Collections | Volume 10 | numéro spécial

Entrevues et portraits

La lecture accessible : mon expérience en 360°

Mélissa Castilloux, spécialiste en accessibilité et utilisatrice d’EPUB 3

Melissa est consultante en accessibilité numérique, notamment pour le Réseau national de services équitables de bibliothèque (RNSEB-NNELS), l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) et les Librairies indépendantes du Québec (LIQ). Elle est également étudiante à la maîtrise en science politique, avec une spécialisation en études féministes, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). En tant que personne dyslexique et dysorthographique, elle a assisté aux différentes étapes de l’amélioration des outils de lecture en EPUB, ce qui l’a rendue sensible aux technologies qui permettent une manière plus inclusive de lire. Elle témoigne ici de son expérience du livre numérique accessible.

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Qu’est-ce que la dyslexie ? Pour moi, l’explication la plus simple est celle du trouble d’apprentissage qui se traduit comme une incapacité à « automatiser la lecture », soit l’action de décoder les lettres et les syllabes. Si vous êtes passionné de littérature et que vous n’êtes pas dyslexique, vous connaissez probablement la sensation de détente où vous oubliez que vous êtes en train de décoder des lettres, des syllabes et des mots, au point de devenir complètement plongé dans l’histoire. L’absence d’automatisation est un obstacle majeur à la lecture.

J’utilise fréquemment l’analogie de la marche pour expliquer l’expérience de la dyslexie : nous apprenons à marcher vers un an et, une fois que c’est acquis, cela devient un automatisme. Imaginez si vous deviez analyser chaque pas que vous faites en vous disant : « Ok, je lève ma jambe, je transfère le poids de mon corps vers l’avant, je dépose mon autre pied » et ainsi de suite ! Vous seriez capable de marcher, mais l’épuisement mental se ferait rapidement sentir et les chances d’avoir un moment d’inattention et de tomber augmenteraient. Puisque la marche vous demanderait toute votre concentration, il vous serait difficile d’être attentif à votre environnement. Lorsqu’une personne comme moi lit, son énergie est mobilisée et il est diff icile de porter son attention sur le contenu du livre.

Le format EPUB

Il y a environ 10 ans, je me préparais à un voyage de longue durée en Europe et, ne pouvant pas apporter ma bibliothèque avec moi, une amie qui me savait passionnée de lecture m’a offert une liseuse Kindle. Quelques jours avant mon départ, j’ai téléchargé plusieurs de livres en format PDF et sur le site web Project Gutenberg, l’une des plus grandes bibliothèques de livres en version numérique. À l’époque, je téléchargeais tous les livres qui m’intéressaient sans prêter une attention particulière aux formats, que ce soit EPUB, HTML, texte, PDF.

C’est seulement qu’une fois en partie en voyage que j’ai constaté que tous les formats de livres numériques n’étaient pas conçus de la même manière. D’ailleurs, ceux que je voulais lire en PDF m’avaient posé beaucoup de problèmes. J’ai donc rapidement ressenti de la frustration et de l’agacement, car je ne pouvais pas profiter d’une expérience de lecture fluide. J’avais choisi ma liseuse pour sa commodité et sa facilité d’utilisation, mais cette tentative de lire était tout sauf plaisante : je perdais du temps et de l’énergie à essayer de naviguer dans le document au lieu de me concentrer sur le contenu. J’ai essayé de trouver une solution en explorant différentes options d’agrandissement ou de tailles de police, mais rien ne fonctionnait.

Dès la première page, la taille de la police est trop petite pour une lecture confortable. Je me disais « pas de problème, je vais agrandir la police de caractères », pour me rendre compte que ce n’était simplement pas possible ! Ensuite, les pages du livre ne s’ajustaient pas à la taille de l’écran et, pour lire une seule ligne, je devais faire déplacer l’écran à gauche pour me rendre à la fin de la ligne. J’avais l’impression que le texte se déplaçait dans toutes les directions. Et que dire de ma liseuse dont l’écran n’était pas tactile ! J’ai donc abandonné le projet assez rapidement.

La police OpenDyslexic et la fonction de synthèse vocale activées dans un EPUB 3. Extraits de Dîner pour deux (Perce-Neige)

Heureusement, par la suite, j’ai expérimenté le format EPUB, qui m’a procuré une expérience plus positive. La mise en page s’ajustait automatiquement à la taille de l’écran et la taille de police était facile à sélectionner. Quelle joie ! J’avais même une option pour mettre des signets ou écrire des notes, ce qui était très important dans mes lectures. Pour moi, cette gamme de fonctionnalités a donc fait la différence entre persister ou abandonner la lecture.

