Collections | Volume 10 | numéro 2

Littérature

Écrire pour faire avancer le monde

Samuel Larochelle

L’adage veut que l’Histoire avec un grand « H » soit la version écrite par les vainqueurs. Une façon pour les penseurs de prendre un pas de recul sur les écrits qui nous viennent d’autrefois. De garder en tête les visées politiques ou les mentalités d’une époque qui teintent la lecture d’un événement, d’un personnage ou d’un revirement. De considérer dans l’équation la perspective de celui qui tenait la plume, en n’oubliant jamais que les parchemins, les livres et les outils numériques relatant le passé ont été écrits, en vaste majorité, par des humains qui se sont placés et maintenus au sommet de la pyramide sociale.

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Lorsqu’on prend conscience de cette réalité implacable, que fait-on ? Certaines personnes diront que leur lecture du passé se fait avec un regard critique plus aiguisé. D’autres voudront prendre les mêmes armes – la plume ou le clavier – pour réécrire le monde. Non pas pour répéter les vieux réflexes de domination de la pensée avec d’autres idées, mais pour insuffler un lot de nuances dans le discours populaire.

Plus que jamais, aujourd’hui, la littérature est un espace pour repenser nos approches de la société, pour témoigner autrement du discours historique, pour mettre de l’avant une autre façon d’agir, de réfléchir, d’aimer, de s’identifier ou d’interagir avec les autres. Des romans aux essais, en passant par la poésie et la nouvelle, la littérature permet de faire avancer le monde. Une page à la fois.

Suggestions de livres

Trop de Pascale

PASCALE BÉRUBÉ

Une plume trans a fait une entrée remarquée dans le paysage artistique, alors que PASCALE BÉRUBÉ a publié Trop de Pascale. Bien que son livre ne se concentre pas sur son corps de personne trans, on sent que sa transidentité en influence le rapport, objet de toutes les fascinations. L’autrice réfléchit dans le menu détail à l’image, aux éléments qui définissent notre identité intrinsèque et à tout ce que les humains développent par mimétisme, à force d’être bombardés par des images à la télévision, sur les médias sociaux, dans les publicités et dans les magazines. Une façon pour elle de remettre en question l’unicité, la beauté et la féminité, sans jamais adopter un ton accusateur ni revanchard. Sa plume est aussi incisive que poétique.

Triptyque, coll. « Queer » 24,95 $

L’amour aux temps d’après

JOSHUA WHITEHEAD

Quatre ans après avoir publié Johnny Appleseed, un premier roman explosif et absolument fascinant qui s’est retrouvé sur la liste préliminaire du prix Giller en 2018 et sur la liste des finalistes aux Prix littéraires du Gouverneur général dans la même année, JOSHUA WHITEHEAD nous propose un projet collectif, L’amour aux temps d’après. Porté par neuf plumes issues des Premières Nations, le livre est une formidable démonstration de la modernité créative et du rapport aux racines des Premiers Peuples. En effet, les artistes offrent tour à tour des nouvelles mariant la science-fiction, la tradition autochtone et la culture queer en imaginant des personnages LGBTQ2S+ qui évoluent dans un monde post-apocalyptique, alors que la solidarité et l’espoir se côtoient dans ces pages teintées d’utopie.

Alto 24,95 $

Homo sapienne

NIVIAQ KORNELIUSSEN

NIVIAQ KORNELIUSSEN a secoué la planète littéraire en publiant Homo sapienne, un premier roman traduit dans plus de dix langues et considéré par le New York Times parmi les petites pépites à découvrir. L’autrice raconte le destin de cinq jeunes de Nuuk, la capitale du Groenland, qui sont déchirés par des questionnements tumultueux sur leur nationalité, leur rapport au Danemark colonialiste, leur personnalité, leur genre ou leur orientation sexuelle. Très loin des clichés contemplatifs mettant en lumière la nature et la faune nordiques, son roman dévoile une histoire bouillonnante, nuancée et rythmée qui témoigne avec acuité des réalités de cet immense territoire outre-mer danois adjacent au Canada.

