Les autres jours
La maison d’édition Alto, qui fêtera ses 20 ans en 2025, se définit fièrement comme une boîte curieuse, un « éditeur d’étonnant ». Durant le contexte restructurant et particulier de la pandémie, ses membres ont ouvert un laboratoire en plein dans le quartier de Saint-Roch, à Québec. En effet, la maison d’édition a fait l’acquisition en 2020 de l’étage en bas de ses bureaux dans le but de fonder un lieu de création accessible et démocratique.
Situé près de la bibliothèque Gabrielle-Roy et d’autres organes culturels, Les autres jours, espace possible se veut un espace de médiation autour du livre et des étapes de sa conception, qu’il soit artisanal ou numérique. Sa première pièce, de 2 000 pieds carrés et comportant un bar, permet la tenue d’activités et de soirées, tandis que sa deuxième pièce, de 1 000 pieds carrés et sans meubles, sert aux conférences et autres prises de parole. La nouvelle adresse, plus qu’un endroit où échanger et développer des idées, tient à porter des projets qui recentrent l’acte de raconter en repensant le moteur narratif au-delà du texte, l’outil même pour explorer le plein potentiel du livre au-delà de sa forme. « L’important est de revenir à l’essence de l’édition : trouver des moyens de traduire l’histoire des gens. Revenir au conceptuel, aux gestes rituels de la lecture, [au] sens du geste » est l’une des ambitions du projet de la rue Saint-Joseph, mentionne Antoine Tanguay, le créateur de l’espace.
Ce dernier ayant pour but de mettre en relation les différents artisans du milieu, il est porté par une vision ouverte et créative, réitère son fondateur. « On voulait s’offrir tous les possibles, d’où le nom. » Sans détour, il souligne l’importance de sortir des sentiers battus, de (se) réinventer.
Sa programmation témoigne de cet effort. Tournés vers la jeunesse et encourageant la relève, les différents ateliers, appels à projets et autres interventions, rassemblent plusieurs générations provenant de plus d’une discipline artistique. L’éditeur cite en exemple un atelier autour de la reliure pour les 8 à 12 ans, ou encore un atelier origami et poésie.
Son plus récent appel à candidatures, en collaboration avec Rhizome, vise à former trois binômes pour les appuyer dans leur projet de création littéraire numérique. En plus de donner les moyens de leurs ambitions à de jeunes auteurs et autrices du Québec, la résidence espère susciter des dialogues en fournissant un environnement collaboratif et une mise en commun.
L’éditeur de longue date convient que le Québec est traditionnellement timide avec ses expérimentations. Entre un marché plus petit et un lectorat en changement, il est parfois risqué de se donner les moyens de ses ambitions. « Ce ne sont pas toutes les idées et étincelles qui sont nécessairement rentables », évoque sans détour Antoine Tanguay. Au-delà de l’aspect commercial, le coup de dés est somme toute libérateur pour l’éditeur de Québec. Cette prise de risque lui permet de resituer les éléments constitutifs de son métier ; d’expérimenter avec des jeux narratifs, d’explorer le côté physique, tangible du livre. Ce faisant, il est possible de penser une lecture plus ludique, immersive ; d’interroger sa linéarité et peut-être ainsi d’aller chercher un nouveau public, plus jeune et en ligne.
Quoi qu’il en soit, tout événement ou idée portée par l’espace innovant d’Alto est l’occasion de décortiquer la chaîne du livre et de réfléchir sur cette dernière. Pour ce faire, l’endroit s’est doté d’équipements, par exemple une machine d’estampage, qui seront disponibles au public pour usage. « Chaque langage a sa propre technologie », précise Antoine Tanguay. Citant son catalogue, il mentionne Clairvoyantes, publication à la forme (re)pensée, un oracle littéraire dont la direction artistique a été assurée par l’autrice Audrée Wilhelmy. À la croisée des arts et de la littérature, l’identité visuelle étant composée d’images de la photographe Justine Latour, le projet invite 15 autrices « à utiliser le pouvoir symbolique des histoires » dans le but de créer des cartes qui portent une infinité de possibilités narratives. La force du projet questionnant à la fois la création et la lecture vient alors autant de l’aspect collaboratif que de la multitude d’interprétations possibles.