Littérature
Peuple rare
Peuple précieux*
Josianne Létourneau
* Titre inspiré d’une phrase de l’avant-propos du recueil Bâtons à message de Joséphine Bacon chez Mémoire d’encrier.
Un nom me vient spontanément à l’esprit lorsque la littérature autochtone est évoquée. Ce nom est Joséphine Bacon. Évidemment, en 2021, rien d’exceptionnel à cela, me direz-vous. Mais bien que flagrante aujourd’hui, cette association spontanée est liée à un souvenir bien précis.
Nous sommes en 2009. La littérature autochtone est alors marginalement représentée, sauf pour de rares, mais notables exceptions dans les catalogues des éditeurs. Et voici que paraît le recueil Bâtons à message. Un recueil de poésie qui changera à jamais le regard des lectrices et des lecteurs québécois. À ce moment-là, quelque chose s’est passé. Quelque chose de majeur. Un 180 degrés.
Alors qu’en poésie, les « succès de librairie » ne se comptaient pas, ou si peu, Bâtons à message en est devenu un. J’entendais parler de réimpressions. Au pluriel. Une situation rarissime pour un recueil de poésie, mais carrément exceptionnelle pour une œuvre écrite par une autrice issue des Premières Nations. Ce bâton portait assurément un feu. Une lumière. Et plusieurs messages nécessaires. Qui ont éclairé tout un monde, du moins, à nos yeux d’allochtones, qui en avaient grandement besoin.
Aujourd’hui, comme la sélection de livres qui suit réussit à en témoigner, la proposition d’œuvres et d’ouvrages nous permettant d’aborder et de comprendre les réalités des Premières Nations est plus grande et variée. Heureusement. Car les messages à transmettre, les dialogues à poursuivre, les préjugés à abattre et les responsabilités à prendre sont encore nombreux.
Suggestions de livres
Écrits autochtones. Comprendre les enjeux des Premières Nations, des Métis et des Inuit au Canada
CHELSEA VOWEL
Jadis enseignante dans les Territoires du Nord-Ouest et en Alberta, CHELSEA VOWEL fait preuve d’un sens aiguisé de la pédagogie dans l’ouvrage essentiel Écrits autochtones. Comprendre les enjeux des Premières Nations, des Métis et des Inuit au Canada. Abordant l’écriture de ce livre telle une conversation, à l’image des discussions qui ont jalonné son cursus de droit, Chelsea Vowel, elle-même d’identité métisse, ne laisse rien au hasard de l’ignorance et aborde toutes les questions possibles, imaginables et nécessaires avec une bienveillance qui n’absorbe en aucun cas l’honnêteté que la compréhension de ces enjeux exige. Impossible de quitter ce livre sans en savoir bien davantage, mais surtout, sans espérer qu’un maximum de lecteurs et lectrices bénéficie de ce travail intellectuel patient, pertinent et bien documenté.
Varia, coll. « Proses de Combat », 2021, 374 p. 31,95 $Un seul Québec. Dialogue avec les Premières Nations (1978-1995)
DAVID CLICHE
« Je considère que le présent livre est d’une grande utilité pour comprendre les principaux enjeux (et leurs dessous) qui ont présidé aux relations entre les Premières Nations et le Québec des années 1970 à aujourd’hui. Je le recommande à tout lecteur avisé. » Tels sont les mots du Chef Onti Max Gros-Louis pour présenter l’ouvrage de DAVID CLICHE, Un seul Québec. Dialogue avec les Premières Nations (1978-1995). Acteur de premier plan lors de nombreuses négociations entre le gouvernement québécois et les Premières Nations, celui qui fut, entre autres, l’interlocuteur principal auprès du Grand Conseil des Cris du Québec dans le dossier du projet hydroélectrique de la rivière Grande-Baleine, nous entraîne non seulement dans les coulisses politiques, mais également dans un récit plus personnel et familial. Un angle narratif qui nous permet de comprendre la relation privilégiée de la famille Cliche avec les Abénakis et l’influence de celle-ci sur la vie politique de l’auteur.
