Essai
Après le Refus global
Josianne Létourneau
L’essai, au-delà du sens premier de ce mot qui suggère l’idée de la tentative, est avant tout l’affirmation d’une voix. D’une parole qui ne se cache pas de vouloir attirer notre attention sur un sujet qu’elle considère déterminant. Au Québec, depuis la Révolution tranquille, l’espace pour ce genre littéraire s’est significativement accentué par la liberté que les mouvements intellectuels libéraux ont réussi à s’accorder. Sans le carcan susceptible d’influencer ce qui était convenable selon l’Église d’aborder, voire, de débattre dans l’espace public, les écrivains et écrivaines s’adonnant à cette forme depuis déjà l’après-guerre pouvaient espérer ne plus subir de représailles ou de censures de la part des autorités politiques et religieuses.
Aujourd’hui, il peut sembler superflu, mais pourtant essentiel, d’affirmer à quel point l’essai s’est taillé une place de choix dans le paysage éditorial québécois et canadien. Alors qu’au début de l’édition au Québec, cette forme littéraire occupait une part plus ou moins grande du marché du livre, il est possible d’affirmer sans l’ombre d’un doute qu’à l’heure actuelle, de plus en plus de maisons d’édition offrent un catalogue strictement ou en grande partie dédié à l’essai et à la « non-fiction » ou dont la bannière identitaire s’inscrit entièrement dans l’épanouissement de ce genre.
Maintenant que votre lecture vous a amené ici, il vous sera proposé de partir à la découverte d’une sélection d’essais variés et passionnants qui révèlent une pléiade de voix auxquelles les maisons d’édition d’essais actuels nous donnent accès avec l’enthousiasme et la rigueur qui les distinguent. Un florilège qui témoigne de cette soif insatiable de communiquer, de brasser des idées, d’informer, d’ouvrir des perspectives propres aux esprits curieux et à tous ceux qui croient au pouvoir de l’écrit.
Suggestions de livres
Jusqu’à plus soif. Pétrole-gaz-solaire-éolien : enjeux et conflits énergétiques
YVAN CLICHE
Le discours ambiant annonce depuis longtemps l’espérance de vie limitée du pétrole comme combustible fossile indispensable à notre quotidien. Mais alors, qu’est-ce que les autorités politiques attendent pour réellement passer à la vitesse supérieure afin de ne pas être pris au dépourvu le moment venu ? Se pourrait-il que le manque d’empressement face à cette précarité proclamée camoufle un agenda ? Ou des implications économiques plus complexes que l’œil public ne peut percevoir ? C’est notamment en ce sens que le livre d’YVAN CLICHE, Jusqu’à plus soif. Pétrole-gaz-solaire-éolien : enjeux et conflits énergétiques, contextualise les défis environnementaux avec beaucoup de clarté. Spécialiste en énergie au CÉRIUM et ancien délégué commercial pour Hydro-Québec, Yvan Cliche y décortique les coulisses du pouvoir pétrolier mondial et remonte également, pour notre bénéfice, le cours du temps afin de raconter l’histoire de cette domination énergétique.
Fides 29,95 $Construire l’économie postcapitaliste
AUDREY LAURIN-LAMOTHE, FRÉDÉRIC LEGAULT et SIMON TREMBLAY-PEPIN
Est-il réellement possible, après des siècles de suprématie capitaliste, de transformer ce système ? De penser, voire, d’instaurer à échelle globale, une nouvelle économie qui puisse répondre aux urgences actuelles ? C’est ce que l’ouvrage Construire l’économie postcapitaliste, sous les plumes analytiques d’AUDREY LAURIN-LAMOTHE, FRÉDÉRIC LEGAULT et SIMON TREMBLAY-PEPIN, tente de déterminer et de démontrer. Au fil des chapitres, les auteurs et autrice explorent différents modèles proposés à travers les dernières décennies, mettant à l’épreuve leur viabilité et soulignant leurs points positifs. Une démarche vitale qui, selon leurs recherches exhaustives, semble avoir été jusqu’à maintenant écartée des théories critiques. Un manque que cet ouvrage brillant et ambitieux souhaite absolument pallier.
