Collections | Volume 11 | numéro 3

Unir

Quand le livre rencontre son public

Alexandre Bonin

Peu de gens s’interrogent sur les différentes étapes de production du livre qu’ils tiennent entre leurs mains lorsqu’ils l’achètent en librairie ou l’empruntent à la bibliothèque. Si c’est une œuvre de fiction, on se demande surtout si l’histoire va nous captiver, si les personnages sauront nous toucher, et si la plume de l’autrice ou de l’auteur parviendra à nous transporter. Dans le cas d’un ouvrage pratique, on espère qu’il saura répondre à nos besoins ou à nos questions. Pourtant, entre l’écriture, le processus éditorial, la mise en page, l’impression et la mise en marché d’un livre, il s’écoule souvent plus d’une année. Puis, vient le moment de l’annonce de parution, où le livre commence à vivre de manière indépendante de la maison d’édition, et où les lectrices et lecteurs en entendent parler pour la première fois. C’est là que l’anticipation est à son comble, tant du côté de l’équipe éditoriale que de celui du lectorat. Après tout, c’est pour celles et ceux qui vont le lire que tout ce travail en amont est effectué. C’est pourquoi, dans le milieu littéraire, on considère que ce n’est qu’au moment où il est lancé dans l’univers, et qu’il attend d’être découvert par les lectrices et les lecteurs, que la vie d’un livre commence véritablement. Deux acteurs du monde éditorial nous expliquent comment elle et il parviennent à unir les livres à leur lectorat.

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Geneviève Lagacé, photo : François Couture

Geneviève Lagacé est responsable des droits étrangers pour le groupe HMH. Dans le cadre de ses fonctions, elle est en contact avec différentes éditrices et éditeurs à l’international, et elle participe à des foires du livre à travers le monde, pour y vendre les droits des livres publiés par le groupe d’édition à des maisons d’édition étrangères, et y faire rayonner notre littérature. Sophane Beaudin-Quintin est vice-président des Éditions Michel Quintin, qui publient à la fois des livres pour les adultes et pour les enfants.

Comment savoir ce que cherchent ou apprécient les lectrices et les lecteurs d’autres pays ? Qu’est-ce qui pousse une maison d’édition à traduire une œuvre littéraire québécoise ? « De manière générale, notre littérature est un espace de tous les possibles, loin des clichés historiques ou folkloriques », répond Geneviève Lagacé.

 « Bien sûr, c’est une littérature qui se veut le miroir de nos inquiétudes collectives et de nos drames humains, mais elle est souvent teintée de lumière et d’un brin d’optimisme bien québécois, ce qui est très apprécié à l’étranger. Riche de sa diversité ethnoculturelle, le Québec s’unit autour d’histoires qui offrent un regard sensible, empathique et unique sur de nombreux sujets, des récits pertinents qui résonnent universellement. » Geneviève Lagacé

Les titres d’ici voyagent de plus en plus. « Depuis les dernières années, que ce soit en Europe francophone ou ailleurs, une place grandissante est faite à nos autrices et nos auteurs, qu’ils soient des voix littéraires confirmées ou plus émergentes », affirme Geneviève Lagacé. Ces titres créent une littérature qui rassemble le territoire et l’humain, une littérature « qui assume sa nordicité et sa liberté ». Geneviève Lagacé se rappelle le succès incroyable du titre Il pleuvait des oiseaux, roman de Jocelyne Saucier, « qui est lu à travers le monde dans une vingtaine de langues étrangères ». Ce qui démontre bien la pertinence et la qualité d’une telle œuvre.

La littérature québécoise et franco-canadienne semble vraiment apporter un certain je-ne-sais-quoi à toute une offre sur la scène internationale, et réussit à s’y tailler une place. « Le lectorat international reconnaît à la littérature québécoise la qualité d’être décomplexée, libérée, assumée, singulière et audacieuse, souvent empreinte d’une portée universelle. Notre langue en constante évolution offre aussi un terrain fertile pour des traductions dynamiques et incarnées. Les éditrices et les éditeurs étrangers sont souvent attirés par les œuvres qui mêlent habilement humour et histoires touchantes. » Pour Geneviève Lagacé, La petite et le vieux et Autopsie d’une femme plate, deux romans de Marie-Renée Lavoie, correspondent tout à fait à ces critères.

