Collections | Volume 11 | numéro 1

Littérature

Je gis toujours dans la rocaille de notre cour (*)

Josianne Létourneau

« La réalité dépasse la fiction. » Si la phrase attribuée à Mark Twain s’avère toujours juste et vérifiable, il nous faut avouer que la fiction québécoise des dernières années reflète avec une pertinence indéniable certains sujets brûlants de l’actualité.

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Dans son roman Que notre joie demeure, l’écrivain Kevin Lambert dévoile plusieurs enjeux liés à l’urbanisme et souligne son caractère résolument actuel, sous les traits du personnage de Céline Wachowski, une architecte de réputation internationale accusée d’embourgeoisement et de destruction du tissu social à travers la réalisation d’un projet architectural considéré comme révolutionnaire. Des thèmes pour le moins contemporains en cette période où la population gronde de plus en plus fort face à une inflation galopante et à un désœuvrement qui touche, aussi et surtout, les services essentiels : le logement, la propriété, l’occupation citoyenne d’un espace.

En cette ère marquée par des besoins criants, quelle place pour les grands projets, l’art et l’expression de ceux-ci dans l’espace de vie ? Miroir incontestable de notre société, la littérature québécoise regorge, à travers la plume de ses autrices et auteurs, d’œuvres qui, dans l’intime comme dans la collectivité, projettent un discours fort sur nos préoccupations concernant la propriété, les appartenances, les identités, les frontières, les espaces et notre façon de les habiter.

Dans cet article, une sélection inspirante et audacieuse vous est offerte, avec des titres qui remettent en question ces sujets fondamentaux sans jamais mettre de côté la versatilité narrative et l’audace littéraire.

(*) Tiré de S’évincer : Écriture et démantèlement de Laurence Gagné, Le Noroît, 2023

Suggestions de livres

En suivant Shimun

LAURE MORALI

« J’ai envie de poser mon sac là-bas, et de me laisser prendre en charge par l’esprit gardien des lieux polaires pour qu’il soigne mon blues d’amour perdu sous la lame de jours très pâles. » Pour la poète et écrivaine LAURE MORALI, 1996 sera une année marquante. Ce sera l’année où elle fera d’Ekuanishit un point d’ancrage mais, surtout, celle où Shimun, l’homme de la forêt, lui offrira l’opportunité de vivre l’expérience du Nutshimit, ce territoire vital pour la communauté innue. C’est le récit de son immersion dans ce lieu sacré qu’elle partage avec En suivant Shimun, un livre vibrant, poétique, habité par le vent et les rires.

Éditions du Boréal, Coll. « L’Oeil américain » 21,95 $

Au 5 e

MP BOISVERT

Lorsque Alice accueille Éloi, son ex mal pris, dans un six et demi aux chambres déjà bien remplies, ni l’un ni l’autre ne s’attend à ce qui va suivre. Car au-delà de leur histoire, l’espace restreint s’articule déjà au rythme d’un ballet relationnel dans lequel tout le petit monde du 5e accorde ses pas. Intrus, donc, cet Éloi ? De moins en moins, puisque celui qui ne devait rester que peu de temps commence à s’intéresser à Simon, l’amoureux d’Alice, et éveille l’affection de Camille et Gaëlle, aussi en trouple avec Alice. Premier roman de MP BOISVERT, Au 5 e est une pure merveille de vivacité et de sensibilité.

Bibliothèque québécoise 12,95 $

Welsford

CLAUDE GUILLAIN

Les années 70 furent déterminantes pour le développement urbain en Amérique du Nord en raison d’un phénomène qui nous touche encore profondément aujourd’hui : l’avènement des banlieues. C’est d’ailleurs dans les balbutiements d’une banlieue torontoise que se jouent les drames du roman policier Welsford, premier livre du dramaturge CLAUDE GUILLAIN. Lorsqu’un corps est découvert sous la piscine d’une résidence de son ancien quartier, Frank, policier quasi retraité, doit revenir 40 ans en arrière, déterrant par la même occasion de nombreux souvenirs : ceux du premier homme sur la lune, des amitiés immortelles et des violences taboues.

Édition Prise de parole, Coll., « Roman » 25,95 $

Un beau désastre

CHRISTINE EDDIE

Petit joyau d’humanité, Un beau désastre, cinquième roman de CHRISTINE EDDIE, trompe la grisaille par des personnages qui sortent de l’ordinaire. Il y a d’abord ce jeune garçon au prénom unique qui trouve chez sa tante astrologue un foyer où poser ses inquiétudes. Il y a cette famille chaleureuse qui trompe l’incertitude par un surplus d’âme et d’amitié, mais surtout, il y a ce quotidien d’un quartier pauvre en moyens et riche en béton que ses citoyens s’entêtent à rehausser de fleurs et de beauté, au rythme de leurs fantaisies, à travers des liens tissés à même leurs défis communs.

