Dans ces habitations gérées par le gouvernement, les inlogés vivent dans des dortoirs, travaillent au recyclage de vêtements et sont soumis à une routine molle, terne et déshumanisante. Mais si le roman tourne autour de la crise du logement, c’est d’abord sur le mensonge que l’autrice de 44 ans voulait écrire. Ébranlée par un événement personnel, en plein confinement covidien, Catherine Leroux avait l’impression de perdre tous ses repères. « J’avais le sentiment d’être en apesanteur. Je ne savais plus où était le nord, le sud, ni ce que je pouvais croire. »
L’impulsion de l’écriture lui vient alors que cette insécurité commence à se glisser dans sa vie, puis dans sa quête d’un nouveau chez-soi. « J’ai constaté que tout le monde était affecté par la crise du logement – et que c’était la même chose pour le mensonge. Ma réflexion a beaucoup mijoté pendant les années Trump, sur fond de théories de la conspiration, d’affrontements entre divers pans de la société, de suspicions diverses… À un moment donné, je me suis dit : “Il y a un lien entre la question de la crise du logement, la vérité et le mensonge”. »
C’est à cet instant que celle qui porte aussi le chapeau d’éditrice chez Alto décide de faire de sa narratrice, Sidonie, une journaliste-vedette. En parallèle, l’écrivaine apprend avec étonnement l’existence des workhouses britanniques, des bâtiments créés à l’origine pour secourir les plus démunis et qui, au fil du temps, ont fini par s’apparenter à des prisons, avec nourriture rationnée au gramme près, entre 11 et 14 heures de travail quotidien et discipline de fer. « Les workhouses ont existé pendant des siècles en Grande-Bretagne, ce sont des institutions qui traumatisaient les gens qui étaient forcés d’y rester, que ce soit comme enfants ou dans leur vie adulte. Je me suis vraiment plongée là-dedans. » Pour Leroux, dont la lignée d’œuvres complexes plusieurs fois saluées s’est amorcée en 2011 avec La marche en forêt, le processus créatif se passe souvent ainsi. « Plein de morceaux de casse-tête se mettent ensemble, et un jour, je me dis : “j’ai quelque chose, je peux commencer à écrire”. »
Mais outre donner vie à un bon roman, quelle était l’intention de l’autrice : brasser la baraque de notre inaction collective ? Poser des questions difficiles ? « En fait, je voulais aller jusqu’au bout d’un paradoxe. Quand des camps de sans-abri ont commencé à apparaître à Montréal, notamment le long de la rue Notre-Dame, et que la Ville a commencé à les démanteler sous prétexte que c’était dangereux, pour moi, ça a été une espèce de coup de grâce mental, intellectuel et théorique. J’ai pensé : où est-ce qu’ils croient que ces gens-là vont aller ? […] S’ils n’ont pas le droit d’être dans la rue, il faut qu’ils disparaissent ? Qu’ils s’autodétruisent ? Il y a là un non-sens et un mépris de l’humanité des personnes qui se retrouvent dans cette situation. »
Piquée au vif par la violence sans nom de ces démantèlements, Leroux nous secoue en nous mettant sous le nez une conséquence plausible de notre laisser-aller ; un monde possible, dirait Umberto Eco – dont les écrits sur le fascisme sont à revisiter par les temps qui courent. « Quand j’ai l’impression qu’on fonce dans le mur et que personne n’essaie de faire quoi que ce soit pour l’empêcher, pour moi, c’est un grand moteur d’écriture. […] J’ai voulu dire : “Voici une des avenues possibles, voici une des choses qui pourrait arriver, considérant ce qu’on sait de notre histoire occidentale et le genre de gouvernements qu’on a de plus en plus”. »