Collections Volume 8 | numéro spécial

Entrevues et portraits

Caroline Dawson

Là où je me terre

Josianne Létourneau

Écrire, pour moi, c’est mettre en lumière les violences subies et infligées en refusant l’invisibilisation que l’histoire et la littérature imposent aux femmes comme ma mère. […] Être écrivaine, pour moi, c’est nous placer désormais comme personnages, et ainsi obliger le Québec à nous voir, à nous regarder, à nous entendre nous dire, à nous lire. […] Par le roman, je nous ai inscrites, avec colère et amour, dans la trame narrative collective québécoise.

(Extrait du texte « Je suis une écrivaine québécoise, je suis vengeance » publié dans la revue Lettres québécoises # 182, automne 2021.)

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Paru au Québec le 16 novembre 2020, le roman Là où je  me terre de Caroline Dawson a tracé une trajectoire exceptionnelle. Toujours parmi les romans québécois les  plus populaires sur le site leslibraires.ca depuis sa parution, il fut également dans le top 5 des meilleures ventes de la dernière édition de l’évènement « J’achète un livre québécois » qui se déroule le 12 août de chaque année depuis 2014.

Et ça ne s’arrête pas là.

Défendu par le dramaturge Michel Marc Bouchard durant l’édition 2021 du Combat national des livres de la première Chaîne de Radio-Canada, il termine le combat tout juste derrière le vainqueur, Kukum de l’écrivain d’origine innue Michel Jean. Finaliste au Prix des libraires du Québec 2021, il est récemment annoncé également finaliste au Prix littéraire des collégiens dont le gagnant sera révélé le 8 avril prochain. Une nouvelle qui touche énormément l’autrice, qui enseigne justement à des étudiants de ce niveau d’études supérieures.

Où je veux en venir avec tout ça ? Au fait qu’on peut vraiment parler, sans exagération et/ou enthousiasme disproportionné, de trajectoire exceptionnelle. Surtout lorsqu’on est plutôt familier avec le destin habituel des nouveaux titres dans le monde en mouvement du livre.

Quand j’ai joint Caroline Dawson au téléphone la semaine dernière, je me suis empressée de lui dire une chose qui me semblait essentielle.

« C’est magnifique pour moi d’entendre des immigrants me dire qu’ils se sont reconnus mais d’entendre ces mots de Michel Marc Bouchard, ça m’a fait pleurer ! »

Caroline Dawson

Une chose que j’avais, en fait, vraiment envie de lui dire :

J. L. : Je vous avoue, Caroline, que je suis très contente parce que… Je faisais partie du comité du Prix des libraires catégorie « Roman québécois » quand votre livre a été finaliste. Évidemment, je suis tenue au secret mais je peux vous dire que, parmi les libraires avec qui je discute, on est tous d’accord pour dire que… C’est probablement LE livre à mettre entre toutes les mains pour sensibiliser les gens à la situation des réfugiés. Est-ce que vous aviez ça à l’esprit quand vous avez commencé à écrire ce livre ?

C. D. : « Je ne peux pas dire que j’avais l’idée de faire un genre de manuel mais ce que j’avais en tête, entre autres, ce sont les étudiants et les étudiantes. (Caroline Dawson est professeure de sociologie au cégep Édouard-Montpetit depuis 2006.) Moi, j’enseigne l’immigration puis, souvent… C’est une chose de donner des chiffres, de leur expliquer comment ça fonctionne, d’introduire des concepts, mais il faut les illustrer ! Et, souvent, je me suis retrouvée à utiliser des choses que j’avais vécues et là… Je voyais leurs yeux s’allumer ! Donc, l’aspect pédagogique du livre vient probablement de cette professeure en moi dont je ne peux me défaire quand j’écris. »

Née en 1979 à Valparaiso au Chili, Caroline Dawson quitte ce pays à l’âge de 7 ans avec ses parents et ses deux frères. Ils seront 3379 personnes d’origine chilienne à fuir, entre 1979 et 1989, le régime de Pinochet pour s’installer au Québec. Les premières pages de Là où je me terre racontent leur arrivée, le jour de Noël 1986.

« Ce qui m’a fait écrire le livre, en fait, ç’a été d’avoir une petite fille. Quand j’ai donné naissance à ma fille, on dirait que j’ai voulu lui transmettre l’histoire familiale. Parce que notre histoire de réfugiés… Ce n’est pas qu’elle est honteuse mais… Elle est moins “glamour” que celle de mon conjoint (né d’une famille suédoise issue de la noblesse). Alors, quand ma fille est née, je me suis dit : “Ça va faire ! Il faut que je transmette ça plutôt que de la réduire à déterrer ce côté-là de ses origines. T’sais, pour eux, la pauvreté, c’est bien loin de leur réalité.”»

Alors que pour la petite Caro, celle du livre, la pauvreté est bien réelle. C’est d’ailleurs l’un des thèmes majeurs, celui autour duquel s’articulera toute l’évolution de l’héroïne. Les questions de langue, de culture dominante, de relations familiales, amicales, amoureuses : toutes prennent racine dans cette réalité de la pauvreté. Dans les ménages que feront les parents pour élever leurs enfants. Élever, dans tous les sens du terme.

Beaucoup de gens ayant une expérience de vie semblable lui ont témoigné à quel point son livre reflète leur vécu. Mais des témoignages sont aussi venus de sources inattendues, dont celui de Michel Marc Bouchard, le chantre et guerrier qui a défendu le roman de l’autrice au Combat national des livres :

« Lui, il m’a dit : “Caroline, tu as écrit un livre qui, pour moi, est universel. Je suis né au Saguenay, et je suis maintenant un vieux monsieur homosexuel de plus de 70 ans mais quand j’ai lu ton histoire, je me suis reconnu à travers la petite Caro. La petite Caro, c’est moi !” et ça, c’est probablement l’un des plus beaux commentaires que j’ai reçus parce que… C’est magnifique pour moi d’entendre des immigrants me dire qu’ils se sont reconnus mais d’entendre ces mots de Michel Marc Bouchard, ça m’a fait pleurer ! »

Et c’est certainement cette universalité qui fait de Là où je me terre une œuvre aussi lue et aimée. Par des gens de tous horizons. Merci infiniment, Caroline Dawson, pour ce livre émouvant, bousculant, juste et nécessaire.

Là où je me terre, Caroline Dawson, Éditions du remue-ménage, 2021, 204 p., 17 €, 978-2-89091-719-4, Hobo Diffusion / Makassar.