Éditions Alto 23,95 $

Hier pour rien

ALAIN RAIMBAULT

Dans un CHSLD au cœur du confinement, vivre les mêmes jours encore et encore, c’est le cauchemar que subit tant bien que mal le narrateur du roman d’ALAIN RAIMBAULT, Hier pour rien. À quoi servent les gestes posés s’ils sont à refaire le jour suivant ? Et tout l’espace des rues désertes au cœur d’une liberté policée ? Face à l’oppression d’un double huis clos pour lequel il ne s’est pas vraiment porté volontaire, Daniel voit ses secrets échapper de plus en plus à l’étanchéité de la « prison médicalisée » dans laquelle il réussit, malgré tout, à apporter un peu de chaleur humaine.

L’Instant même, Coll. « Romans et récits » 25,95 $

Entre l’île et la tortue

KARINE ROSSO

L’écrivaine et essayiste KARINE ROSSO ne pouvait trouver meilleur contraste au confinement covidien que les récits d’une jeunesse nomade et voyageuse au cœur de l’Amérique latine. Si tout pouvait être aussi simple… Car au-delà de cette disparité évidente entre les espaces habités, explorés et ceux de l’isolement, l’esprit, lui, n’arrive pas toujours à définir le lieu absolu des appartenances. Bouleversante autofiction, Entre l’île et la tortue livre une vulnérabilité admirable et émouvante où l’humanité jaillit de tout. Karine Rosso dépose à nos pieds, comme des bijoux sur une natte, le fruit de son dépouillement, de ses interpellations intérieures et de sa résilience triomphante.

Éditions Triptyque 25,95 $

Une vie inutile

SIMON PAQUET

Habiter dans un ancien débarras aux effluves d’essence, voilà la perspective peu souriante que s’offre Normand, le narrateur d’Une vie inutile de SIMON PAQUET. Et que dire quand la seule fenêtre de ce logis peu enviable se retrouve bloquée par un camion qui prive le locataire de son unique source de lumière ? Fort d’un humour noir qui sait, malgré tout, tromper le misérabilisme ambiant, ce premier roman livre un plaidoyer à échelle humaine contre la propriété abusive, surtout lorsque celle-ci se double d’une vie de famille catastrophique qui n’a rien de réconfortant.

Héliotrope, Coll. « Série P » 13,95 $

Désormais, ma demeure

NICHOLAS DAWSON

Impossible de passer à côté des immenses qualités littéraires qui font de Désormais, ma demeure une œuvre incontournable. Brillant par une transparence qui donne à l’autofiction toute sa raison d’être, le livre de NICHOLAS DAWSON exprime la densité des murs qui séparent la personne dépressive de son entourage. Intime et sans concession, l’œuvre du poète, essayiste et écrivain expose, images à l’appui, les recoins et interstices où l’écriture repousse le silence absolu. Récipiendaire du Grand Prix du livre de Montréal en 2021, Désormais, ma demeure est un exemple éloquent du pouvoir de la littérature et de sa nécessité.

Éditions Triptyque, Coll. « Queer  21,95 $

Malgré tout on rit à Saint-Henri

DANIEL GRENIER

Écrivain et traducteur estimé, DANIEL GRENIER a fait une entrée remarquée en littérature avec le recueil de nouvelles Malgré tout on rit à Saint-Henri. S’inspirant de ce quartier bien connu, de sa géographie et de sa faune, l’auteur tisse une toile où s’agite une multitude de personnages dont les vies suivent les nuances, la sensibilité et l’humour grinçant de leur créateur. Car c’est un quartier bruyant qui est le leur, aux prises avec des idées reçues tenaces que les nouvelles de Daniel Grenier se chargent bien de secouer sans jamais nier le charme doux-amer de ce coin mythique de Montréal.

Éditions du Boréal, Coll. « Boréal compact » 15,95 $

Les Pâtes

CHRISTIAN LAMBERT

Rien ne va plus pour Les Pâtes, petite bourgade sans histoire où l’on s’arrête en passant. La ville est maintenant devenue le repaire de criminels en tous genres, et le théâtre d’une disparition… Premier roman de CHRISTIAN LAMBERT, Les Pâtes offre, dès les premières pages, le portrait tragi-comique savoureux d’une ville qui ne laissera pas les aspirations de ses habitants bousiller ses plans de revitalisation.

Les éditions de la maison en feu 23 $

Un bonheur à bâtir

ROSETTE LABERGE

À la veille des Jeux olympiques de Montréal, la métropole verra sa face changée à jamais. Un profil architectural d’envergure dont les traces sont encore bien visibles aujourd’hui ! C’est sur cette période inoubliable que s’ouvre le premier tome de la trilogie Un bonheur à bâtir de la prolifique ROSETTE LABERGE. Alors qu’il nous introduit à la colorée famille Maltais, ce roman trépidant offre aussi un point de vue privilégié sur les défis qu’ont représentés ces événements majeurs, et ce, à travers le chantier que peut également être la vie chaotique d’une nombreuse fratrie !