Lux, coll. « Hors collection » 26,95 $Nikanik e itapian: un avenir autochtone colonisé
SIPI FLAMAND
Nouveau jeune chef de la communauté atikamekw de Manawan depuis août 2022, SIPI FLAMAND n’a pas perdu de temps pour relever un deuxième défi d’envergure cette année-là : publier son premier livre. Et la synchronicité ne pouvait être plus porteuse de sens car avec Nikanik e itapian: un avenir autochtone colonisé, l’auteur, formé en sciences politiques à l’Université Laval, met clairement cartes sur table : « Je ne veux pas avoir recours à un discours “victimisant” ici, mais j’ai le devoir de faire en sorte que les sociétés canadienne et québécoise comprennent enfin ce que nous vivons en réalité dans nos communautés et sur nos territoires traditionnels, sur les plans tant politique et économique que social et culturel. » Un livre visiblement engagé qui invite les lecteurs et lectrices à réfléchir à une réalité politique qui mettrait enfin les enjeux autochtones au premier plan.
Éditions Hannenorak, coll.« Harangues » 12,95 $La tentation écofasciste : écologie et extrême droite
PIERRE MADELIN
Écologie et fascisme, une rencontre idéologique improbable ? Détrompez-vous ! Ou, mieux : laissez à PIERRE MADELIN le soin de vous mettre au parfum (nauséabond) de ce détournement fasciste et terroriste de la conscience environnementale actuelle. Philosophe et traducteur spécialisé dans les « humanités environnementales », l’auteur traite, dans La tentation écofasciste : écologie et extrême droite, de l’union improbable entre chemises brunes et chlorophylle, soulignant à quel point les racismes actuels ne reculent devant rien pour « justifier » leurs positions et leurs actes de violence révoltants. « L’immigration et le réchauffement climatique sont deux faces du même problème » écrira ainsi le tueur de masse australien Brenton Tarrant, se réclamant lui-même de la bannière « écofasciste » et arguant sans vergogne que la destruction de l’environnement par l’immigration « excessive » et la surpopulation justifient ses gestes. Un exemple ahurissant, parmi plusieurs autres, que l’auteur expose avec pertinence dans cet essai éclairant.
Écosociété, coll. « Polemos » 25 $Le contrat racial
CHARLES WADE MILLS
On pourrait croire que Le contrat racial s’inscrit dans l’air du temps, à la suite d’événements dramatiques tel l’assassinat de George Floyd ou d’appels répétés à la reconnaissance du racisme systémique. Mais l’édition originale de ce livre du philosophe afro-américain CHARLES WADE MILLS a été publiée en 1997. C’est donc un peu plus d’un an après sa mort qu’une version traduite en français par ALY NDIAYE (WEBSTER) nous est offerte de ce livre événement, œuvre qualifiée d’incontournable par de nombreuses figures intellectuelles et littéraires, tant au Québec qu’ailleurs. Une reconnaissance publique significative étant donné que ce livre s’amorce avec «l’affirmation que la suprématie blanche est le système politique qui, sans jamais être nommé, a fait du monde moderne ce qu’il est aujourd’hui», et, que le contrat social tel que nous l’avons connu jusqu’à maintenant, « est loin d’être un dispositif qui permet de représenter en toute neutralité » toutes les autres réalités. Une lecture fondamentale, nécessaire et transformatrice.
Mémoire d’encrier 24,95 $Bilinguisme, plurilinguisme et francophonie : mythes et réalités
CHERYL TOMAN, LILAS AL DAKR, ANNE-LAURE RIGEADE et KAREN FERREIRA-MEYERS
Le collectif Bilinguisme, plurilinguisme et francophonie : mythes et réalités scrute des scénarios complexes qui dépassent nos rapports manichéens face à des sujets potentiellement polarisants. Sous la direction de CHERYL TOMAN, LILAS AL DAKR, ANNE-LAURE RIGEADE et KAREN FERREIRA-MEYERS, des auteurs et autrices, chercheurs et chercheuses, développent des théories sur ces concepts dans des perspectives littéraires, culturelles, historiques et linguistiques, abaissant les frontières d’une francophonie canadienne vers une dimension globale et internationale. Œuvres littéraires et écrivaines phares, enseignement du français dans les universités chinoises, histoire de la francophonie égyptienne : les questions annoncées par le titre de l’ouvrage sont examinées dans une variété étonnante de cas et proposent ainsi de sortir des sentiers trop piétinés par le lectorat québécois mais, aussi, de réfléchir aux questions connues dans des espaces qui le sont certainement un peu moins.
