Collections Volume 8 | numéro spécial

Dossiers

La force du livre québécois

au cœur de la pandémie

Samuel Larochelle, en collaboration avec Québec Édition

Comme presque partout dans le monde, la pandémie a mis le milieu littéraire québécois au plancher. Pendant des mois, les librairies ont été fermées, les salons du livre se sont déroulés en mode virtuel, des milliers d’activités scolaires ont été annulées et des publications ont été reportées. Pourtant, la crise sanitaire a eu un effet imprévisible : les Québécois se sont mis à acheter plus de livres qu’avant la pandémie et l’industrie connaît un second souffle. Analyse d’un phénomène.

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Le 13 mars 2020, le gouvernement du Québec a ordonné la fermeture des commerces non essentiels, incluant les librairies partout à travers le territoire. Au plus fort de la crise, les ventes de livres ont chuté de 70 % par rapport à 2019. Plusieurs acteurs du milieu littéraire ont alors craint que l’industrie ne s’en remette jamais. « C’est un milieu fragile, explique Karine Vachon, directrice de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL). Durant les premiers mois de la pandémie, certaines maisons d’édition ont mis plusieurs employés en arrêt, diminué le nombre de journées travaillées et reporté des parutions. »

L’inquiétude était aussi vive chez les libraires, selon Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ). « Quand tout a fermé, des libraires m’ont appelée en pleurant. Ils me disaient qu’ils allaient perdre tout ce qu’ils avaient investi au fil des ans et qu’ils ne voyaient pas comment ils pourraient traverser la pandémie, avec leurs maigres économies, en demeurant fermés. » De nombreux libraires espéraient être reconnus comme un service essentiel, vu la quantité de clients qui considéraient les livres essentiels à leur santé mentale. Malgré les représentations menées par diverses organisations auprès du gouvernement, la demande est restée lettre morte. Tout pour démoraliser les troupes.

Revirement de situation

Très vite, la vapeur a été renversée. Les ventes en ligne ont explosé. Non seulement sur les plateformes des multinationales, mais également sur le site web des libraires indépendants du Québec : leslibraires.ca. « Avant la pandémie, le site était un secret bien gardé, précise Katherine Fafard. Les bibliothécaires l’adoraient, mais on ne pouvait pas se vanter d’un gros chiffre d’affaires auprès du grand public. » Monsieur et madame Tout-le-monde ont d’abord fait connaissance avec la plateforme pour acheter des cahiers scolaires, afin que leurs enfants rattrapent leur retard pris durant le confinement. Puis, les gens qui désiraient s’éloigner des écrans et se réfugier dans la littérature ont investi l’achat en ligne. « Entre mars 2020 et décembre 2021, on a comptabilisé 240 000 nouveaux comptes clients, ajoute-t-elle. Ce sont des personnes avec qui on peut converser et faire du marketing relationnel, en fonction de leurs habitudes d’achat. »

« Avant la pandémie, le site leslibraires.ca était un secret bien gardé. Les bibliothécaires l’adoraient, mais on ne pouvait pas se vanter d’un gros chiffre d’affaires auprès du grand public. »

Katherine Fafard

Que de bonnes nouvelles pour les libraires ? Pas exactement. L’explosion du nombre de commandes en ligne a fait diminuer leurs marges de profit de manière draconienne, en raison des coûts de transport qu’ils gardaient relativement peu élevés, afin de demeurer compétitifs face aux Amazon de ce monde. « Les libraires me disaient qu’ils n’avaient jamais vendu autant de livres de leur vie, mais qu’ils n’avaient jamais perdu autant d’argent, dit Katherine Fafard. On a demandé un tarif préférentiel chez Poste Canada pour l’envoi de livre, mais on s’est plutôt fait offrir un nouveau programme d’aide de 32,1 millions de dollars sur deux ans, du Fonds du livre du Canada. Cela dit, c’est de l’argent que nous recevrons en 2022. »

Communautés littéraires virtuelles

L’effervescence en ligne ne s’est pas traduite uniquement en ventes, mais aussi en ce qui concerne les communautés de lecteurs. Les maisons d’édition se sont tournées vers le virtuel pour organiser des lancements, des entrevues et des causeries. Certains artistes et festivals ont mis en ligne des cabarets littéraires. Et plusieurs librairies ont travaillé d’arrache-pied pour accroître leur présence en ligne.

