Collections | Volume 7 | numéro 2

Bandes Dessinées

Quand l’imaginaire s’invite dans la bande dessinée

et le roman graphique.

Peu de genres se prêtent aussi bien au déploiement de l’imagination de leur auteur que la bande dessinée et le roman graphique. La créativité scénaristique combinée aux possibilités offertes par le dessin en font un support privilégié où le potentiel est infini.

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Les éditeurs qui se consacrent au genre sont de plus en plus nombreux sur le marché québécois et l’avenir a tout pour les encourager à tenter de découvrir de nouvelles avenues, tant le public est fidèle et grandissant. En ce qui concerne tant les publications originales que les achats de droits à l’étranger, les éditeurs d’ici déploient un spectre varié d’univers tous plus fascinants les uns que les autres. Voici quelques suggestions, parues ces dernières années, dans le corpus du récit illustré d’ici qui mettent de l’avant des histoires où l’imaginaire prend le pas sur la représentation de la réalité et permet d’explorer de multiples possibilités qui ne seraient pas réalisables par d’autres moyens.

Suggestions de livres

La couronne d’aiguilles

Jeff Smith

La série Bone, du bédéiste américain Jeff Smith, est lue par des millions d’admirateurs dans le monde. Publiée au Québec par Presses Aventure, dont le 9e tome, La couronne d’aiguilles, vient clore le cycle, la série s’inscrit dans le genre héroïque- fantasy et s’adresse à un lectorat jeune et amateur de mystère. Largement inspiré du Seigneur des anneaux de Tolkien et des comics publiés en feuilleton dans les journaux, l’univers de Bone est peuplé de petits personnages dotés d’un gros nez, d’humains et d’une kyrielle de personnages fantastiques tels des dragons, des rats-garous et autres créatures étranges. Dans l’ultime chapitre, le destin de la Vallée se joue sur un champ de bataille, alors que le héros doit trouver la couronne d’aiguilles, seul objet capable de mettre fin à la menace du Seigneur des criquets qui assiège la ville d’Athéia. Le petit Bone aura besoin de toute sa sagacité et de toute sa débrouillardise pour parvenir à trouver l’objet qui ramènera l’équilibre dans son univers.

Presses Aventure, 2019, 228 p. 14,95 $

U-Merlin

Jean-François Laliberté, Sacha Lefebvre

À la suite du succès du premier tome, le duo composé du scénariste Jean-François Laliberté et de l’illustrateur Sacha Lefebvre remettent leur série U-Merlin de l’avant, en publiant Pour le roi, toujours aux Éditions Michel Quintin. Dans cet univers futuriste, situé un siècle après nous, on suit les aventures de Liam, un mécanicien génial récemment promu au rang de chevalier honoraire, aux contrôles de son robot de combat géant, le U-Merlin. À mi-chemin entre les contes de chevalerie et la science-fiction, la série déploie un monde qui fait la part belle à l’imagination. On y retrouve des intrigues où le héros doit progresser afin de gagner en grade, comme dans toute bonne saga épique, et des personnages issus de réalités strictement imaginaire tels les Rocs, une forme de vie extraterrestre formée de météorites. Cette saga médiévo-fantastique saura conquérir le cœur des lecteurs de 10 ans et plus, mais il n’est pas exclu que les adultes amateurs de fantasy y trouvent leur compte également.

Éditions Michel Quintin, 2019, 104 p. 19,95 $

Mémoria

Jean-Paul Eid

Les lecteurs du défunt magazine Croc ont connu Jean-Paul Eid avec Jérôme Bigras, l’anti-héros de banlieue qui déjouait les codes de la bande dessinée en sortant de ses cases, à la manière d’un Marc-Antoine Mathieu. Alors que le Québec traversait une grande période de misère pour l’édition de bandes dessinées, Jean-Paul Eid publiait, en collaboration avec Claude Paiement, un projet titanesque pour les capacités éditoriales de 1999. L’œuvre rencontra un succès d’estime mais fut quelque peu boudé par le public. Repris en 2020 par les éditions de La Pastèque, Mémoria peut enfin dévoiler son univers urbain déjanté pour le plus grand bonheur des amateurs de narration imaginative ! Située dans une métropole aux allures d’un New York de l’entre-guerres, le livre met en scène un chauffeur de taxi qui réalise, après la découverte d’une mallette oubliée dans sa voiture, que tout son monde n’est en fait qu’une vaste supercherie virtuelle dont lui et ses semblables ne sont que des figurants factices. Initialement parue sous la forme d’un dyptique, l’œuvre, qui parait maintenant en intégralité, déploie son jeu absolument jouissif entre des univers parallèles.