Les Éditeurs réunis 24,95 $

Si nous restons têtus

BRIGITTE LÉVEILLÉ

Rêver d’un paradis ne coûte rien. Trouver ce paradis exige, par contre, une immense dose de conviction. C’est le rêve devenu réalité de BRIGITTE LÉVEILLÉ qu’elle raconte dans son premier livre, Si nous restons têtus. L’autrice propose un récit du désir profond de construire, avec des êtres aimés, un lieu qui correspond à leurs aspirations, mais aussi des obstacles rencontrés : espaces zonés, réglementés, examinés, compilés, des écueils que toutes les économies du monde ne peuvent contourner. Dans une langue formidable qui esquisse le portrait d’amitiés résilientes, Brigitte Léveillé nous fait le cadeau de la mise en poésie d’une fabuleuse trajectoire.

Les Éditions du Quartz 24 $

La grande maison en bardeaux rouges qui grince la nuit

LUC-ANTOINE CHIASSON

Parfois, la grandeur des espaces nous permet d’exprimer un amour sans compromis. Sans fenêtre pour encadrer ce qu’il est permis d’espérer, La grande maison en bardeaux rouges qui grince la nuit traduit en poésie ce qu’un lieu porte de racines et de souvenirs pour LUC-ANTOINE CHIASSON. À travers les deuils, l’effritement de la mémoire, le bardeau à changer et le plancher centenaire, le poète nomme les séparations nécessaires, la distance à franchir pour retrouver la mer, mais, surtout, tout ce que les lieux portent d’images, de gestes et de mots échangés devant un coucher de soleil.

Éditions Perce-Neige, Coll. « Poésie » 20 $

Errances

SUZANNE CLOUTIER, avec JOSÉPHINE BACON, ELISE TURCOTTE, LAURE MORALIE et RODNEY SAINT-ELOI

Pour une population majoritairement sédentaire, la vie nomade est un lieu inaccessible. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la pertinence de l’œuvre multidisciplinaire de SUZANNE CLOUTIER, Errances. Rassemblant des textes d’autrices et d’auteurs connus de tous les horizons dont JOSÉPHINE BACON, ELISE TURCOTTE, LAURE MORALIE et RODNEY SAINT-ELOI, Errances explore, par la création, les thématiques de la liberté et du vagabondage telles que vécues par les membres de ce collectif artistique et littéraire. S’attardant, entre autres, à l’héritage de Jean-Michel Basquiat et de Jack Kerouac, Errances nous ouvre à une façon nouvelle de vivre et de comprendre les espaces communs.

Les éditions du passag 34,95 $

Histoires de racines

MONIA MAZIGH

Les racines, les frontières, l’Autre : ces trois mots familiers sont au cœur du parcours littéraire de MONIA MAZIGH. Interpellée par nos sociétés de plus en plus clivantes où les flux migratoires sont politiquement redoutés même si inévitables, l’autrice fait le pari d’une œuvre qui se distingue de ses livres précédents par ses qualités protéiformes. Ainsi, Histoires de racines, abécédaire littéraire « regardé par la lorgnette de l’exilée par choix », trace le trajet, une lettre après l’autre, de celle et celui qui, par la force des événements, se voient placés devant les extrêmes… Et n’ont d’autre issue que la nécessité vitale de prendre une décision.

Éditions David 19,95 $

Entre les murs, des voix

GABRIELLE GIASSON-DULUDE

« Je suis la doctorante passant ses journées dans un bureau sans fenêtre. Je lis et j’écris au quatrième étage d’un édifice universitaire. » Quatre murs. Réalité inébranlable souvent nommée par l’autrice GABRIELLE GIASSON-DULUDE dans son livre Entre les murs, des voix. Nécessaires à circonscrire l’espace où se retrouvent les étudiants, les quatre murs, la grisaille et le béton s’opposent par leur immuabilité à la recherche intellectuelle, à la mobilité et à la flexibilité qu’exige l’exercice de la pensée et de la voix. Au cœur de cette dichotomie, pourtant, la fine écriture de l’autrice se déploie, libre, elle, de franchir les murs par les mots.

Les éditions du remue-ménage 22,95 $

S’évincer : Écriture et démantèlement

LAURENCE GAGNÉ

Tout petit qu’il soit, S’évincer : Écriture et démantèlement, de la poète LAURENCE GAGNÉ est un trésor débordant de réflexions poétiques sur notre vie urbaine, ses frontières psychologiques, sa magie éphémère et ses pièges économiques. Mais au-delà de l’expérience personnelle et de celle de son entourage immédiat, la plume observatrice de l’autrice fait un constat alarmant sur la solitude qui marque l’expérience métropolitaine, marquée par l’érosion du commerce de proximité, les évictions et les deuils relationnels impossibles. Par la multiplicité des facettes qu’il développe, le récit de Laurence Gagné brille ardemment par son actualité et son éloquence.

Le Noroît, Coll. « Chemins de traverse » 20,95 $