La Peuplade 24,95 $

500 ans de résistance autochtone

GORD HILL

Difficile de trouver un livre faisant une démonstration plus éloquente d’un discours historique raconté autrement. Avec sa bande dessinée intitulée 500 ans de résistance autochtone, le créateur GORD HILL s’attarde sur des événements qui ont marqué un tournant dans l’histoire du monde : l’invasion espagnole des différents empires aztèque, maya et inca, la révolte des Pueblos au Nouveau-Mexique, l’inoubliable crise d’Oka au Québec, la bataille de Wounded Knee, les manifestations reliées au mouvement Idle No More et celles des revendications anti-pipeline du peuple Wet’suwet’en. Tout cela, évidemment, avec une perspective autochtone. Qu’on se le tienne pour dit : le livre est un remède fort efficace à la version dite « officielle » de l’histoire des Amériques longtemps racontée du point de vue unique des colonisateurs et autres oppresseurs.

Prise de parole 29,95 $

Les luttes fécondes : libérer le désir en amour et en politique

CATHERINE DORION

Avant d’occuper l’espace public et politique de façon unique en tant que députée de Québec solidaire, CATHERINE DORION invitait déjà à considérer le pas de côté, les changements de perspectives et les amours non traditionnels. Dans son essai Les luttes fécondes : libérer le désir en amour et en politique, l’autrice explore les conséquences des différentes solitudes, tente de créer des ponts entre les humains, dresse des parallèles entre nos aspirations relationnelles et sociales en plus de proposer de faire éclater les cadres qui nous empêchent de mettre en branle une révolution des cœurs. Page après page, elle remet en question le modèle du couple, les frontières de la famille, les fondations de nos institutions politiques et les élections.

Atelier 10 11,95 $

En cas d’incendie, prière de ne pas sauver ce livre

CATHERINE VOYER-LÉGER

Publié chez Prise de parole, En cas d’incendie, prière de ne pas sauver ce livre a été dirigé de main de maître par CATHERINE VOYER-LÉGER, bien connue dans le milieu littéraire. Les 12 auteurs qui ont collaboré à ce projet analysent, dans des essais narratifs très personnels et lucides, la crise climatique dans tous ses paradoxes. Par la même occasion, ils témoignent de leur rapport complexe à l’environnement, souvent teinté de colère, de résignation ou de culpabilité. Parmi les contributions les plus percutantes du volume, mentionnons celle de Mishka Lavigne, axée sur la surconsommation ; celle de Le R Premier, un rappeur et slameur de l’Ontario francophone, qui propose une réflexion sur les biens matériels ; enfin, celle de Ouanessa Younsi, qui s’adresse à son fils dans une lettre émouvante. Intimistes, mais pas larmoyants, engagés sans être trop politiques, les textes évitent le ton moralisateur et brossent un portrait nuancé de l’une des plus grandes crises du xxie siècle.

Prise de parole, 2021, 98 p. 12 $

Autoportrait d’un paysan rebelle

CHRISIAN BARTHOMEUF

Devant l’état de la planète, certaines personnes détournent le regard, d’autres mettent à profit leur cerveau en quête de solutions, alors que d’autres mettent les deux mains dans la terre, portés par un désir de passer à l’action. Parmi elles, on retrouve CHRISIAN BARTHOMEUF, dont l’Autoportrait d’un paysan rebelle raconte comment il est devenu l’un des pionniers de l’agriculture biologique et régénératrice au Québec. Après avoir grandi dans le Cantal, en France, il a déménagé sa vie au Québec dans les années 1970 et a entrepris la création du domaine Clos Saragnat et la confection de cidre de glace. Sans filtre, l’homme dit tout ce qu’il pense sur les dérives de l’industrie agroalimentaire, sur l’agriculture et sur l’importance de la biodiversité.