C’est le cas de la Librairie Saga, qui a vu le jour à Montréal en 2020. « Comme nous avons ouvert en plein cœur de la pandémie, assurer une présence sur les réseaux sociaux n’était pas une option, mais une obligation, explique le copropriétaire Mathieu Lauzon-Dicso. Nous avons rapidement pu nous adapter afin d’organiser des animations en ligne pour notre communauté et nous avons accueilli virtuellement plusieurs artistes. »

Même son de cloche à la Librairie Le Renard perché, fondée en mars 2021, à Montréal. « Pour nous, c’était indispensable de trouver une façon de faire connaître la personnalité du Renard perché bien avant son ouverture, expliquent les trois cofondatrices Catherine Chiasson, Mélissa Boudreault et Raphaëlle Beauregard. Par le biais de photographies de mobilier et de livres, nous avons tenté d’inscrire sur les réseaux sociaux ce que serait le mystérieux Renard. » Par la suite, elles ont nourri leurs pages Facebook et Instagram de leurs coups de cœur et des nouveautés. « Neuf mois après notre ouverture, nous voyons que cela a un impact sur le choix de nos abonnés. Et que plusieurs d’entre eux se déplacent d’autres quartiers pour venir nous découvrir ! »

Un site, une revue, un succès !

Plus de 100 librairies sont réunies sous la bannière leslibraires.ca, un site transactionnel présentant une offre de 1 300 000 livres papier, numériques et audio. La grande fréquentation du site est-elle due à la richesse du contenu ? Fort probablement, car en plus du large choix de livres et de la recherche facilement accessible, s’y retrouvent des carnets et catalogues, des vitrines thématiques et l’initiative « Les libraires conseillent » qui permet à cinq libraires de choisir chaque mois cinq livres qui seront mis de l’avant sur le site et en librairies. C’est la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ) qui gère ce site en plus de la revue Les libraires, imprimée et en ligne à revue.leslibraires.ca.

Même son de cloche à la Librairie Le Renard perché, fondée en mars 2021, à Montréal. « Pour nous, c’était indispensable de trouver une façon de faire connaître la personnalité du Renard perché bien avant son ouverture, expliquent les trois cofondatrices Catherine Chiasson, Mélissa Boudreault et Raphaëlle Beauregard. Par le biais de photographies de mobilier et de livres, nous avons tenté d’inscrire sur les réseaux sociaux ce que serait le mystérieux Renard. » Par la suite, elles ont nourri leurs pages Facebook et Instagram de leurs coups de cœur et des nouveautés. « Neuf mois après notre ouverture, nous voyons que cela a un impact sur le choix de nos abonnés. Et que plusieurs d’entre eux se déplacent d’autres quartiers pour venir nous découvrir ! »

La littérature nationale à l’avant-plan

Dans ces deux nouvelles librairies et partout ailleurs, le regain de popularité des livres profite particulièrement aux plumes québécoises. Si les éditeurs étrangers ont vu leurs ventes augmenter de 1,2 %, les éditeurs québécois ont fait 10 fois mieux. Ce penchant pour la littérature québécoise s’explique entre autres par l’appel du gouvernement à favoriser l’achat local et par l’affection des libraires pour les livres de chez eux. « On fait de grands livres au Québec, pour reprendre le slogan de la campagne nationale », affirme Katherine Fafard.

De plus, le ministère de la Culture et des Communications du Québec a octroyé une importante subvention d’urgence, dès 2020, pour pallier les effets de la pandémie dans le secteur culturel, dont celui du livre. « Le milieu du livre rêvait d’une campagne nationale pour promouvoir le livre québécois auprès du grand public. L’ANEL a donc coordonné les activités d’une campagne nationale d’envergure, réunissant toutes les associations et entreprises de la chaîne du livre pour diffuser un message commun et engageant, soit celui de “Je lis québécois” et “On fait de grands livres au Québec !”, comme le souligne Karine Vachon. Cette initiative a permis de créer des publicités télé, dans les journaux, sur les réseaux sociaux, tout en faisant rayonner les écrivaines et écrivains québécois dans le cadre de plusieurs activités virtuelles ou en librairies.

De nombreuses initiatives existent aussi pour encourager les Québécois à mieux découvrir leur littérature. Par exemple, la journée du 12 août « J’achète un livre québécois », lancée en 2014. « Depuis huit ans, une fois par année, on dit aux gens de s’intéresser aux livres d’ici et ils ont grandement embarqué, souligne la directrice de l’ALQ. Par la suite, ils sont plus curieux tout au long de l’année. » Notre association de libraires indépendants a également mis sur pied #lireenchoeur, les Prescriptions littéraires, un rendez-vous quotidien sur Facebook durant lequel une personnalité québécoise partage ses recommandations littéraires. Des baladodiffusions (podcasts) spécialisées en littérature ont fait leur apparition sur Spotify, Apple Music et YouTube. Les littéraires sont de plus en plus souvent invités aux émissions de radio généralistes, tout comme à la télévision. Bref, on sent un engouement indéniable pour la littérature québécoise.

