Croc fendu

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Premier roman de Tanya TAgaq, artiste inuktitut du chant de gorge et gagnante du prix Polaris pour son album Animism en 2014, Croc fendu raconte la vie d’une jeune fille dans les années 1970 au Nunavut. Le personnage principal se confronte à la misère sociale de son village et de ses habitants. L’auteure aborde le thème de la violence, du point de vue des enfants. Entre les coups pendables des jeunes garçons qui harcèlent les filles, les oncles qui se battent et apparaissent tels des bêtes démoniaques, les animaux chassés et les professeurs qui fouillent dans les culottes des élèves, l’ampleur du désœuvrement ambiant prend forme. De la même façon que ce récit passe de la poésie aux histoires sordides – les poèmes étant distribués tout au long du livre – on bascule également, petit à petit, dans le conte fantastique et la mythologie inuit. Dès le moment où l’auteure raconte une soirée mythique avec un renard bipède qui la pénètre sur la banquise, le récit migre vers une réinvention du mythe de Sedna. Femme se transformant en phoque, esprit des animaux marins que les chasseurs appellent afin qu’elle leur porte chance et libère ses créatures, pour nourrir les humains. Dans ce livre, deux enfants naissent des entrailles de la narratrice, un fils mauvais et une fille trop douce. Le fils distribuera la mort, s’insinuera dans les corps fragiles pour les faire périr et sa sœur tentera de contrer les effets dévastateurs de cette malédiction. La langue de Tanya Tagaq, même en traduction, opère ce changement de registre, passe du poème au récit, du conte fantastique à la mythologie inuit avec une aisance talentueuse. En résulte un ouvrage fort, sans concession, et beau tel un chant coupant et dangereux.