Qu’en est-il des traces que les livres laissent sur un lectorat jeunesse ? Est-ce aussi simple à déterminer que dans le cas de romans pour adultes, par exemple ? Sophane Beaudin-Quintin répond avec candeur que « lorsqu’ils n’aiment pas, les jeunes s’en cachent difficilement, mais lorsqu’ils aiment, ils aiment passionnément ». Il ajoute que « l’une des plus belles marques de reconnaissance qu’un livre jeunesse puisse recevoir d’un enfant est celle d’avoir engendré un impact positif sur sa vie. Cela peut se manifester d’une infinité de façons ».

Par exemple, Sophane Beaudin-Quintin se souvient d’une mère qui avait fait parvenir une photo et un petit mot à Alain M. Bergeron, auteur prolifique et très apprécié du public jeunesse, et coauteur de la collection documentaire Savais-tu ? qui porte sur différents animaux. Le cliché montrait son fils, le nez plongé dans un livre d’Alain M. Bergeron, alors que la note mentionnait que son enfant ne s’était auparavant jamais intéressé à la lecture malgré ses innombrables tentatives… jusqu’à ce qu’il fasse la découverte de cette collection. Et il n’y avait maintenant plus rien pour l’arrêter de lire ! « Sur la photo, ajoute Sophane Beaudin-Quintin, l’enfant était d’ailleurs entouré d’une dizaine de ces documentaires animaliers. »

Il se remémore également un souvenir particulièrement touchant pour l’équipe éditoriale de Michel Quintin.

Sophane Beaudin-Quintin, photo : Boîte Blanche

« Nous avions reçu un témoignage de la famille d’un jeune autiste qui avait beaucoup de mal à s’intégrer à l’école et qui manquait grandement de confiance en lui. Son intégration était d’autant plus difficile dans un contexte où ses parents étaient de récents immigrants qui ne maîtrisaient pas encore le français. Mais le jeune avait découvert la série Guiby et avait été immensément inspiré par le personnage du super-bébé qui, malgré le danger, ne reculait devant rien. Ce que le témoignage laissait entendre c’est que du jour au lendemain, le comportement du jeune garçon avait changé du tout au tout, de sorte que malgré le contexte plus difficile de son quotidien, il s’était découvert une confiance nouvelle, l’emmenant à s’ouvrir comme jamais aux autres et à communiquer immensément plus. » Sophane Beaudin-Quintin

Aujourd’hui, Sophane Beaudin-Quintin aime imaginer que, depuis ces premières étincelles, des dizaines, voire des centaines d’autres livres ont certainement accompagné ces deux jeunes lecteurs, dans un long jeu de dominos d’impacts positifs.

Bien sûr, les maisons d’édition ne reçoivent pas de tels témoignages tous les jours, mais Sophane Beaudin- Quintin rappelle ce qui alimente la flamme de plusieurs éditrices et éditeurs : « Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir d’un livre ».

Mot d’auteur·trice à propos de son éditeur·trice!

Raymonde Beaudoin (Il était une fois des draveurs), à propos de Gilles Herman et de toute l’équipe des éditions du Septentrion

« Printemps 2013, les éditions du Septentrion acceptent mon manuscrit La vie dans les camps de bûcherons au temps de la pitoune. J’entre dans leurs bureaux avec un godendart et une sciotte. C’est le début d’une belle aventure. J’amène mes bûcherons à la radio, à la télévision, à des conférences et à des salons du livre. L’équipe des éditions du Septentrion, formée par Gilles, Alex, Sophie, Marie-Michelle, Éric et Pierre-Louis, a été derrière moi. J’ai pu compter sur elles et eux. J’ai vu parfois de la surprise dans leurs yeux, mais toujours de la confiance et du respect. Après trois publications, c’est un grand honneur de faire partie de la maison. Merci Gilles Herman ! »