Des midis « Je lis québécois » à visionner !

En 2021, le milieu québécois du livre a lancé les  midis « Je lis québécois » et les capsules vidéo sont toujours disponibles en ligne sur jelisquebecois.com ou sur la page Facebook éponyme.

Découvrez la richesse et la qualité des livres québécois à travers une soixantaine de rencontres de trente minutes avec des autrices et des auteurs ! Au programme, vous retrouverez de passionnants duos tels que Audrée Wilhelmy et Larry Tremblay animé par Kevin Lambert, Joséphine Bacon et Andrée Lévesque Sioui animé par Marie-Andrée Gill, Iris et Kim Thúy animé par Rose-Aimé Automne T. Morin, Gabrielle Filteau-Chiba et Samian animé par Émilie Perreault. Ces entretiens ont été réalisés dans le cadre de la campagne promotionnelle Je  lis québécois portée par onze organismes et entreprises du livre, en partenariat avec le gouvernement du Québec !

Cette vitalité fait d’ailleurs l’envie des intervenants du livre ailleurs au Canada. « Le dynamisme de l’édition québécoise et le fort réseau des librairies sont très enviés au Canada anglais, explique Karine Vachon. En édition, au Québec, nous avons la chance d’avoir des auteurs très fidèles à leurs maisons, alors qu’au Canada anglais, un auteur qui devient très reconnu va souvent par la suite être publié par un éditeur américain ou une filiale canadienne appartenant à une entreprise américaine. » Katherine Fafard renchérit. « Quand ils voient les chiffres des livres québécois vendus en librairies, les libraires du reste du Canada sont surpris, dit-elle. Ils n’en reviennent pas que notre littérature nationale soit aussi forte, alors que la littérature canadienne-anglaise est ensevelie par tout ce qui se fait aux États-Unis. »

Les œuvres québécoises ont également l’habitude de tirer leur épingle du jeu à l’international, mais les ventes de droits sont devenues plus difficiles à réaliser depuis le début de la pandémie. D’une part, les négociations en mode virtuel ont leurs limites, selon la directrice de l’ANEL. « Rien ne vaut les rencontres en personne qui ont lieu durant les foires du livre de Francfort, Genève, Bruxelles, Bologne ou Londres. Ces évènements permettent de tisser des liens année après année avec des partenaires, ce qui donne des résultats à long terme pour des traductions ou des cessions de droits. »

« En édition, au Québec, nous avons la chance d’avoir des auteurs très fidèles à leurs maisons, alors qu’au Canada anglais, un auteur qui devient très reconnu va souvent par la suite être publié par un éditeur américain ou une filiale canadienne appartenant à une entreprise américaine. »

Karine Vachon

Autre élément à ne pas négliger : plusieurs marchés étrangers ont été plus durement touchés que le milieu québécois. « Au Québec, on a eu la chance que les pouvoirs publics provincial et fédéral soutiennent le milieu du livre avec des subventions qui ont permis à des éditeurs de maintenir leurs activités, d’offrir des à-valoir aux auteurs et de présenter des activités en ligne, dit Karine Vachon. Ce n’était pas le cas partout. Quand une maison d’édition étrangère est en difficulté, ça semble beaucoup plus risqué de décider de publier un auteur québécois en traduction alors qu’il n’est pas connu dans le pays en question. »

Réinventer le monde littéraire

En dehors des librairies et des maisons d’édition, la littérature continue de vibrer… mais pas comme avant. « Les emprunts numériques sont en important développement depuis le début de la pandémie, mais la fréquentation en bibliothèques n’est pas encore revenue comme auparavant », précise Karine Vachon. Non seulement les usagers doivent encore y porter un masque, mais plusieurs d’entre eux ont perdu l’habitude de sillonner les rangées, de lire sur place et d’y passer des heures.

Les salons du livre ont ressuscité en limitant le nombre de visiteurs. Les lancements ont repris dans un environnement contrôlé. Des cabarets littéraires ont été présentés devant des salles remplies de spectateurs masqués. Les conférences et les ateliers scolaires ont en partie repris. Certains auteurs ont même créé de nouvelles initiatives pour rencontrer leur public. C’est le cas de l’écrivain Guillaume Morrissette, qui a mis sur pied la Caravane littéraire. « En 2020, j’ai préparé le lancement de mon huitième roman et récolté d’avance les ventes pour les lecteurs qui voulaient y participer. Tout ça juste avant de devoir annuler pour cause de zone rouge pandémique. J’ai donc décidé d’honorer chacun des achats en me rendant directement chez les gens pour leur remettre mon nouveau livre ! C’était le début de la Caravane littéraire. »