Une version numérique est en libre accès sur le site de l’éditeur.
Les Presses de l’Université de Montréal, coll. « Imaginaires francophones » 29,95 $Des rues qui changent : commerce de détail et transformation des quartiers centraux
ALEXANDRE MALTAIS
S’il est un sujet tout à fait contemporain et qui occupe une place de choix dans les actualités depuis plusieurs années, c’est celui de la gentrification. Et c’est aussi cette facette de la vie métropolitaine qu’aborde le chercheur ALEXANDRE MALTAIS dans son premier essai Des rues qui changent : commerce de détail et transformation des quartiers centraux montréalais. S’appuyant principalement sur les exemples types des quartiers ouvriers et populaires d’Hochelaga-Maisonneuve et de Saint-Henri-Petite-Bourgogne, il examine les raisons et l’impact de l’arrivée de commerces « bourgeois », dans ces arrondissements et de certaines réactions des classes qui y sont établies «traditionnellement». Onzième titre de la collection « Études urbaines », ce livre pose une analyse importante en ce qui a trait à la personnalité et au futur de ces archétypes urbains.
Presses de l’Université Laval, coll. « Études urbaines » 35 $Rebâtir les régions du Québec: un plaidoyer, un projet politique
BERNARD VACHON
« L’approche (de cet ouvrage) se veut résolument prospective. Le futur ne saurait être construit sur la trajectoire historique des tendances passées, alors que la société est en pleine mutation, propulsée par des évolutions économiques, sociales et technologiques qui bouleversent les paradigmes établis du développement et de l’aménagement du territoire. » C’est ainsi qu’en avant-propos de son troisième livre, Rebâtir les régions du Québec: un plaidoyer, un projet politique, BERNARD VACHON fait valoir une vision du futur des régions rurales qui, malgré son expérience personnelle considérable, ne saurait rester ancrée dans le passé. Professeur-chercheur durant 31 ans, l’auteur affronte, chapitre après chapitre, le sentiment d’abandon ayant toujours teinté la question du développement régional, les idées reçues qui persistent sur son pouvoir économique ainsi que les implications politiques nécessaires à renverser le caractère mal-aimé de l’épanouissement régional.
MultiMondes 27,95 $La grande évasion : histoires de citadins qui ont fait le choix des régions
YVON LAPRADE
Le journaliste YVON LAPRADE parle d’une évasion en région rurale qui n’a rien de scandaleux. Quatrième livre le ramenant à l’essai après le roman Un homme vaillant, La grande évasion : histoires de citadins qui ont fait le choix des régions s’interroge sur ce qu’on pourrait peut-être qualifier d’exode, chiffres et statistiques à l’appui, de citoyens qui se déplacent de façon significative vers les régions. « Force est de constater que la “métropole” continue d’y perdre au change dans ses échanges migratoires avec les autres régions du Québec. » Retour aux sources, au bercail ou nouvelle aventure, l’auteur raconte une judicieuse sélection de récits, incluant le sien, qui pourrait fournir des pistes d’explications, au-delà de la pandémie de Covid-19, à ce désir de plus en plus notable d’aller voir chez le voisin si l’herbe est plus verte. Ou la vie, plus douce…
Les Éditions La Presse 29,95 $Amis des hommes ? : ruminations sur l’éthique animale
LOUIS-ANDRÉ RICHARD
Durant les 20 dernières années, le professeur de philosophie LOUIS-ANDRÉ RICHARD a abordé plusieurs questions contemporaines ayant un lien certain avec l’éthique. Soins palliatifs, aide à mourir, éducation : autant de sujets infiniment actuels qui comportent leur lot de complexité et placent notre perception de la dignité humaine sous la loupe. Pourtant, dans Amis des hommes ? : ruminations sur l’éthique animale, c’est de la dignité animale dont il est question et de notre responsabilité de la mettre au premier plan. Si certaines interrogations comportent leurs zones d’ombre, telle la nécessité de « concilier le respect intégral de l’animal dans son animalité avec le besoin d’utiliser certains d’entre eux [par exemple] dans le cadre d’études scientifiques », Louis-André Richard affronte la tempête, proposant d’articuler ces discussions éthiques et de les mettre en scène dans des situations crédibles. Et ce, sans jamais se départir de sa vivacité de ton, rehaussée çà et là par une pointe d’humour salvatrice.
