Une image vaut mille sons

Le silence est d’or, d’Émilie Turgeon, raconte l’histoire de Roxanne, narratrice adolescente sourde depuis un matin d’hiver lorsqu’elle avait 8 ans, et qui retrouve l’ouïe lors d’une fête des années plus tard. Elle s’exprime en langue des signes québécoise (LSQ), comme savent le faire aussi certaines personnes de sa famille, mais ce n’est pas le cas de tous les personnages. Dans la version papier de ce livre, le choix éditorial pour indiquer des conversations signées s’est posé sur l’italique. Mais pour la version audio, comment créer une rupture sonore marquée, à l’image de l’italique, pour que l’ « audiolecteur » et l’ « audiolectrice » comprennent que Roxanne est en train de signer? La solution choisie pour différencier la narration parlée – de Marion Nolasco – de la narration signée est très sobre, n’empiète pas sur le récit.

Le bedon de madame Loubidou, tout le monde veut savoir ce qui s’y cache… car dans cet album rigolo de Marie-Francine Hébert, même le bedon en question prend la parole! Dans la version papier, l’illustrateur Guillaume Perreault a fait le choix de lier le phylactère directement depuis le bedon de madame Loubidou. Il fallait indiquer en audio cette même distance de la voix depuis l'intérieur du ventre, en plus de faire intervenir d’autres éléments graphiques, comme le chat. Le résultat est rempli d’onomatopées joyeuses, parfaites pour accrocher les oreilles des plus jeunes. Et que dire de ces gros ronrons de chat parsemés ça et là, qui accompagnent la narration de Carine Leduc! 

La série ado Chiens de rue de Laurent Chabin (épisodes 1 à 6 disponibles en audio, 10 au total) n’est pas pour tout le monde : elle traite de sujets difficiles comme l’agression sexuelle, l’imputabilité, l’effet de groupe, mais elle le fait avec une sensibilité juste et fine. Imaginez la série télévisuelle récente Fugueuse, mais narrée par un ado, un témoin qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment et qui doit maintenant, malgré lui, prendre des décisions qui font grandir trop vite. L’illustration sonore ponctue le récit intelligemment, laisse place aux voix de Nicholas Savard-L’Herbier et Éliane Préfontaine quand il le faut, mais vient souligner la noirceur de la ville la nuit, augmenter le suspense et créer une ambiance inquiétante.

Un pique-nique au soleil : l’extraordinaire voyage de la bande à Bébert est un album musical, un livre avec CD, ce qui en fait un cas légèrement différent des livres audio précédemment mentionnés : il ne s’agit pas ici d’une adaptation, mais d’une œuvre multidisciplinaire où le texte, la musique et les images ont été pensés ensemble, respectivement par Christiane Duchesne, Jérôme Minière et Marianne Ferrer. Le résultat est harmonieux et on se laisse rapidement entraîner par cette bande d’amis qui cherche un coin de soleil. Les airs pétillants des comptines agrémentent la narration de Bruno Marcil, dont la voix a été si bien choisie pour raconter l’histoire qu’elle semble faire partie de la musique elle aussi. À noter qu’on peut se procurer le livre audio indépendamment de sa version papier.

C’est l’autrice Suzanne De Serres, qui nous a quitté l'année dernière, qui raconte Licorne, l’histoire de Lilia, une licorne de quatre ans dont la corne n’a toujours pas poussé, prête à tout pour avoir, elle aussi, une corne comme les autres. Dès les premières minutes, De Serres module sa voix pour entrer dans la peau de plusieurs personnages. Elle le fait avec brio, en conteuse bienveillante. Une musique enveloppante créée par des instruments à vent anciens nous transporte rapidement, et rappelle les aquarelles originales de la version papier, en envolées fluides et colorées. Accompagnée de trois autres musiciens (Seán Dagher, Nelson Carter et Patrick Graham), c’est aussi De Serres, également musicienne, qui joue de plusieurs instruments sur la trame sonore du livre audio. Et bien qu’il soit destiné aux enfants, Licorne est un livre audio musical intelligent, dont les mélodies ne versent jamais dans la complaisance.

Jack et le haricot magique de Vic Verdier fait partie de la collection « Contes interdits » des éditions ADA, dont de nombreux volumes sont aussi disponibles en audio, tous accompagnés d’une trame sonore presque cinématographique et d’une musique originale, regroupant parfois jusqu’à une douzaine de comédiens à la narration. Ce qui est intéressant ici, surtout pour les fans du genre, c’est que les romans de la collection, dans leur version papier, ne contiennent aucune illustration. L’illustration sonore a été privilégiée malgré tout, ce qui donne la chance de revisiter les romans avec effroi et délice. Claviers discordants, guitares sombres et bruitage angoissant : un livre audio pour un public averti qui aime frissonner, à écouter le 31 octobre dans un cimetière clair-obscur… si vous osez!