Collections Volume 8 | numéro spécial

Bandes Dessinées

Bandes dessinées et livres illustrés

Un plaisir pour les yeux

Pierre-Alexandre Bonin

La bande dessinée québécoise a depuis plusieurs années gagné ses lettres de noblesse, en prouvant le talent des scénaristes et des illustrateurs, tout en s’illustrant de plus en plus à l’étranger. Les thèmes qu’on retrouve dans la BD québécoise sont intrinsèquement liés à notre québécitude, mais aussi totalement universels.

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À cheval entre les influences américaines, françaises et belges, le 9e art québécois s’est forgé une identité propre, qui ne cesse de surprendre par son inventivité et sa faculté à se réinventer.

Du côté des beaux livres, les sujets sont nombreux, et les manières de les aborder le sont tout autant. Là aussi, que ce soit sur des sujets qui touchent à l’identité québécoise ou qui abordent des objets de fascination universels, la qualité, tant des textes que des photographies ou des illustrations – selon les cas – est toujours au rendez-vous. La sélection qui suit n’est qu’un mince échantillon de la production variée et captivante de ce qui se publie en BD et en beaux livres au Québec.

Suggestions de livres

Occupez-vous des chats, j’pars ! Carnets de résidences

Iris

France, Belgique, Russie, Japon. Ce sont là quelques-uns des pays visités par Iris, bédéiste québécoise bien connue, dans le cadre de diverses résidences de création. Que ce soit via des fanzines ou un blogue, elle tenait un journal en images de ses voyages et de ses rencontres, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, qui pouvaient alors la suivre dans ses périples outre-mer. Occupez-vous des chats, j’pars ! Carnets de résidences est une sorte d’intégrale des carnets de résidences d’Iris, réalisés lors de voyages qu’elle a faits entre 2009 (pour la France) et 2017 (Japon et Belgique). Avec un humour contagieux et une bonne dose d’autodérision, Iris nous emmène dans ses valises, alors qu’elle met en scène des anecdotes parfois savoureuses, parfois tristes, mais toujours livrées avec un ton bienveillant que la bédéiste plus âgée porte sur son alter ego plus jeune. Voilà donc une plongée bienvenue dans la tête, et l’univers, d’une bédéiste fort talentueuse qui a su faire sa marque dans l’univers de la BD québécoise.

Pow Pow, 2021, 198 p. Les Belles Lettres 20 €

Le réacteur onirique

Patrick Blanchette

Il y a près de 60 ans, la terre a tremblé à Solcolline, et une brèche a déchiré le sol. À ce moment-là, le monde des humains et celui des rêves se sont retrouvés connectés malgré eux. Depuis ce jour, esprits et humains ont appris à cohabiter, alors que le réacteur onirique, formidable machine inventée par Marshall Desable, sert de lieu de transition entre les deux mondes. Aube, une jeune humaine, rêve plus que tout de devenir ingénieure onirique. Desable l’a justement prise sous son aile pour lui servir de mentor, alors qu’elle s’apprête enfin à réaliser sa première mission solo dans le monde des rêves. Mais tout ne se passe pas comme prévu… Patrick Blanchette signe le scénario et les illustrations de Le réacteur onirique, premier tome de la série Aube du monde des rêves. Dans un style qui mêle le comic à l’américaine au manga japonais, le bédéiste propose une intrigue fascinante, ainsi qu’un univers richement détaillé, qu’on découvre au fil des pages, en suivant Aube et ses amis, humains ou issus du monde onirique. Bien qu’il s’agisse d’une bande dessinée destinée à un public jeunesse, les adultes amateurs de bonne BD y trouveront sans contredit leur compte tant le talent de conteur de Blanchette est évident. Vivement le deuxième tome, afin de lever le voile de mystère qui plane sur Aube, mais aussi sur le monde des rêves et ses liens avec Solcolinne !

Presses Aventure, 2021, 110 p. MDS 10,90 €

Juliette à Québec

Juliette à Québec, Lisette Morival, illustrations Émilie Decrock

Juliette est ravie de pouvoir passer du temps avec sa mère à Québec, leur propre ville. Elles en profitent pour participer aux différentes activités du Carnaval de Québec. Mais lorsque sa mère tombe subitement malade, l’adolescente est inquiète. Heureusement, elle peut compter sur sa meilleure amie Gina, et sur Gino, qui fait battre son cœur, pour lui changer les idées. D’ailleurs, Youssef, un nouvel élève de sa classe, a un comportement étrange, et Juliette compte bien résoudre ce mystère en attendant que sa mère puisse sortir de l’hôpital. L’adolescente va découvrir qu’il ne faut jamais se fier aux apparences… Juliette à Québec est une adaptation du roman éponyme de Rose-Line Brasset, avec Lisette Morival au scénario et Émilie Decrock aux illustrations. Fidèle à l’œuvre d’origine, la BD met en scène le Carnaval de Québec ainsi que différents points d’intérêt de la Vieille Capitale, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO pour son quartier et ses bâtiments historiques. Le mystère entourant Youssef et ses agissements est entremêlé d’une visite volontairement touristique de Québec, alors que Juliette crée un blogue pour faire part de ce qu’elle voit et visite. Les illustrations rendent bien la personnalité des personnages et sont aussi dynamiques que Juliette et ses amis. Le scénario, de son côté, ne connaît aucun temps mort et nous entraîne à vive allure dans les rues de la ville. Une BD qui plaira autant aux fans de la série romanesque qu’à ceux qui ne connaissent pas encore Juliette la globetrotteuse.