Médiaspaul 30,95 $Quand l’Histoire sert à faire la guerre
BENJAMIN DERUELLE
Plusieurs conflits planétaires contemporains, et même actuels, ont vu des hommes d’État décider d’une manière opportuniste d’écrire l’Histoire, justifiant ainsi des décisions politiques responsables de mouvements de population, d’inutiles destructions d’espaces civils ou de la mort pourtant évitable d’innombrables victimes. Sous la direction de BENJAMIN DERUELLE, le collectif Quand l’Histoire sert à faire la guerre pose ce grave constat, celui qui tente de substituer à la connaissance des événements basée sur des faits sa cousine germaine qui lui ressemble tant : la mémoire. Confusion ou manipulation ?, peut-on se demander ; mais l’une et l’autre, selon les auteurs et autrices de ce collectif, aggravent sans contredit les tensions sociales et politiques déjà préoccupantes qui tissent la dynamique fragilisée de notre monde. Aussi, les essais inclus dans cet ouvrage proposent, à la lumière de cette problématique, « un cheminement rétrospectif à travers certaines de ces instrumentalisations de l’Histoire qui président à la transition de l’état de paix à l’état de guerre ».
Leméac, coll. « Domaine histoire » 32,95 $Sortir du rang : la place des femmes en agriculture
JULIE FRANCOEUR
C’est au cours de son doctorat en sociologie que JULIE FRANCOEUR fait un constat déterminant qui constitue le socle sur lequel repose son premier livre Sortir du rang : la place des femmes en agriculture : « J’ai étudié l’orientation de l’agriculture dans la littérature sociologique, dans la presse agricole, dans les projets de lois phares. Ce faisant, je me suis rendu compte que les femmes n’étaient nulle part, que leur expérience passée et présente était complètement invisible. Pourtant, [...] je le voyais bien : nous étions partout et nombreuses. » À partir de cette réalisation et de son expérience personnelle, à coup de rencontres, d’entretiens et d’informations significatives, Julie Francoeur démontre qu’à large échelle, un travail de modernisation des rapports d’égalité est encore à faire, dans un milieu agricole au cœur duquel subsistent les traces toujours profondes de nos structures familiales traditionnelles.
Éditions du remue-ménage 17,95 $Chocolaté
SAMY MANGA
Un véritable bijou à mi-chemin entre l’essai et le conte est le merveilleux Chocolaté de l’écrivain, « ethnomusicien », sculpteur et militant écologiste SAMY MANGA. Faisant écho à son sous-titre, Le goût amer de la culture du cacao, l’auteur substitue sa plume à la voix d’Abena, son jeune narrateur de 10 ans, qui travaille d’arrache-pied dans les monocultures de cacao camerounaises avec son grand-père. Par son regard à qui rien n’échappe, par la poésie de sa parole et la compassion de son cœur, Abena nous raconte, avec force détails, l’indignation et la tristesse que lui inspirent les injustices profondes dont il est témoin et qui lui retirent toute joie possible. « Au fond de moi, je me sentais dépossédé, volé, outré et découragé de voir partir le résultat brut d’un dur labeur en échange de quelques billets [...] qui allaient se raréfier en à peine quelques semaines. » À travers les mots d’Abena, l’auteur chante la révolte légitime d’un peuple que l’on dépouille de sa matière première et, à travers celle-ci, de toutes possibilités de prospérité et d’autonomie.