Les fonctionnalités du format EPUB m’ont semblé rapidement très intuitives : elles correspondaient à mon expérience de lecture sur le web. C’est plus tard, dans le cadre de ma collaboration avec le National Network for Equitable Library Service (NNELS.), où j’ai appris le fonctionnement de l’EPUB et les bases de sa programmation, que j’ai compris qu’ils étaient basés sur la structure XML, la même que celle utilisée sur le web. Conséquemment, la lecture d’EPUB est facile pour ceux et celles qui ont l’habitude de lire sur le web, car de la même façon que le XML, le format permet de séparer le contenu du livre de sa mise en page en prévision de l’adaptation du contenu aux différents appareils de lecture, comme les ordinateurs de bureau, les tablettes, les téléphones intelligents et les liseuses électroniques.

Lorsque j’ai commencé l’université en 2018, le EPUB est devenu mon meilleur allié : les outils d’accessibilité avaient le pouvoir de réduire la fatigue engendrée par ma dyslexie. J’ai été attirée par les options d’annotation et de surlignage, tous deux très utiles dans un cadre scolaire. 

De plus, la fonctionnalité de lecture avec la synthèse vocale, avec des applications numériques comme VitalSource Bookshelf, m’a beaucoup aidée. Ce mode me permet de lire tout en écoutant le texte, ce qui réduit la fatigue mentale et me permet d’axer mon attention sur le contenu. Avec certains logiciels de synthèse vocale, je peux même personnaliser la vitesse de lecture et ajuster d’autres paramètres selon mon confort.

Depuis quelque temps, l’EPUB 3 offre une lecture encore plus fluide que les versions précédentes de livres accessibles numériques. Basé sur le mode de programmation HTML5, il peut inclure des graphiques et des typographies avancées ainsi qu’une interactivité accrue, en plus de la synthèse vocale et d’une meilleure expérience de navigation.

Le plus grand enjeu en matière de livre accessible est de rencontrer les utilisateurs qui en ont besoin. La technologie EPUB 3 permet une accessibilité exceptionnelle, mais les livres convertis doivent être bien conçus afin que les lecteurs et lectrices puissent profiter pleinement de la technologie. De plus, ces derniers doivent expérimenter les nouvelles fonctionnalités pour adopter ce format, et les professionnels des bibliothèques et des librairies, tout comme les sites web de prêt et de vente de livres, doivent offrir les informations nécessaires aux personnes qui en ont besoin. Leur contribution est essentielle pour élargir les lectorats.

Au cours des dernières années, j’ai eu la chance de participer, en tant que spécialiste en accessibilité, au Pavillon du livre numérique accessible organisé par l’ANEL dans divers salons du livre au Québec. Grâce à ces expériences, j’ai pu partager mon parcours en tant que dyslexique et j’ai également eu l’occasion de discuter avec certaines personnes qui m’ont à nouveau convaincue de l’importance des livres accessibles, même pour un plus large public. Certaines m’ont fait part de leur enthousiasme pour les nouveaux formats accessibles pour des proches qui sont analphabètes sans être nécessairement en situation de handicap.

J’ai été touchée par l’enthousiasme des gens durant les salons du livre, en particulier celui de certaines personnes âgées ayant des proches qui perdent la vue, au point de devoir abandonner la lecture malgré un grand amour pour les livres. Ces dernières ont avidement pris des notes sur les ressources accessibles afin d’informer leurs amis dans l’espoir que ceux-ci puissent continuer à savourer la lecture. Je pense également aux parents d’enfants dyslexiques découragés parce que leur enfant « n’aime pas » la lecture, et qui découvrent que la lecture peut passer par d’autres chemins que la lecture avec les yeux. Ce n’est pas parce que l’on est dyslexique que l’on n’est pas curieux et que l’on n’a pas envie de se faire raconter des histoires. Grâce aux nouvelles technologies, il est possible de lire avec les oreilles en écoutant des livres grâce à la synthèse vocale, avec les EPUB ou encore avec les livres audio. De cette manière, ces enfants peuvent contourner l’immense montagne du décodage des lettres pour avoir accès, comme les autres, aux histoires et aux connaissances enfouies dans les livres. Ainsi, les enfants dyslexiques peuvent également bénéficier de toutes les richesses que les livres ont à offrir.

À travers toutes ces discussions, j’ai pu constater que, malgré la popularité des livres numériques, il existe encore un besoin criant pour que les livres accessibles soient mieux connus du public. Ils permettent de donner accès aux histoires et aux connaissances à des personnes qui, autrement, ne pourraient pas en bénéficier. Je milite donc pour ce format, car je crois fermement à sa contribution au rayonnement culturel, de même qu’à son rôle social de démocratisation de la lecture. Et vous, chers lecteurs et chères lectrices de Collections : participez-vous au mouvement ?