Collections | volume 10 | numéro spécial

Faire des vagues

Ce numéro a été rédigé pour un public franco-européen.

De vous laisser parler d’amour

 

Pour le dire trivialement, elle n’était pas de celles sur lesquelles il se retournait dans la rue. Il l’avait déjà croisée, mais ça n’était pas allé plus loin. Et puis voilà, il l’a retrouvée, par hasard, dans une librairie et il s’est dit qu’il lui laisserait bien sa chance. « Lui laisser sa chance », on croit rêver ! Se doutait-il seulement qu’il serait le plus chanceux des deux ?

Bon, je n’irai pas par quatre chemins : ça s’est terminé au lit. Elle se laissait effeuiller, il la caressait, fébrile. Ses collègues se sont bien moqués de lui, quand il est arrivé en retard, le lendemain, l’air béat et les yeux cernés. Il les a laissés parler : que comprenaient-ils aux coups de foudre ? Il le savait au fond de lui, c’était le début d’une histoire d’amour comme il ne s’en trouve que dans les romans…

Partager

Parce que voilà, elle s’est emparée de son esprit depuis le jour où leurs langues se sont mêlées. À son contact, la sienne lui semblait tout à la fois nouvelle et familière. Elle la maniait avec tant de liberté…

Elle lui a parlé de son pays et il s’est surpris à le découvrir différent de celui qu’il s’était figuré. Il a perçu sa fierté quand elle a évoqué ses racines autochtones, son combat francophone et son identité, métissée et devenue multiple au gré de générations venues d’ailleurs. Elle l’a étonné, ému, a fait rire ses enfants. Il a appris à la connaître, au point de pouvoir lire en elle comme dans un livre ouvert.

Elle usait d’expressions qu’il n’avait jamais entendues et il en comprenait le sens comme s’il les avait toujours utilisées. Il finissait par dire je m’ennuie d’elle comme souvent, quand on tombe en amour. Il en parlait avec passion autour de lui, avait hâte de la présenter à son entourage. Il en est venu à se demander à quoi pouvait bien ressembler sa vie avant de la connaître.

Elle l’a quitté, aussi, parfois. « C’était une belle histoire, mais il faut tourner la page. » Elle prononçait des mots, comme ça, lui embuait les yeux. Mais il ne se laissait pas abattre car il savait, au fond de lui, que c’était pour mieux la retrouver.

Car oui, il est revenu. Il est revenu parce que c’était une évidence. Il est revenu comme les vagues du Saint-Laurent qui n’ont d’autre vocation que de revenir. Il est revenu le cœur battant, l’a cherchée des yeux, l’a effleurée des doigts. Il était fébrile à l’idée d’entamer un nouveau chapitre à deux, de retrouver en elle ce qui l’avait fait vibrer, de découvrir de nouvelles facettes de sa personnalité. Il lui disait « as-tu donc tout oublié de notre histoire ? ». Elle lui répondait d’un mouvement négatif de la tête qui voulait tout simplement dire « je me souviens ».

Il n’a pas été le premier à succomber à notre littérature. Pas non plus le dernier.

Et c’est peut-être grâce à vous.

Éric Chacour

Auteur de Ce que je sais de toi, publié aux Éditions Philippe Rey (Éditions Alto au Québec).