Le livre d’ici connaît depuis la pandémie de Covid-19 un niveau de popularité inégalé. Pourtant, les défis de nature entrepreneuriale n’en sont pas nécessairement moindres. Collections a rencontré Caroline Fortin, présidente de Québec Amérique, une maison célébrant ses 50 ans d’existence et Daniel Sioui, fondateur et co-directeur des Éditions Hannenorak, nées en 2010 et se consacrant à la littérature autochtone, pour échanger sur les enjeux et défis du secteur.
Question de chiffres
« L’édition, ce n’est que de la gestion de risques, lance Caroline Fortin. Tous les livres qu’on publie sont des risques. » Elle va jusqu’à affirmer qu’il n’est pas rare que la première impression d’une œuvre « ne fasse pas ses frais ». D’ailleurs, au cours des premières années d’existence d’Hannenorak, c’est la librairie du même nom, située à Wendake, en périphérie de Québec, et fondée un an avant la maison d’édition, qui assurait la survie de cette dernière et qui absorbait les périls financiers liés à la publication, raconte Daniel Sioui. Encore aujourd’hui, « la maison d’édition, sans la librairie, ne pourrait pas fonctionner. Si [la vente de nos livres] ne passait que par le distributeur, il n’y aurait aucune chance qu’on soit rentable », dit-il.
Selon la présidente de Québec Amérique, les redevances sur le prix du vente du livre se répartiraient ainsi : 30 % pour le libraire, 17 % pour le distributeur et le diffuseur, 10 à 15 % pour l’imprimeur — frais ayant notablement augmenté ces dernières années — et autour de 10 % pour l’autrice ou l’auteur. Le reste, soit environ 30 %, reviendrait à la maison d’édition. Celle-ci doit assumer un grand nombre de dépenses liées au travail éditorial — pouvant parfois s’étendre sur quelques années —, à la révision et à la correction, au graphisme, à la promotion, à la commercialisation, etc.
Pour une maison d’édition en début de parcours, comme celle que codirige Daniel Sioui, les risques financiers sont d’autant plus importants que les ouvrages publiés sont souvent l’œuvre de nouvelles autrices et de nouveaux auteurs. Ces artistes ne peuvent compter sur un public déjà conquis et un travail de longue haleine est généralement requis pour que leurs manuscrits soient prêts à être mis en marché. Cet éditeur, qui peut compter sur les revenus de la Librairie Hannenorak pour absorber les pertes potentielles liées à cette réalité, va jusqu’à affirmer : « Je ne sais même pas comment les autres maisons d’édition font pour être rentables avec le petit pourcentage [du prix de vente du livre] qui [leur] reste. »
Caroline Fortin répond à cette question ainsi : « L’éditeur va réussir à faire ses frais s’il parvient à bâtir un bon catalogue de fond, avec lequel il peut créer une base solide pour son avenir. Ce fond-là, s’il le réimprime chaque année, […] va lui permettre de survivre. Ensuite, s’il arrive, dans chacune de ses saisons, à créer quelques engouements pour certains titres et qu’il a la surprise extraordinaire et formidable d’aller en réimpression », il pourra escompter réaliser un bénéfice. « Ce sont les réimpressions qui peuvent rendre toute l’opération rentable. » Encore faut-il, ajoute-t-elle, choisir judicieusement la quantité d’exemplaires à produire. Sans quoi, la perspective de dégager un profit se verra anéantie. Ce profit, les maisons d’édition le réinvestissent dans d’autres projets éditoriaux et il leur permet, parfois, d’être audacieux en publiant de nouvelles autrices et de nouveaux auteurs, ou encore des titres à la fabrication plus complexe ou au public cible plus limité.