Depuis, le projet a continué de grandir et regroupe maintenant près de 75 auteurs dans 48 villes. « On se promène avec une belle remorque et on rencontre nos lecteurs, à qui l’on remet des livres payés et dédicacés d’avance. » On sent chez lui une joie immense. « La possibilité de rencontrer un lecteur chez lui, c’est différent d’un salon du livre. C’est une proximité que je n’avais pas connue avant. Bien sûr, la Caravane ne s’arrête pas sur le portique de chaque lecteur mais, quand même, elle parcourt 5100 km ! »

Renouer avec les livres

Malgré l’ingéniosité de certains artisans du milieu littéraire québécois, plusieurs d’entre eux ne rêvaient que de converser avec des passionnés de livres comme « avant ». Quand on discute avec Mathieu Lauzon-Dicso de la reprise des activités en librairies, son enthousiasme est indéniable. « Depuis que les conditions nous le permettent, nous recentrons nos activités pour proposer des rencontres en personne, car le contact humain demeure nécessaire et voulu », s’exclame-t-il. Durant les deux mois précédant notre entretien avec le libraire et cofondateur de la Librairie Saga, une foule d’animations ont été organisées avec des autrices comme Chris Bergeron et Natasha Kanapé Fontaine.

« Depuis que les conditions nous le permettent, nous recentrons nos activités pour proposer des rencontres en personne, car le contact humain demeure nécessaire et voulu. »

Mathieu Lauzon-Dicso

« Une librairie, c’est d’abord un lieu culturel où les amoureux et les amoureuses de la lecture se rencontrent et se racontent […] C’est aussi un lieu où ceux ou celles qui ne sont pas encore tombés sous le charme des mots découvrent ceux qui les feraient vibrer. »

Librairie Le Renard perché

En moins d’un an, la Librairie Le Renard perché a elle aussi réussi à s’implanter dans sa communauté. « Une librairie, c’est d’abord un lieu culturel où les amoureux et les amoureuses de la lecture se rencontrent et se racontent, soulignent les copropriétaires. C’est aussi un lieu ou ceux où celles qui ne sont pas encore tombés sous le charme des mots découvrent ceux qui les feraient vibrer. » Il était donc évident pour elles de permettre de multiples rencontres entre les plumes du Québec et leur public. « Nous avons organisé des séances de dédicaces réinventées pour lesquelles plusieurs auteurs et autrices se sont prêtés au jeu. Nous avons reçu entre autres Noémie Pomerleau-Cloutier, Gabrielle Boulianne-Tremblay et Julien Paré-Sorel en librairie, dans le plus grand respect des mesures sanitaires très strictes. Nous nous sommes même déplacés chez deux artistes très appréciés des tout-petits, afin de proposer à notre clientèle des exemplaires dédicacés. Par notre présence sur les réseaux sociaux, ces évènements ont encouragé certain.es artistes à venir spontanément dédicacer les exemplaires de leurs livres à la librairie ! »

Initiative originale de la librairie Marie-Laura à Jonquière

Être proche de sa clientèle, cela fait toute la différence pour un libraire ! Propriétaire depuis 2015, Maximilien Bouchard travaille depuis l’âge de douze ans dans la librairie Marie-Laura fondée par  son père en 1994. Au cœur de la pandémie, lui  et son équipe se sont démenés en livrant eux-mêmes les commandes de livres à leurs clients de Jonquière, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ils ont également développé une offre très appréciée de « boîtes mystère » et réalisé en librairie des captations vidéo où ils dévoilent leurs coups de cœur.

Ce n’est pas tout ! À l’été 2021, les libraires du Renard perché ont eu le bonheur d’animer des lectures de contes tous les dimanches dans un espace jeunesse situé dans la zone piétonne de la promenade Ontario, devant leur commerce. « Depuis, les acti- vités se succèdent chaque fin de semaine pour faire vivre ce lieu que nous avions hâte d’animer ! Parmi les participants, plusieurs nous ont avoué qu’ils aiment entendre nos interprétations des textes. Ces dernières donnent des idées sur la manière de raconter une histoire et bien souvent, ils souhaitent partir avec un des albums présentés. » À la base, ces évènements sont l’occasion parfaite pour créer des rencontres inoubliables. « Évidemment, nous sommes toujours limitées à un nombre de personnes, mais l’engouement est grand. Dès que nous annonçons une activité, les places se remplissent à la vitesse de l’éclair. »

La preuve que, malgré les obstacles, le milieu du livre québécois est capable de se relever, de s’adapter et d’aller encore plus loin qu’avant.