Boréal, 2021, 192 p. 22,95 $Kuei, je te salue. Conversation sur le racisme
NATASHA KANAPÉ FONTAINE, DENI ELLIS BÉCHARD
« Je t’écris cette lettre pour ouvrir un dialogue entre nos peuples, et non pour culpabiliser les Allochtones de cette culture raciste. (...) Nous en avons hérité. Toutefois, nous sommes responsables de la comprendre et de la changer. » Tirés de la première lettre du livre Kuei, je te salue. Conversation sur le racisme, les mots de DENI ELLIS BÉCHARD annoncent clairement l’esprit qui habite cette correspondance entre la poétesse et écrivaine innue NATASHA KANAPÉ FONTAINE et l’auteur de Des bonobos et des hommes. Interpellé par la confrontation entre la poétesse et l’autrice Denise Bombardier suite aux propos de cette dernière dans une chronique publiée peu de temps auparavant, Deni Ellis Béchard amorce cette conversation afin d’inciter, entre autres, les Allochtones à une réflexion plus large sur leur privilège, initiative à laquelle Natasha Kanapé Fontaine répondra dans une perspective d’échange franc et réconcilia- teur. Publiée originellement en 2016, cette deuxième édition voit l’ajout de quatre nouvelles lettres qui inscrivent leur discussion au cœur de l’actualité.
Écosociété, coll., « Parcours », 2021, 208 p. 22 $La décolonisation de la scolarisation des jeunes Inuit et des Premières Nations
Afin de renverser ce qui est considéré, depuis de nombreuses décennies, comme une « crise éducative autochtone », il faut réaliser l’impact du colonialisme sur l’ensemble de nos programmes d’éducation. Ce qui est clairement l’un des objectifs du collectif La décolonisation de la scolarisation des jeunes Inuit et des Premières Nations. Rassemblant des spécialistes examinant autant la situation des peuples autochtones nord-américains que celle des peuples mapuches du Chili, l’ouvrage souligne non seulement le problème d’un cursus scolaire qui omet toute réalité de patrimoine culturel, mais aussi l’impact de cette absence dans le « racisme institutionnel discriminatoire et subtil qui imprègne les sphères macro, méso et micro du curriculum scolaire. » Chapitre après chapitre, cet ouvrage exhaustif, mais accessible nous permet d’accéder à une meilleure réalisation de la nécessité d’une éducation intégrant les perspectives de tous.
Les Presses de l’Université du Québec, coll. « Hors collection », 2020, 312 p. 36 $L’Oeil du maître. Figures de l’imaginaire colonial québécois
DALIE GIROUX
Dans L’Oeil du maître. Figures de l’imaginaire colonial québécois, l’essayiste et professeure DALIE GIROUX déconstruit l’expression « maîtres chez nous », une formule qui matérialise à elle seule les aspirations politiques et sociales d’une partie de la population canadienne-française de la seconde moitié du XXe siècle. Par cette trajectoire pamphlétaire qui rappelle à l’ordre le Québécois ayant du mal à réaliser sa posture colonisatrice, l’essayiste conteste sans détour l’aspiration nationaliste telle qu’elle évolua dans la politique québécoise des années 1960 à 2000 : « Comment peut-on prétendre s’émanciper, se décoloniser, s’inscrire dans le grand mouvement de libération des peuples, alors même que cette émancipation implique la reconstruction des rapports de domination historiques et des racismes qui les irriguent ? » Un désir d’émancipation ayant clairement échoué « à faire alliance avec les peuples autochtones dans sa quête de sortie de l’Empire britannique. » Mais au-delà de la dimension politique, ce sont aussi nos figures imaginaires que Dalie Giroux examine dans cet ouvrage, d’un oeil qui ne souffre aucune forme de domination.
