Un espace nommé chez soi
Au moment où j’écris ces lignes, plus de 1600 ménages viennent de perdre leur logement au Québec. C’est un 1er juillet sans feux d’artifices, sans bière ni pizza. On ne montera pas de meubles IKEA ni ne fera le choix d’un coloris apaisant pour la salle de bain. On n’aura nulle part « où déposer / nos joies nos peines » comme l’écrit Brigitte Léveillé dans Si nous restons têtus, que le Quartz a fait paraître ce printemps, aux abords de la saison des grands mouvements. Le corps et la tête se mettront bientôt en marche. Même si le voyage est bon, la route agréable, nous souhaiterons tôt ou tard poser nos valises ou rentrer à la maison.
Mais quand ce chez-soi fait défaut, où se déposer, où revenir ?
Ma vie a été faite d’exils volontaires (c’est une chance que d’autres n’ont pas). Ces élans m’ont menée jusqu’à Rouyn-Noranda, en Abitibi-Témiscamingue, ce que d’aucuns appellent une région éloignée (de qui ?). À l’instar des insulaires, on s’y sent parfois isolés, les routes nous reliant aux grands centres étant longues. Mais c’est un endroit où les gens, par nécessité, font peut-être davantage communauté. C’est ici que je suis devenue directrice d’une maison d’édition, le Quartz. Ce statut ô combien convoité dans notre milieu m’était offert sur un plateau, cependant à des centaines de kilomètres de chez moi et des miens. On m’offrait une maison, à moi qui avais passé une décennie entière à être valdinguée d’appart en appart lors d’années de bohème à Paris. Là-bas, j’étais une étrangère. Et j’étais pauvre. On ne propose pas de maison – pas plus que d’appartements – aux pauvres. Alors, où trouver refuge quand la tempête gronde ?
À la faveur de vents bienveillants, donc, je me suis retrouvée dans une maison d’édition. C’est joli, cette idée que le lieu où sont édités et publiés les livres, ce soit une maison. C’est plus qu’un bureau, ce n’est pas un simple espace, non : c’est une maison. J’aime penser que ça s’appelle ainsi, car les écrivains et les écrivaines y élisent domicile avec leurs œuvres. J’ose croire que ça leur donne un sentiment de sécurité où ils et elles se sentent libres d’explorer et d’écrire avec une certaine paix d’esprit, où ils se sentent chez eux, en cohabitation avec des œuvres parentes. C’est ça, une maison.
Une amie québécoise à Paris citait parfois Henri Bosco, que je cite à mon tour à chaque tempête que j’ai le privilège de regarder depuis un intérieur où il fait chaud l’hiver et frais l’été : « quand l’asile est sûr, la tempête est bonne ». Elles ne sont pas optionnelles, ces maisons, elles sont même vitales dans ce qu’elles symbolisent de pérennité, surtout quand le monde s’écroule. Croire en son refuge est fondamental. Pouvoir se dire ma maison, chez moi, chez nous, participe au sentiment de sécurité et d’appartenance. Qu’en est-il quand on nous refuse cet asile ?
Peut-être que le seul rempart alors, insuffisant au corps mais peut-être essentiel au cœur, le seul rempart à l’exil intérieur tandis qu’on perd notre maison, notre refuge, notre abri, qu’on nous refuse l’asile, c’est l’autre, c’est l’ami, c’est faire communauté. J’oserais même dire « faire collection ».
Je fais donc le vœu que les textes rassemblés dans ce numéro fassent rempart à vos exils, quels qu’ils soient, et qu’ils agissent comme des refuges face aux tempêtes.
Marie Noëlle Blais
Directrice générale et littéraire des Éditions du Quartz
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