La Pastèque, 2020, 128 p. 32,95 $

Le Projet Shiatsung

Brigitte Archambault

S’il est une bande dessinée où le mot dystopie prend tout son sens, c’est bien Le Projet Shiatsung, premier opus génial de Brigitte Archambault, qui laisse penser qu’une œuvre importante naît sous nous yeux. Cloitrée dans sa résidence depuis sa plus tendre enfance, avec pour toute présence, source d’éducation et d’information, un écran du nom de Shiatsung, la jeune femme dont nous suivons la quête de liberté est aux prises avec un univers oppressant au possible. Illustrée à la manière d’un guide didactique, la bande dessinée donne d’abord l’impression que cette situation est idéale : l’intelligence artificielle ne cesse d’abreuver notre héroïne de toutes les informations qu’elle désire. Toutefois, les choses se compliquent le jour où elle tente de savoir ce qu’il y a au-delà du mur de béton qui limite son univers. Plus elle tentera de comprendre le monde dans lequel elle est et qu’elle s’interrogera sur la nature, plus la technologie la ramènera à son confinement et plus le récit deviendra anxiogène pour le lecteur. Voici une formidable fable sur l’envahissement de la technologie dans nos vies.

Mécanique générale, 2019, 208 p. 29,95 $,

Hiver nucléaire

Cab

Neuf ans après la catastrophe nucléaire survenue à la centrale Gentilly-3, Montréal est complètement ensevelie sous des mètres de neige radioactive. Puisque c’est désormais l’hiver à l’année dans ce monde post-apocalyptique, les gens ont développé des moyens de survie. Flavie, par exemple, l’héroïne de l’Hiver nucléaire, de la bédéiste Cab (Caroline Breault), est devenue livreuse de bagels en motoneige. Dans le troisième et dernier tome de la série, publiée chez Front froid, Flavie, dont la situation amoureuse s’est stabilisée, tente de comprendre les raisons de l’hiver perpétuel en compagnie d’un ancien professeur de météorologie. Le lecteur qui s’aventure dans ce monde empreint d’humour et de parodie, qui peut rappeler le travail de l’américain Matt Groening, découvrira une somme de personnages hirsutes qui évoluent dans les quartiers bien connus de la métropole, tels « Hochelag’ » et le Mile end, mais dans une version transfigurée par les aléas de la catastrophe environnementale.

Front Froid, 2018, 100 p. 20,95 $

Moi, ce que j’aime c’est les monstres

Emil Ferris

Initialement paru aux États-Unis en 2017, le premier roman graphique d’Emil Ferris a immédiatement emballé la critique et les lecteurs. Bien que la décision des éditions Alto d’en acheter les droits n’était pas évidente d’emblée au regard de l’immensité du volume et des coûts de production élevés que représente la publication de plus de 400 pages en couleur, on peut considérer que le succès en librairie a largement suffi à justifier le risque. L’ouvrage se lit comme le journal intime d’une jeune de 10 ans, presque entièrement illustré au stylo-bille, qui mène une enquête à la suite de la mort de sa voisine. La jeune, passionnée par les monstres, les vampires et autres revenants découvrira que la réalité est souvent plus complexe que les apparences veulent le laisser deviner. Sous le couvert d’un récit familial, c’est toute l’histoire de la Shoah, de la diaspora juive et de la modernité américaine qui sera revisitée par la jeune résidente du Chicago de la fin des années 1960. Livre magistral, qui ne laisse personne indifférent, Moi, ce que j’aime c’est les monstres intrigue des milliers de lecteurs par ses va-et-vient entre fiction et réalité. Tous en arrivent rapidement à se demander qui des monstres ou des personnes réelles sont les plus véridiques et qui sont les plus dangereux !

Alto, 2018, 416 p. 39,95 $

La pitoune et la poutine

Alexandre Fontaine-Rousseau et Xavier Cadieux

Attention, délire ! Telle pourrait être la mise en garde inscrite en ouverture de La pitoune et la poutine d’Alexandre Fontaine-Rousseau et Xavier Cadieux, publié chez Pow Pow. Il est difficile de décrire précisément ce dont il est question dans cette bande dessinée déjantée, tant le foisonnement imaginaire est exacerbé ! En somme, on suit le récit de Jos Montferrand, le célèbre personnage de légende librement adapté pour la cause, qui cherche un remède pour se remettre d’une cuite monumentale. La poutine, met populaire par excellence, apparaîtra rapidement comme l’ultime quête de notre héros, qui s’embarquera sur un billot de bois surdimensionné pour « surfer » vers le lieu de naissance du sacro-saint mélange de frites, sauce et fromage en grain. Il devra affronter un draveur hipster, des hordes de draveuses féministes radicales, des dinosaures et un clergé composé de moines surpuissants qui cherchent à ravir la Sainte-Poutine aux Québécois. Si tout cela semble peu sérieux, ce n’est rien au regard des éclats de rire qui ponctueront le parcours du lecteur amateur d’absurde et de dérives imaginatives.

Pow Pow, 2019, 180 p. 24,95 $