Mémoire d’encrier, 2020, 192 p. 21,95 $Ce n’était pas nous les sauvages. Le choc entre les civilisations européennes et autochtones
DANIEL N. PAUL
Récipiendaire de l’Ordre du Canada en 2006, DANIEL N. PAUL est reconnu pour son engagement auprès de sa communauté. Aîné Mi’kmaq, chroniqueur, journaliste, bénévole engagé et militant, son livre Ce n’était pas nous les sauvages. Le choc entre les civilisations européennes et autochtones en est actuellement à sa troisième édition. Publié pour la première fois en 1993 dans sa langue originale, ce livre témoigne de la volonté de son auteur de rendre disponibles ses recherches continues sur l’impact de la colonisation britannique sur le territoire et la communauté Mi’kmaq. Tout au long de l’ouvrage, il oppose les différences fondamentales des assises et fondations des sociétés autochtones américaines et de leurs colonisateurs européens, s’efforçant également, sources à l’appui, de déconstruire les idées reçues sur la vie des nations autochtones du nord-est de l’Amérique du Nord. Un ouvrage pionnier qui permet d’accéder à une perspective historique issue d’un auteur des Premières Nations.
Bouton d’or d’Acadie, 2020, 480 p. 29,95 $Les Autochtones. La part effacée du Québec
GILLES BIBEAU
Professeur émérite au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, GILLES BIBEAU a préfacé et publié de nom- breux livres et articles. Et dans son plus récent ouvrage intitulé Les Autochtones. La part effacée du Québec, l’anthropologue remet en cause notre rapport à l’écriture de l’histoire. Avançant les arguments à l’appui d’une « histoire à parts égales », il aborde la constitution des histoires officielles mondiales, et particulièrement celle du Québec, au-delà de la seule suprématie des innombrables sources et archives écrites européennes. « Le fait de replacer les Autochtones au cœur de la narration des débuts de l’histoire du Québec représente un geste essentiel qui s’impose si l’on veut prendre la vraie mesure de la genèse de l’identité québécoise. » Mais au-delà du seul nord-est américain, l’auteur conteste ce mépris de l’intégration du récit oral autochtone partout où la colonisation européenne a établi son exploitation commerciale.
Mémoire d’encrier, 2020, 360 p. 29,95 $Mamaskatch
DARREL J. MCLEOD
Il est facile de comprendre, dès les premières pages de ce récit, pourquoi DARREL J. MCLEOD a remporté le Prix littéraire du Gouverneur général en 2019 dans la catégorie « Essais » pour son Mamaskatch. Écrivain cri du nord de l’Alberta, il nous amène, au travers des récits nocturnes de sa mère, au coeur des nombreuses blessures familiales. Enlevées à leur mère et placées dans un pensionnat albertain dirigé par des religieuses catholiques, Bertha et ses sœurs réussiront à fuir les violences quotidiennes de l’institution sans pour autant réussir à en finir avec la violence institutionnalisée. Par son écriture sensible et directe, Darrel J. Mcleod offre un livre qu’il est difficile de refermer tant les épisodes qu’il relate, réellement tirées de sa propre histoire familiale, interrogent avec justesse nos systèmes politiques et éducationnels.
VLB éditeur, 2020, 416 p. 32,95 $C’est le Québec qui est né dans mon pays. Carnet de rencontres, d’Ani Kuni à Kianu
EMMANUELLE DUFOUR
« Si j’ai accepté de contribuer à cet ouvrage, c’est pour deux raisons. D’abord, ce livre constitue un excellent outil de sensibilisation et d’éducation pour les allochtones (et les autochtones !) et il intéressera certainement un large éventail de lecteurs. » Ce sont en ces termes enthousiastes que PRUDENCE HANNIS, directrice de l’Institution KIUNA, présente la bande dessinée-essai de EMMANUELLE DUFOUR, C’est le Québec qui est né dans mon pays. Carnet de rencontres, d’Ani Kuni à Kianu. Connue pour sa spécialisation et son implication en éducation par les arts ainsi qu’en sécurisation culturelle autochtone, Emmanuelle Dufour ajoute, par cet ouvrage rassemblant les réflexions d’intervenantes et intervenants de tous les horizons, une pierre à la construction d’une plus grande connaissance et conscience des réalités des Premières Nations et, peut-être, une meilleure réalisation de ce qu’allochtones et autochtones peuvent avoir en commun. Un livre unique qui témoigne, également, de sa grande polyvalence d’artiste.
