Collections Volume 8 | numéro spécial

Entrevues et portraits

Samuel Cantin

le bédéiste qui fait son cinéma

Josianne Desloges

Samuel Cantin rêvait de tourner des films et d’écrire des romans, mais c’est avec la bande dessinée qu’il a trouvé sa véritable voie. Sa saga épique Whitehorse, dont l’intégrale fait 552 pages, conjugue avec une acuité philosophique et un humour débridé des scènes de discussion touffues et d’abracadabrantes péripéties au Yukon.

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Son projet « le plus abouti et le plus ambitieux en termes de volume », note-t-il, est son troisième livre après Phobies des moments seuls, le journal intime d’un astronaute d’abord publié sous forme de blogue puis aux Éditions Pow Pow, et Vil et misérable, un roman graphique à propos d’un libraire un brin diabolique qui partage sa boutique avec un commerce de voitures usagées.

Whitehorse s’articule autour d’Henri Castagnette, qui redoute de perdre sa Laura bien-aimée, une comédienne, au profit d’un réalisateur imbuvable et en vogue nommé Sylvain Pastrami. « J’avais envie de parler d’amour, de jalousie, de couple, de la scène culturelle québécoise et de choses ancrées dans le monde réel, même si ce que je fais n’est jamais complètement réaliste », indique Samuel Cantin.

« J’avais envie de parler d’amour, de jalousie, de couple, de la scène culturelle québécoise et de choses ancrées dans le monde réel, même si ce que je fais n’est jamais complètement réaliste. »

Samuel Cantin

Dans la première partie du diptyque, un tournage au Yukon est évoqué, mais on ne quitte jamais Montréal. Des discussions avec leurs lots d’angoisses, d’étrangetés, de digressions et de détails comiques (dont 40 pages sur un trottoir !) ont permis au bédéiste d’aiguiser son talent de dialoguiste dans un exercice de style consistant.

« Je voulais que lire Whitehorse, ce soit l’équivalent de rencontrer un film, explique-t-il. Comme lecteur, les BD me laissent souvent sur ma faim, j’en voudrais toujours plus. Tant qu’à faire une histoire, je veux que ça soit long, qu’il y ait de la matière et que j’aie le temps de camper des personnages. »

Dans la seconde partie, l’aventure prend le dessus : poursuites, volcan, pélicans géants sanguinaires et coups de théâtre attendent les lecteurs. « En BD, tout est possible. C’est un art qui donne une liberté incroyable ! », s’exclame Samuel Cantin, qui a aussi écrit quelques courts-métrages et travaillé sur des projets télé.

Des portions de son diptyque ont déjà été adaptées en courts-métrages par l’Office national du film du Canada et présentées au Festival international de films Fantasia, à Montréal, en 2021. Belle preuve de l’intérêt des textes de Samuel Cantin, une lecture théâtrale a aussi été produite par la compagnie de Théâtre Jean-Duceppe.

Les joutes verbales amalgamant plusieurs niveaux de langage et ponctuées de patois volontairement vieillots comme simonac et câlibine rendent le tout savoureux. « En l’écrivant, je pensais juste à être le plus vrai possible, souligne Samuel Cantin. J’ai eu des lecteurs français, déjà, et je crois que même sans comprendre toutes les expressions, ils saisissent facilement l’essence. »

Whitehorse est déjà disponible en Europe francophone et pourrait très bien suivre les traces de Vil et misérable, traduit en espagnol et en anglais et adapté pour le cinéma dans un film qui sera réalisé par Jean-François Leblanc.

Des histoires qui ont du souffle

Grand amateur du 9e art depuis l’enfance, Samuel Cantin s’est mis à dessiner tôt et avait déjà l’ambition de dépasser ses maîtres. « Je voulais faire une BD de 64 pages, pour en avoir deux de plus qu’un album de Tintin », raconte-t-il.

Son trait est d’ailleurs proche de la ligne claire, la signature d’Hergé, mais est un brin plus nerveux. Le Québécois se permet parfois de faire des cases qu’on pourrait qualifier d’expressionnistes, tant les visages y sont éclatés et les réactions exagérées. Il a d’ailleurs muni le personnage central de Whitehorse d’un nez caractériel, très découpé, « bédéesque ».

« Probablement que ce nez-là permet de rendre le tout moins sérieux, d’amener une dimension fantaisiste et drôle, malgré le drame que vit le personnage », note-t-il.

Il planche déjà sur une suite, Oublions Pépin, qui se déroulera cinq ans après les évènements de Whitehorse dans le milieu littéraire. Henri Castagnette, devenu écrivain, y affrontera un nouveau rival : un détestable auteur français.

« Je me suis pris un atelier et j’ai constaté que plein de monde faisait de la BD. Dès que j’ai vu que c’était possible d’en faire un métier, je n’ai jamais regardé en arrière. »

Samuel Cantin

D’ici là, il publiera Il y a quelque chose de poussiéreux à Sorel-sur-Poussière, le premier tome de Shérif junior, un western québécois qui prend place dans un terroir inventé, désertique et truffé de références cinématographiques.

L’inspiration de Samuel Cantin ne semble pas prête de se tarir, alors qu’il baigne dans un milieu en plein essor. « Il y a dix ans, oui il y avait de la bd québécoise, mais pas tant que ça. Je n’aurais jamais pensé aller porter un manuscrit, disons. » La rencontre avec son éditeur, Luc Bossé, lors des balbutiements des Éditions Pow Pow, fut déterminante. « Je me suis pris un atelier et j’ai constaté que plein de monde faisait de la BD. Dès que j’ai vu que c’était possible d’en faire un métier, je n’ai jamais regardé en arrière. »

Whitehorse. L’intégrale, Samuel Cantin, Éditions Pow Pow, 2016, 216 p., 19 €, 978-2-92511-400-0, Les Belles Lettres

Phobies des moments seuls, Samuel Cantin, Éditions Pow Pow, 2016, 160 p., 18 €, 978-2-92404-902-0, Les Belles Lettres

Vil et misérable, Samuel Cantin, Éditions Pow Pow, 2016, 148 p., 18 €, 978-2-92404-909-9, Les Belles Lettres