Éditions du passage 34,95 $

Nous défricherons chacune un monde

MARIE CLARK

Repenser notre rapport à la terre à coups d’informations ou d’envolées engagées, c’est nécessaire, mais réfléchir aux réalités potagères à coups de petits poèmes, ce l’est certainement aussi. Dans le très joli livre Nous défricherons chacune un monde, MARIE CLARK partage les leçons apprises en cultivant son jardin à travers les échanges entre une grand-mère un peu sorcière et sa petite-fille en pleine adolescence. Un haïku, un geste ou une pensée à la fois, l’écrivaine et pédagogue veut cultiver l’esprit des jeunes et les pousser vers la dissidence. Ainsi, sa poésie, aussi subtile que concise, arrivera peut-être à mobiliser les jeunes générations et à les pousser, tels les battements d’ailes d’un papillon, vers une révolution.

Éditions David 14,95 $

Tous les oiseaux sont ici

CYNTHIA G. RENARD

Parce que la poésie est le territoire de tous les possibles, on prend grand plaisir à lire Tous les oiseaux sont ici, une œuvre de CYNTHIA G. RENARD publiée aux éditions du Noroît. Phrase après phrase, l’écrivaine explore la forêt de son enfance avec un corps en transformation perpétuelle, dans un monde où le chaos règne et où l’incertitude plane. Catapultée dans un univers onirique, elle fait la rencontre de personnes aux allures animales, parfois recouvertes d’écailles, de plumes ou de fourrure, en plus d’échanger avec les arbres qui lui apportent du réconfort. Sentant peu à peu s’effacer les frontières entre elle et le reste du monde, elle exprime ce qu’elle voit et ce qu’elle sent sans retenue.

Le Noroît 21,95 $

mélamine méduse

JONATHAN ROY

La mélamine est une source d’inspiration insoupçonnée. Si pour quantité d’individus, le matériau rappelle une époque, un bon goût relatif, des meubles tirés de notre passé ou des armoires qu’on ne voudrait jamais plus revoir, même pas en photos, pour JONATHAN ROY, c’est le symbole de notre consommation. En publiant son troisième recueil, intitulé mélamine méduse, l’écrivain s’attaque au désastre écologique qui nous attend dans le détour, offre une réflexion critique sur notre société construite sur les fondations de la production et de l’achat, et décortique les artifices qui remplissent nos vides intérieurs. Sa poésie lui sert de fer de lance pour nous faire voir le monde autrement, nous mettre sous le nez certains de nos travers et faire disparaître nos œillères. N’hésitant pas à utiliser une multitude d’exemples tirés de la culture populaire et des mythes immémoriaux, Jonathan Roy met au banc des accusés notre rapport à l’image, nos égos démesurés et notre désir incessant de rentabilité pour démontrer tous les torts qu’ils ont causés à la nature et au bien-être collectif.

Éditions Perce-Neige 15,99 $

Fou d’Ahlam

LOUENAS HASSANI

LOUENAS HASSANI a fait ses premiers pas sur la scène littéraire franco-canadienne en publiant La coureuse des vents et La république de l’abîme. Le voilà qui revient à l’avant-plan avec Fou d’Ahlam, un roman qui a bien failli se nommer L’amour à l’heure du coronavirus et de la colère… ou de la répression. En effet, c’est sur fond de pandémie mondiale et de renversement politique qu’un jeune professeur de philosophie, Elian, tombe sous le charme d’une étudiante en médecine, Ahlam, alors que l’urgence sanitaire et la répression en politique leur mettent des bâtons dans les roues. Le roman est une façon pour Hassani de décrire les efforts de la jeunesse de son pays natal pour se sortir de la dictature, de mettre en lumière la place des femmes dans une société très conservatrice et d’explorer notre rapport à l’autre en pleine pandémie. Dit autrement, l’écrivain raconte comment on compose avec des chamboulements de dimensions intérieures, nationales et mondiales en simultané.

Éditions David 24,95 $