doute pas que le contenu de nos assiettes est un trait identitaire déterminant, c’est bien l’historien à la retraite Yvon Desloges, et il le démontre de brillante manière dans À table en Nouvelle-France, au Septentrion. Moins un livre de recettes qu’un traité d’anthropologie populaire, le livre démontre comment les menus de nos ancêtres reflétaient à la fois leur place dans la hiérarchie sociale, l’avancement des techniques agricoles et l’influence exercée par les différentes civilisations auxquels les colons français se sont frottés. Ils empruntent d’abord certains ingrédients et différentes techniques, auxquels viendra se greffer plus tard l’héritage culinaire anglo-saxon, venu avec la conquête. Agrémenté de nombreuses illustrations et de quelques recettes, l’ouvrage constitue un témoignage essentiel de la naissance de la manière de se nourrir d’ici. Il saura satisfaire autant l’amateur de bonne chère que l’historien amateur épris de culture populaire.

Septentrion, 2009, 240 p. 29,95 $