Écosociété, coll. « Parcours » 20 $Maman est un mythe
CÉLINE JANTET
Quelque part entre l’essai, le conte et la poésie existent des livres rares comme Maman est un mythe de la conteuse contemporaine CÉLINE JANTET. Touchants et percutants, les textes de ce tout petit livre, qui vaut vraiment son pesant d’or, explorent les multiples images de la mère dans toutes ses nuances, ses émotions, ses défis quotidiens et ses limites : « dans cet apprentissage de tous les instants / Dans cet apprentissage au long cours. / Pour apprendre à nager dans / cette rivière du temps, / à travers ses remous, / à se tenir debout, / un pied dans la vie, / un pied dans la mort ». Les textes de l’autrice, peuplés d’images fortes, de paroles authentiques et de confidences, loin de faire l’éloge de la Mère Ultime, en dépeignent toutes les teintes possibles, avec lucidité et amour…
Planète rebelle, coll. « Ce qui s’écrit, pis s’écrit et pis se lit » 12,95 $De ces hommes : la critique féministe de la relation hétérosexuelle dans trois romans contemporains au Québec
CHRISTINA BRASSARD
Depuis l’émergence du mouvement #MeToo, nous voyons forcément d’un œil différent nos relations humaines. Nous remarquons sans aucun doute la position de vulnérabilité intrinsèque dans laquelle nous pousse toute relation amoureuse. Beaucoup de gestes, de paroles, d’intentions sont reçus d’une façon différente depuis la vague puissante de cette marée dénonciatrice. Mais qu’en est-il de la figure masculine en littérature québécoise lorsque nous la passons sous cette loupe ? C’est l’une des questions posées par CHRISTINA BRASSARD dans son livre De ces hommes : la critique féministe de la relation hétérosexuelle dans trois romans contemporains au Québec. S’appuyant sur des œuvres d’autrices majeures telles Ying Chen (Espèce, 2010), Nelly Arcan (Folle, 2004) et Kim Thuy (Màn, 2014), Christina Brassard examine ces œuvres féminines parues dans les deux dernières décennies et expose en quoi elles mettent en lumière « une singularité sur le plan littéraire [prenant] aussi en considération les différentes origines ethniques et sociales des autrices ».
Éditions David 34,95 $Encore : conte de toxicomanie tranquille
MARIE DARSIGNY
Après le primé et chaleureusement accueilli par la critique Trente, publié en 2018 aux Éditions du remue-ménage, MARIE DARSIGNY courtise encore le thème de l’autodestruction dans le brillant et ironiquement addictif Encore : conte de toxicomanie tranquille. Loin de faire l’apologie de la consommation ou de se conforter dans le positivisme exacerbé de l’abstinence comme seul état de création recevable, la poète et autrice revendique la position de celle qui voit au-delà de la dépendance pour en identifier la source. « J’ai commencé à voir qu’il n’y avait plus grand-chose de temporaire dans cette situation, puisque je ne semblais pas être en mesure de mettre un terme aux mensonges, à la souffrance, aux dépenses. Je suis tombée, j’ai arrêté, recommencé, calculé, négocié et surtout, [...] je ne me suis pas considérée légitime d’écrire mon expérience. » Une légitimité qu’elle s’accorde avec beaucoup d’honnêteté et de lucidité dans ce livre, faisant valoir, par autant de parcours que d’œuvres cités, la valeur littéraire et humaine de ces cheminements non linéaires qui méritent d’être considérés.
Éditions du remue-ménage 19,95 $Carnet d’inventaire
ELISABETH NARDOUT-LAFARGE
Après avoir écrit et contribué à plusieurs ouvrages phares mettant en valeur la littérature québécoise, et plus particulièrement ces géants que sont Réjean Ducharme et Marie-Claire Blais, ELISABETH NARDOUT-LAFARGE, professeure de littérature québécoise à l’Université de Montréal, offre une œuvre infiniment plus personnelle et nous permet une déambulation parmi les pages de son Carnet d’inventaire. Sous une forme semblable à celle d’un abécédaire, l’autrice déploie un univers aussi intime qu’atmosphérique, plaçant le lecteur et la lectrice devant de courts chapitres qui semblent attendre d’être cueillis avec délicatesse, telles les fleurs des jardins colorés qu’ils évoquent. Avec sa plume sobre mais généreuse, elle emprunte des chemins étonnants et instigue, à même les souvenirs, les espoirs et la nostalgie, une poussée vers le récit, seule corde qui manquait à son arc littéraire déjà impressionnant.