Kennes, 2021, 48 p. Hachette Livre 11,95 €

L’image en mouvement

Philippe Lemieux illustré par Garry

Comment s’est développé le cinéma, quels sont les inventeurs qui ont contribué à son évolution et quels ont été les sujets des tout premiers films ? Ce sont là certaines des questions auxquelles s’intéressent Mélanie et Philippe, deux mordus de cinéma, qui nous convient à retracer l’histoire du 7e art. Silence, caméras, action ! L’image en mouvement, de Philippe Lemieux est le premier tome d’une série de BD documentaires sur l’histoire du cinéma, illustré par Garry. En compagnie de deux jeunes cinéphiles, on retourne dans le passé pour suivre les étapes du développement du cinéma. Le choix de la BD est judicieux, puisqu’il permet de contextualiser l’information en images, tout en se prêtant bien aux ellipses et aux changements de décors, alors qu’on passe d’une région à l’autre des États-Unis, avant de faire un voyage en France, à la rencontre de deux frères bien connus. Le ton n’est jamais didactique, et les deux jeunes protagonistes sont là pour faire un lien avec le lecteur, tout en l’accompagnant dans ses découvertes. Un chouette hybride qui plaira autant aux amateurs de BD qu’aux cinéphiles !

Michel Quintin, 2020, 48 p. Distribution du Nouveau Monde 12,90 €

Mégantic, un train dans la nuit

Anne-Marie Saint-Cerny et Christian Quesnel

Le 6 juillet 2013, à 1 h 14 du matin, un convoi ferroviaire de 72 wagons-citernes contenant 7,7 millions de litres de pétrole brut léger a déraillé à Lac-Mégantic, une petite ville du Québec, causant des explosions et un incendie qui ont complètement détruit le centre-ville, entraînant la mort de 47 personnes. Il s’agit de la plus importante tragédie ferroviaire impliquant des liquides inflammables de l’histoire du Canada. Mégantic, un train dans la nuit retrace non seulement les évènements de la nuit du 6 juillet 2013, mais s’intéresse aussi à notre dépendance malsaine au pétrole et aux conséquences de l’exploitation de ce combustible pour la nature et les employés des compagnies pétrolières. Anne-Marie Saint-Cerny et Christian Quesnel proposent une œuvre puissante et dérangeante. En ayant choisi de sortir du cadre de la catastrophe ferroviaire pour élargir le point de vue, Saint-Cerny propose une réflexion percutante sur l’absence d’imputabilité des compagnies pétrolières, qui ne sont motivées que par la recherche du profit. Quesnel, de son côté, a opté pour des illustrations réalistes, mais aux couleurs froides, sauf lors de doubles pages d’un rouge violent, qui font écho à la tragédie vécue à Lac-Mégantic. À la fois documentaire, pamphlet écologiste et témoignage à la mémoire des victimes, cette bande dessinée est un véritable tour de force. Personne ne pourra rester indifférent à la lecture de ce drame qui aurait pu être évité. On ressort marqué au fer rouge de cette BD, avec l’indignation au cœur, et rempli de tristesse pour les victimes et leurs familles.

Écosociété, coll. « Ricochets », 2021, 96 p. Harmonia Mundi Livre 22 €

Monstres sacrés. Voyage au cœur des volcans

Julie Roberge illustrations d’Aless

Les volcans fascinent petits et grands depuis des millénaires. Parfois craints, parfois vénérés comme des dieux, ils sont au cœur de plusieurs cultures à travers le monde. Leur comportement peut sembler imprévisible, et leurs éruptions peuvent s’avérer mortelles. Pourtant, ils jouent un rôle crucial pour la Terre. Monstres sacrés. Voyage au cœur des volcans est une œuvre hybride de Julie Roberge, volcanologue, avec des illustrations d’Aless MC. À mi-chemin entre l’album et le documentaire, ce livre nous propose un tour du monde des volcans, avec des informations détaillées sur les types de volcans, leur formation, mais aussi sur les mythes et légendes qui les entourent. Les textes de Roberge sont clairs et bien vulgarisés, alors que les illustrations de MC, réalisées en risographie, donnent la mesure de ces géants de feu. Des fonds marins au système solaire, les volcans sont démystifiés pour notre plus grand plaisir. Un livre à mettre entre les mains des enfants comme des adultes.

