Collections | Volume 11 | numéro 3

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Manuscrit recherche éditrice ou éditeur pour relation sérieuse

Émilie Temblay

Quelle personne qui écrit n’a pas rêvé un jour de tenir son texte publié entre ses mains ? Si l’image fait rêver, le chemin pour s’y rendre n’est pas aussi simple qu’il en a l’air. Chaque rentrée littéraire, une maison d’édition fait paraître un nombre limité de livres. Pour en arriver à ce résultat, une sélection est soigneusement faite par une équipe rigoureuse, qui reçoit un nombre impressionnant de manuscrits. quelle autrice ou quel auteur sera la prochaine révélation ? Quelle pépite se retrouvera dans les mains des avides lectrices et lecteurs ? Il arrive qu’un texte trouve sa maison au premier regard. Un manuscrit tellement juste et vrai que l’éditrice ou l’éditeur le dévore tout d’un trait, en une soirée (et peut-être même en une nuit). Parfois, au lieu de dénicher un texte parmi ceux reçus, c’est plutôt la maison d’édition qui en sollicite aux autrices et aux auteurs avec qui elle ou il partage déjà des affinités. C’est notamment le cas lorsqu’une nouvelle collection est créée. Peu importe la façon dont un texte arrive à sa maison d’édition, chaque rencontre mène à des dialogues enrichissants qui se poursuivent de la création à la publication.

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Un coup de cœur au premier regard

Alexie Morin se souviendra toujours du premier texte qu’elle a publié comme codirectrice éditoriale du Quartanier. Ça a été un coup de cœur immédiat. Elle a tout de suite reconnu la voix singulière et affirmée de Stéfanie Clermont, autrice de Le jeu de la musique publié en 2017. « C’était le scénario idéal pour un premier roman, se rappelle-t-elle. C’était merveilleux de tomber là-dessus. Dès la première phrase, dès la première page, je suis tombée en amour avec la profondeur émotionnelle du livre. Elle n’avait recours à aucun lieu commun. » Après toutes ces années, elle peut réaffirmer qu’il s’agissait d’une situation unique.

Pour elle, l’émotion est toujours la porte d’entrée d’un texte. « Il faut que je m’y sente bien, que je sois touchée par les personnages et par l’affect, avoue-t-elle. C’est là que je suis à mon meilleur. J’aime quand un texte est intense, émouvant et bien construit avec une narration complexe. »

Thomas Campbell, éditeur chez Héritage, admet quant à lui avoir un faible pour les autrices et les auteurs qui jouent avec les codes et défient le schéma narratif classique. « Chaque autrice ou auteur a sa signature, son style et sa propre façon d’amener le lecteur dans son univers, ajoute-t-il. Un texte, c’est très personnel. Il faut d’abord entrer en relation avec. »

Œuvrant dans le milieu de l’édition depuis une quinzaine d’années, Thomas Campbell a eu, au fil du temps, l’occasion de créer des liens de confiance avec les autrices et les auteurs avec lesquels il travaille. Si bien qu’il n’hésite pas à se tourner vers elles et eux lorsqu’il crée de nouvelles collections pour les inviter à proposer des textes en lien avec la ligne éditoriale. « Il faut instaurer des balises et avoir une vision d’ensemble de la série. » Cela a notamment été le cas pour les titres d’UNIK, une collection créée en 2020 qui propose des livres où les autrices et les auteurs replongent dans des moments marquants de leur histoire. Il est question, dans chacun des titres, de sujets parfois sensibles comme le racisme, le suicide, la transidentité et l’estime de soi. « Ce sont des récits personnels où l’autrice ou l’auteur revit des moments qui ont parfois été difficiles, explique Thomas Campbell. Ils plongent dans leur vulnérabilité. » Dans un tel contexte, une relation intime se crée forcément entre une autrice ou un auteur et son éditrice ou son éditeur.

Depuis, la famille UNIK ne cesse de grandir. En près de cinq ans, une quinzaine de textes ont été publiés provenant d’autrices et d’auteurs reconnus tels que Samuel Larochelle et Gabrielle Boulianne- Tremblay, ainsi que des récits d’autres personnes, comme Julien Leclerc, qui n’avaient jamais écrit auparavant. « C’est la collection pour laquelle j’ai publié le plus de nouveaux auteurs », avoue l’éditeur. « Une fois qu’une série est bien implantée, il est plus fréquent de recevoir des propositions de textes », explique-t-il.

Alexie Morin, photo : Justine Latour
Thomas Campbell

Un protocole pour guider

Le Quartanier reçoit, quant à lui, environ 1 300 manuscrits par année, à raison d’environ trois par jour. De ce nombre, moins de dix livres seront publiés à chacune des rentrées littéraires. Cet automne, sept nouveaux titres et quelques livres de poche sont inscrits au calendrier de parutions. Pour chaque texte reçu, la maison d’édition suit un protocole de lecture. La première page et la lettre de présentation préparée par l’autrice ou l’auteur sont lues par un des membres de l’équipe éditoriale afin de procéder à une présélection. Imaginez, sinon, lire 1 300 livres par année ! « C’est humainement impossible », admet Alexie Morin.