Leméac 26,95 $Dans l’ombre du soleil : réflexions sur la race et les récits
ESI EDOYAN
Double récipiendaire du prix Giller (en 2011 pour 3 minutes 33 secondes et en 2018 pour Washington Black), ESI EDOYAN a toujours mis au centre de son œuvre la vitale question de la race. Elle poursuit donc tout aussi brillamment ce parcours de vérité dans un passionnant essai, Dans l’ombre du soleil : réflexions sur la race et les récits, livre impeccablement traduit en français par la traductrice chevronnée Catherine Ego. « Je me suis toujours demandé pourquoi nous reléguons certains récits aux oubliettes tandis que nous en élevons d’autres au rang de mythes. Quelles sont les dynamiques sociales et politiques qui gouvernent notre mémoire ? » C’est donc à travers l’histoire, l’art et la littérature, en passant par le récit personnel, qu’Esi Edoyan propose une analyse éclairante et sans compromis des idées reçues et du racisme qui ont placé dans l’ombre des figures et des êtres qui auraient grandement mérité la lumière.
Boréal 29,95 $Avec ou sans Kiki
DENISE BRASSARD
Elle grandit sans cesse, la collection « Liberté grande » aux éditions du Boréal, et c’est au tour de DENISE BRASSARD d’y ajouter sa contribution sous la forme du très beau livre Avec ou sans Kiki. Kiki, c’est bien sûr la « reine de Montparnasse », que la poète et essayiste porte en elle depuis si longtemps, depuis ce livre d’artiste feuilleté alors qu’elle avait 25 ans. « Plus de vingt ans après cette rencontre, me voici sur les traces de Kiki. Dans le but d’écrire un livre. Un de plus. Est-ce bien nécessaire ? » Conférencière à Metz puis arpenteuse de rues, et de vies, à Paris, Denise Brassard offre, malgré ses doutes, des tableaux de rencontres merveilleux qui mènent non seulement sur les lieux et dans les pas de sa muse personnelle mais, aussi, au cœur de scènes de la vie parisienne qui ressuscitent les disparus et célèbrent l’art, la connaissance, la passion et l’existence même.
Boréal, coll. « Liberté grande » 27,95 $Danses et pandémies : du sida à la covid-19
LUCILLE TOTH
Après avoir dirigé un collectif sur la relation entre danse et littérature, Danse contemporaine et littérature: entre fictions et performances écrites, LUCILLE TOTH, assistante professeure au Département d’études françaises et italiennes de l’Université de l’État de l’Ohio, approfondit son travail d’essayiste avec Danses et pandémies : du sida à la covid-19. Un essai qu’elle a amorcé autour de l’influence et de l’impact du virus du sida sur le travail chorégraphique, présent dès les premiers signes dévastateurs de la maladie, mais dont l’écriture s’est déroulée au cœur même d’une autre pandémie : celle du Covid-19. Elle a ainsi inclus cette nouvelle manifestation virale, qui a eu son effet bien à elle, à son projet de départ : « je tiens à tracer dans ce livre une généalogie du viral depuis la découverte du virus à la fin du 19e siècle jusqu’à l’ère actuelle de la PrEP ». Merveilleusement préfacé par l’écrivaine Catherine Mavrikakis, l’ouvrage de Lucille Toth raconte tout à la fois la beauté d’un art et la fragilité indéniable du corps humain qui s’exprime et s’abandonne en lui.
Varia 26,95 $La culture du divertissement: art populaire ou vortex cérébral ?
SÉBASTIEN STE-CROIX DUBÉ
Un essai divertissant sur le divertissement, est-ce possible ? Oui, surtout si l’on arrête Netflix assez longtemps pour se plonger dans le passionnant livre de SÉBASTIEN STE-CROIX DUBÉ, La culture du divertissement: art populaire ou vortex cérébral ? Premier livre de l’auteur, juste avant Les rosemonteries, cet essai bien à propos a été récemment réédité en format poche chez Alias dans une version revue et augmentée. Décortication intelligente de notre dépendance collective à toutes ces distractions numériques qui nous empêchent d’investir énergie et temps dans des occupations plus constructives, La culture du divertissement propose une vision de nous-mêmes qu’il est difficile d’écarter du revers de la main tant elle est juste. Compétitions de jeux vidéo, popularité démentielle des séries télé, consommation immédiate des arts : l’essai de Sébastien Ste-Croix Dubé est un petit bijou qui nous oblige à prendre du recul et à nous distraire… intelligemment ?
Alias, coll. « Poche » 14,95 $