La Pastèque, 2021, 85 p. MDS 22 €

Amérique du Nord. 50 itinéraires de rêve

Claude Morneau

Quand on pense aux voyages, l’Europe et l’Asie sont souvent les deux premiers continents qui nous viennent à l’esprit. La première est le berceau de la civilisation occidentale, et son patrimoine historique est encore bien présent. Quant à la seconde, elle fascine par son exotisme et offre un dépaysement assuré aux voyageurs. Pourtant, l’Amérique du Nord a aussi de nombreux atouts pour les touristes, et recèle plusieurs secrets bien gardés qui gagnent à être découverts. C’est justement ce que vous propose Amérique du Nord. 50 itinéraires de rêve, un collectif sous la direction de Claude Morneau qui nous invite à prendre la route pour sillonner le Canada et les États-Unis, selon 50 parcours préétablis. Répartis en six grandes catégories (le nord-est des États-Unis, le sud des États-Unis, le Midwest et l’Ouest américain, le Québec et les provinces canadiennes de l’Atlantique, l’Ontario et l’Ouest canadien et les grands itinéraires), ces itinéraires sont richement accompagnés de magnifiques photos. Chaque route est clairement identifiée par une fiche signalétique qui indique le nombre de jours du voyage, le point d’arrivée et le point de départ, à qui s’adresse cet itinéraire, les raisons qui justifient sa place dans le livre, et les activités à faire absolument durant le voyage. Puis, l’itinéraire lui-même est détaillé au fil des jours avec des informations touristiques et pratiques essentielles. Même si ce n’est pas le genre de livre qu’on lit d’une couverture à l’autre, on ne peut s’empêcher de passer à l’itinéraire suivant et on ressort de sa lecture avec des envies de voyages difficiles à contenir. Un livre à offrir aux autres, ou à soi-même, pour rêver… et voyager !

Guides de voyages Ulysse, coll. « Itinéraires de rêve », 2021, 207 p. Interforum 27,99 €

Poutine nation

Sylvain Charlebois

La poutine fait partie du patrimoine culinaire québécois, mais elle est plus que ça. On peut dire qu’elle est au cœur de notre identité nationale. Ce n’est pas pour rien que plusieurs villes québécoises en revendiquent la paternité ! Mais qu’est-ce qui explique la popularité sans cesse grandissante d’un plat certes réconfortant, mais à l’allure si grossière – peu ragoûtante diront les mauvaises langues – et qui a d’abord sa place sur le menu d’un fast-food ou d’un casse-croûte de bord de route ? Comment la poutine a-t-elle su faire sa marque dans la gastronomie mondiale, au point où on la retrouve dans pratiquement tous les pays du globe ? D’ailleurs, c’est QUOI, de la poutine ? C’est à ces questions et plus encore que Sylvain Charlebois, professeur titulaire à l’Université Dalhousie d’Halifax en management et en agriculture, répond dans Poutine nation, un essai passionnant. En s’interrogeant plus largement sur notre rapport à l’alimentation et à la nourriture, il retrace l’histoire et le parcours étonnant de la poutine. Agrémenté d’anecdotes personnelles sur son propre rapport à ce plat typiquement québécois, ce livre se lit comme une enquête policière. On y interroge des témoins, des acteurs privilégiés et des propriétaires de restaurants, afin de comprendre la fascination pour la poutine et sa popularité mondiale. Attention, la lecture risque de donner envie d’une bonne bouchée de frites et de fromage en grains nappé d’une bonne sauce brune !

Fides, 2021, 218 p. Distribution du Nouveau Monde 22 €

Papier bulle

Simon Boulerice illustrations d’Ève Patenaude

Hortense aimerait beaucoup faire du karaté, comme son frère. Mais depuis qu’elle est petite, ses parents la protègent contre elle-même. En fait, s’ils le pouvaient, ils l’envelopperaient dans du papier bulle, comme un bibelot fragile. Parce qu’Hortense est hémophile, et le moindre saignement peut s’avérer catastrophique pour elle. Devenue adolescente, elle se rebelle, et décide de devenir une ninja pour faire sa place dans le monde. Mais sa détermination et sa férocité seront-elles suffisantes pour servir de rempart à sa maladie ? Avec Papier bulle, Simon Boulerice signe une histoire touchante et bouleversante, avec des illustrations d’Ève Patenaude, qui explore la technique du bleeding, qui consiste à travailler avec des feutres à l’alcool et laisser l’encre traverser le papier pour révéler une œuvre différente au verso des illustrations. Les effets sont saisissants, tout comme la poésie du texte de Boulerice. L’auteur et l’illustratrice s’allient donc pour nous présenter une Hortense plus grande que nature, dans une œuvre qui se déploie visuellement comme une véritable œuvre d’art. C’est un album hors du commun, un véritable livre-objet qu’on aurait tort d’entourer de papier bulle tant la force qui s’en dégage égale sa beauté. N’ayons pas peur des mots, c’est un véritable chef-d’œuvre qu’on a sous les yeux.

XYZ, coll. « Quai no 5 », 2021, 88 p. Distribution du Nouveau Monde 22,50 €