Charlotte Francœur et Mélissa Labonté, codirectrices du Noroît, ont repris la maison d’édition en 2021, succédant à l’éditeur Paul Bélanger. Les livres du Noroît ont toujours eu cette signature visuelle particulière et soignée. Mais à leur arrivée, elles ont cherché à marquer une transition, en intégrant une plus grande diversité de formats, comme l’explique Charlotte Francœur : « Nous avons développé, avec la firme de design Atoca, une nouvelle identité graphique. Notre défi était de produire quelque chose qui soit facilement reconnaissable, et ce, même si tous nos livres et nos collections sont différentes. Nos maquettes sont donc flexibles, mais tendent vers une unité, notamment en ce qui concerne les choix typographiques. Il nous fallait aussi une maquette sans illustration, car certains poètes préfèrent parfois un look plus sobre. Pour les formats, c’est la longueur des vers et des poèmes qui mène nos choix ! » L’éditrice évoque aussi d’autres manières de procéder, qui sont toutefois plus rares : « Parfois [les images en couvertures] sont des commandes, parfois de simples reproductions. Plusieurs poètes sont aussi artistes de l’image, il arrive donc que l’on utilise une œuvre faite par l’autrice ou l’auteur, comme pour le post-espoir de Lula Carballo. »
Façonner
L’école des éditrices et éditeurs
Sarah-Louise Pelletier-Morin
Septembre 2024. L’été se prolonge dans les Halles de Schaerbeek à Bruxelles, où se tient le Poetik Bazar. Au stand TuliTu, on met en valeur la poésie québécoise. J’y fais la rencontre de Louise Warren, qui vient présenter La ligne d’incertitude, son plus récent recueil paru aux Éditions du Noroît. Je la félicite pour ce livre magnifique, qui possède non seulement de grandes qualités littéraires, mais qui est aussi visuellement très beau. « Ah, ça, c’est grâce à Charlotte », me répond-elle, en se tournant vers son éditrice.

Récemment, Le Noroît faisait paraître L’étoile taillée de la poète Émilie Devoe avec une œuvre créée par l’artiste visuelle Julie Delporte en couverture : « Il n’y a pas de processus [de façonnage] précis. Parfois, à la lecture d’un manuscrit, nous pensons spontanément à un ou une artiste ou à une œuvre en particulier. Nous présentons donc l’idée aux autrices et aux auteurs et, s’ils acceptent, nous contactons l’artiste pour lui demander l’autorisation de reproduire l’œuvre en question. C’est ce qui s’est passé avec le dessin de Julie Delporte, qui avait été créé pour un autre projet. »
Il y a aussi le cas des livres d’artistes que Le Noroît crée dans la collection Omri : « Ces derniers n’ont pas de maquettes, et peuvent utiliser des typos différentes. Par exemple, Le reste grandit de Nana Quinn ». Charlotte Francoeur montre un petit livre avec des entrées de type journal intime, avec des pages bleues, des photos et de l’écriture manuscrite. Avec le livre Je ferai battre le cœur des pommes, un livre de photos et de poèmes, elle fait remarquer la page couverture où le titre apparaît non pas par un contraste de couleur, mais via un travail d’embossage. Finalement, elle prend le livre La chasse interdite de Nicolas Lachapelle. Ce dernier est en fait deux livres joints par la couverture, et sera accompagné d’un documentaire sonore sur vinyle. Il arrive aussi qu’un poète soit jumelé avec une ou un artiste visuelle, comme ce fût le cas avec Monuments de Vanessa Bell et Kéven Tremblay. Ce livre est en effet tout à fait particulier. On pourrait le classer parmi les livres d’art, chaque fragment étant intimement lié aux photographies qui se trouvent dans le livre.





Le choix de la couverture, on le sait, est crucial et peut directement influencer la vente d’un livre. Si l’habit ne fait pas le moine, rien n’est moins sûr dans le marché du livre, où l’apparence peut faire mousser des ventes.
Dans La ligne d’incertitude, Charlotte Francœur a eu l’idée d’isoler une section du livre intitulée « quel jardin » en l’imprimant sur des pages vertes. Il va sans dire que le fond et la forme résonnent ici étroitement. Ce n’est pas la première fois que Le Noroît renouvelle et repense l’objet-livre avec la poète Louise Warren. Charlotte Francœur et Mélissa Labonté ont en effet créé une œuvre absolument atypique, originale et ambitieuse avec le projet Vivaces : atelier mobile de lecture et d’écriture, paru en 2022. L’autrice et la maison ont mis au monde une sorte d’hybride entre un recueil de poésie, un jeu de cartes et un manuel à l’intention des jeunes poètes. C’est une aide financière de la SODEC qui a rendu possible ce projet, qui a été très coûteux pour la maison.