La lettre de présentation qui accompagne un manuscrit est très importante, car « on veut savoir à quoi s’attendre du livre », explique l’éditrice. « Quelle forme prendra le récit ? L’idée n’est pas de nous vendre quelque chose et de nous prouver que le livre est bon. On veut surtout savoir ce que c’est. » L’originalité de la lettre n’est pas évaluée, mais plutôt sa qualité.

Une fois le premier tri effectué, certains textes sont retenus pour être lus en entier. « Nous n’avons pas de comité de lecture à proprement parler, mais tout le monde dans l’équipe y met du sien », précise Alexie Morin, ajoutant qu’au moins deux personnes lisent le manuscrit, afin de pouvoir avoir un dialogue sur le texte.

Une première phrase qui accroche et une constance dans la voix et dans le ton sont souvent des ingrédients qui retiennent l’attention d’une maison d’édition. « On le sent tout de suite quand un manuscrit a été travaillé et qu’il y a une pratique dans l’écriture », révèle Alexie Morin. Il arrive aussi que ces éléments soient moins visibles et qu’un peu de travail soit nécessaire pour les faire ressortir. C’est là le métier de l’éditrice ou de l’éditeur, reconnaître le potentiel d’un texte. « Une autrice ou un  auteur est réceptive ou réceptif, avec du travail, on finit par faire un très, très bon livre. »

Un des cas types des dernières années est celui d’Emmanuelle Pierrot, dont le livre La version qui n’intéresse personne, paru en 2023, a raflé plusieurs prix, comme le Prix des libraires du Québec 2024, en plus de toucher le cœur de milliers de lectrices et de lecteurs au Canada et en Europe.

« Nous étions en contact avec Pierrot pour un autre projet, se rappelle Alexie Morin. En discutant avec elle, on s’est rendu compte que pendant qu’elle vivait au Yukon, elle écrivait des poèmes. On lui a demandé de nous les envoyer. À la toute fin, il y avait une quinzaine de pages de prose où elle racontait l’histoire d’une fille prise dans une cabane avec un agresseur pendant la quarantaine demandée lors de la pandémie COVID-19. » Ce passage fait maintenant partie du livre qui, au fil des discussions et du travail d’écriture, est devenu un roman de 90  000 mots. Le reste appartient à l’histoire.

Thomas Campbell aime voir le chemin parcouru par un texte, du manuscrit original à la publication. « Nous sommes des instruments qui aident à pousser les autrices et les auteurs plus loin dans leur créativité. Quand on connaît bien la personne avec qui on travaille, c’est encore plus facile de la challenger et de la pousser à réfléchir à des sujets encore inexplorés. »

Mots d’auteur·trice·s à propos de leurs éditeur·trice·s!

Éric Chacour (Ce que je sais de toi), à propos de Catherine Leroux, Éditions Alto

« Il y a deux ans, je l’appelais Madame Leroux et je la vouvoyais. À la réflexion, c’était un rien excessif, mais mieux valait cela que risquer un impair avec une éditrice qui semblait intéressée par mon manuscrit ! 

Aujourd’hui, je lui ai téléphoné parce que j’avais une décision difficile à prendre et que son avis m’importait plus que celui de n’importe qui d’autre.

Si vous ajoutez à cela sa bienveillance, son humour et la finesse de son analyse, vous aurez une petite idée de la place qu’elle occupe désormais dans ma vie. »

Sarah Lalonde (Encore une histoire de pets), à propos de Carole Tremblay, la courte échelle

« Collaborer avec Carole Tremblay c’est, bien sûr, chérir son intelligence créative, admirer son audace et tripper raide sur ses pertinentes suggestions. Mais un plaisir inattendu c’est aussi, et surtout, la délicieuse jubilation de recevoir ses perles-de-courriels.

Des adorables passages comme « Ben oui, le temps est pas mal snoreau. Il va beaucoup plus vite que moi et il fait ça très discrètement. Je sens à peine la petite brise qu’il provoque quand il me dépasse sur la droite » ou « On n’a jamais trop de cabotineries, à mon avis », ou même « Qu’en penses-tu au fond de ton âme ? », deviennent des sources de distraction qui nous dévient de notre réécriture, nous donnant envie, de tout lâcher pour entreprendre avec Carole un long échange épistolaire. C’est qu’à travers ses mots on sent, saisit et vénère son expérience, son humour et sa vaste humanité. Et on veut d’un coup lui octroyer des titres tels bouddha de l’édition, virtuose de sagesses/singeries littéraires, voire princesse poétesse de la vida. Mais surtout lui dire… merci d’avoir été là. »

Jean-Philippe Baril-Guérard (Haute démolition), à propos de Maxime Raymond, Les Éditions de Ta Mère

« Quand j’ai produit ma première pièce, Baiseries, en 2010, dans une salle humide et mal isolée, accueillant environ 80 spectateurs, un gars nommé Maxime Raymond, éditeur chez une petite maison indépendante nommée Ta Mère, est venu me parler après le show pour me dire qu’il avait beaucoup aimé la pièce, et qu’il aimerait beaucoup que je pense à lui si jamais je décidais d’écrire un roman, parce qu’il ne publiait pas de théâtre. Je lui ai répondu que malheureusement, je n’écrirais pas de roman, parce que je ne savais pas comment faire. Je cherche encore comment faire aujourd’hui, d’ailleurs. »