Collections Volume 8 | numéro spécial

Entrevues et portraits

Larry Tremblay

un succès intercontinental

Samuel Larochelle

Larry Tremblay fait partie du paysage culturel québécois depuis plus de quatre décennies. Dramaturge, romancier et poète, il a vu ses pièces traverser l’Atlantique à partir de 1999, alors que son roman L’orangeraie a fait exploser sa popularité au cours des  dernières années, grâce à des traductions dans 25 pays principalement en Europe. À l’automne 2021, son roman Tableau final de l’amour, librement inspiré de l’œuvre et de la vie du peintre britannique Francis Bacon, lui a permis d’atteindre de nouveaux sommets.

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Le créateur a eu vent de 150 textes de critiques, de libraires et de blogueurs européens sur sa plus récente publication. « Je suis impressionné, affirme-t-il en entrevue. Je sais que Francis Bacon est mieux connu en Europe qu’au Québec, vu le nombre d’expositions sur ses œuvres qui circulent et la quantité de livres écrits sur lui. De ce fait, mon livre résonne mieux et plus en Europe. Cela dit, il n’est pas nécessaire de connaître le peintre pour apprécier mon livre. »

En effet, 80 % du roman sont tirés de son esprit. « Je ne suis pas un écrivain qui fait des recherches pour écrire. Je n’ai pas lu de biographies sur lui, afin de ne pas être contaminé. Plusieurs des personnages n’existent pas. » L’écrivain a donc imaginé la vie du peintre. Sa relation tragique avec un homme qui l’a cambriolé, avant de passer la nuit avec lui et de revenir sans cesse pour obtenir autre chose que ses possessions. L’extrême violence physique et psychologique de son père a généré chez lui un mélange entre l’excitation sexuelle, la domination et la masculinité ultra toxique. Les histoires d’agressions sexuelles qui se sont transformées en fantasmes. Ses années de prostitution à Paris avec des êtres aussi abjects que grandioses.

Des tranches de vie fictives que l’auteur se garde bien de juger. « Si je le jugeais, je le castrais. Bacon est un personnage radical et extrémiste dans sa démarche, qui me fascine. Cela dit, je ne me projette pas en lui. Je n’ai pas cette radicalité et je ne veux pas non plus l’avoir. Pour écrire sur lui, je devais accepter ses paradoxes, ses tricheries et ses hypocrisies, ce qui ne veut pas dire que si je le rencontrais, je le trouverais sympathique. »

Il a tout de même trouvé le moyen de plonger dans les méandres du créateur, en décortiquant le choix des couleurs qu’il couchait sur une toile, les émotions qu’il épiait chez les gens, les situations tendues qu’il provoquait pour s’inspirer, la violence qui le galvanisait et la perte de contrôle qui lui permettait d’atteindre des zones intimes de l’humain et de l’art.

« Si je le jugeais, je le castrais. Bacon est un personnage radical et extrémiste dans sa démarche, qui me fascine. Cela dit, je ne me projette pas en lui. »

Larry Tremblay

Une incursion permise grâce à un imposant travail préparatoire réalisé en écrivant 158 fragments de Francis Bacon explosé, qu’il a publié en 2012. « Son œuvre picturale s’est déposée en moi pendant des années, un peu comme un vin, et s’est transmuée en moi d’abord durant le travail poétique. C’est la chaire poétique des mots qui correspond à l’œuvre visuelle qui m’a permis d’entendre sa voix et de créer ce roman par la suite. Sans ce premier projet, c’est certain que je n’aurais pas pu écrire cette langue si particulière qui fait en sorte qu’on entend Francis Bacon parler et s’adresser aux lecteurs, ainsi qu’à George Dyer. »

Une voix qui est née d’une approche physiologique propre à Larry Tremblay, qui a longtemps enseigné le théâtre. « Je travaille à partir de focus corporels qui vont donner une couleur particulière à mes mots, un rythme, un choix de vocabulaire, une façon de ponctuer et de créer des ruptures, qui vont installer une musicalité dans la langue. Dans chaque livre, on entend une nouvelle façon d’approcher la langue française et de la faire résonner. »

Si les habitués de son univers savent qu’il écrit des livres différents dans le contenu et dans la forme, on peut reconnaître sa signature dans son exigence. « Je coupe beaucoup. Mes œuvres sont denses émotivement, mais pas très longues. Je ne suis jamais bavard. Je m’éloigne toujours de ce que j’appelle la conversation pour me rapprocher du dialogue. » On pourrait également dire que son travail d’orfèvre frôle le grandiose à plusieurs reprises, sans jouer à être grandiose. Ce n’est que le résultat d’une pratique d’écriture de longue haleine à laquelle le public québécois a pu goûter au théâtre dès la fin des années 1970, en poésie une décennie plus tard et à travers les romans au début des années 1990.