Homme-orchestre, Luc Bossé a dirigé la maison d’édition Pow Pow en solo jusqu’à tout récemment. Encore aujourd’hui, il fait lui-même le graphisme des livres qu’il publie :
« Au début, c’était vraiment plus artisanal. Nos premières publications, on les sérigraphiait une par une. C’était une “bonne mauvaise” idée, car ça prenait beaucoup de temps, mais ça a servi à créer l’ADN de la maison d’édition. C’était aussi une façon de faire parler de Pow Pow. » Luc Bossé

On ne s’étonne guère d’apprendre que Luc Bossé a d’abord travaillé dans le domaine de la publicité, tant sa stratégie marketing a fait mouche. L’identité visuelle de sa collection lui importe : « Depuis le début, tous les livres se ressemblent. C’est toujours le même format. C’était notre stratégie initiale, et on a continué dans cette direction-là ». Au départ, il souhaitait que les libraires classent les livres de Pow Pow ensemble. Si le format est identique, les couvertures sont toutes extrêmement différentes et fort travaillées. Ce qui est particulier dans une telle maison d’édition, c’est que les autrices et les auteurs arrivent souvent avec leur propre idée pour la couverture et les différents aspects graphiques du livre.



Les coûts de production sont très élevés pour une bande dessinée. Il faut multiplier par trois, voire quatre fois le prix d’un roman pour l’impression d’un livre chez Pow Pow. Chose étonnante, c’est le rabat qui coûte le plus cher dans la confection d’un livre.
L’éditeur ne bénéficie pas de subventions plus importantes que d’autres maisons. Comment, dès lors, fait-il pour rentabiliser ces coûts de production élevés ? D’une part, en faisant de gros tirages (il peut tirer environ 10 000 exemplaires d’un ouvrage). D’autre part, en misant sur une petite production, c’est-à-dire en ne publiant que très peu de titres par année : « Ça fait 14 ans qu’on fait ça, puis je me suis toujours limité à faire 4 à 8 livres par année, même si je reçois des manuscrits tous les jours. On reçoit des propositions d’un peu partout dans le monde. »
Charlotte Francœur évoque aussi les difficultés liées aux contraintes financières lors de notre entretien : « C’est évident que les coûts d’impression, depuis quelques années, ont explosé. Cela nous force parfois à faire des choix difficiles, tout en conservant le soin que l’on apporte à chaque objet-livre et qui caractérise la maison depuis les années 1970. Les couvertures texturées, les estampages, l’embossage, les pages couleur ou die cut coûtent extrêmement cher, et nous ne pouvons donc que rarement en produire. Mais nous avons toujours trouvé important de démocratiser le livre d’artiste, que chaque publication réponde à son contenu en tous points. Certains livres sont vendus plus cher, mais contiennent aussi des créations visuelles. D’ailleurs, le poème lui-même répond à des exigences de formes, de sensibilité, de sensualité, et c’est ce que nous tentons de faire ressortir dans tous les aspects singuliers du livre. »
« C’est évident que les coûts d’impression, depuis quelques années, ont explosé. Cela nous force parfois à faire des choix difficiles, tout en conservant le soin que l’on apporte à chaque objet-livre et qui caractérise la maison depuis les années 1970. Les couvertures texturées, les estampages, l’embossage, les pages couleur ou die cut coûtent extrêmement cher, et nous ne pouvons donc que rarement en produire. Mais nous avons toujours trouvé important de démocratiser le livre d’artiste, que chaque publication réponde à son contenu en tous points. Certains livres sont vendus plus cher, mais contiennent aussi des créations visuelles. D’ailleurs, le poème lui-même répond à des exigences de formes, de sensibilité, de sensualité, et c’est ce que nous tentons de faire ressortir dans tous les aspects singuliers du livre. » Charlotte Francœur
À la fin de notre rencontre, Luc Bossé me confie qu’il n’aurait jamais choisi ce métier s’il était passé par « l’école des éditeurs », c’est-à-dire en toute connaissance de cause. Il a appris sur le tas, en travaillant énormément, en cumulant des dettes et en cultivant un sens communautaire. C’est dire combien il faut de la passion, et une dose de folie, pour façonner des livres. À voir la reconnaissance dont l’éditeur jouit aujourd’hui à l’international, et le succès de ses autrices et auteurs dont les livres ont été adaptés au théâtre et au cinéma, on peut dire qu’il ne s’est pas trompé de voie.