Écosociété, coll. « Ricochets », 2021 29 $L’Oeuvre du Grand Lièvre filou
SERGE BOUCHARD
L’anthropologue, essayiste et animateur SERGE BOUCHARD n’a plus besoin de présentation. Auteur prolifique, récipiendaire du Prix du Gouverneur général en 2017 dans la catégorie « Études et essais de langue française » pour Les yeux tristes de mon camion, il a toujours porté, comme une immense fierté, l’amitié qui l’a uni au peuple innu depuis le début des années 1970. Aussi, les chroniques rassemblées sous le titre L’Oeuvre du Grand Lièvre filou, originellement parues entre 2009 et 2018 dans le magazine Québec Science, témoignent de la présence autochtone dans son œuvre et de l’admiration que les cultures des Premières Nations ont toujours suscitées chez lui. D’où ce Grand Lièvre filou, ce « Nanabozo des Anichinabés », à qui il demandera de « refaire le monde, de lui dessiner un nouveau relief, avec des perspectives et de la profondeur. »
Bibliothèque québécoise, 2021, 232 p. 11,95 $Waswanipi
JEAN-YVES SOUCY
À dix-huit ans, JEAN-YVES SOUCY est engagé comme garde-feu pour le ministère des Terres et Forêts à Amos. Alors qu’il s’attend à être platement affecté à l’une des tours d’observation de la région, on lui offre un poste de patrouille du territoire en compagnie de deux guides de la communauté crie. Mais alors qu’il sympathise facilement avec les membres de cette communauté, il fait aussi le triste constat que tous n’arrivent pas à mettre de côté leurs préjugés et que la méfiance allume, dans la forêt des consciences, de petits feux difficiles à maîtriser. Postfacé par l’ex-député ROMÉO SAGANASH, qui clot ce récit inachevé de la plus belle façon, Waswanipi (qui signifie en langue crie « lumières sur l’eau ») garde pour toujours vivant le souvenir de l’éveil de Jean-Yves Soucy à la culture crie et celui des amitiés qui auront changé sa vie.
Boréal, coll. « L’Oeil américain », 2020, 120 p. 18,95 $Okinum
ÉMILIE MONNET
« C’est dans mon rêve du castor géant que l’image du barrage comme métaphore poétique m’est apparue, et que j’ai eu envie de remonter la rivière de mon ADN pour mieux comprendre d’où je viens et ce dont j’ai besoin. » Publié à l’automne 2020, le texte Okinum de l’artiste multidisciplinaire d’origine anichinabée ÉMILIE MONNET a d’abord été présenté lors de sa résidence au Centre du Théâtre d’aujourd’hui en octobre 2018. Signifiant « barrage » en anishinaabemowin, langue que l’artiste utilise tout au long de la pièce, Okinum est à la fois le témoignage vibrant d’une recherche identitaire, d’un apprentissage culturel et l’expression de la vulnérabilité du corps. Atteinte d’un cancer de la gorge (maladie qu’Émilie Monnet a combattue), la narratrice de ce monologue-charge émouvant apprend à nommer la multitude de ses sentiments dans une langue qui refuse le compromis sur son existence et sa force d’évocation.
Les Herbes rouges, coll. « Scène_s », 2020, 88 p. 18,95 $Le Wild West Show de Gabriel Dumont
YVETTE NOLAN, JEAN-MARC DALPÉ, ALEXIS MARTIN
Si le nom de Louis Riel nous est familier, celui de Gabriel Dumont a beaucoup moins résonné dans nos salles de classe. Et que dire de son absence de nos manuels d’histoire ? Une omission qui a motivé la création de la pièce Le Wild West Show de Gabriel Dumont. Dans sa préface, la dramaturge et metteure en scène d’origine algonquine YVETTE NOLAN souligne le constat de « cette culture de l’oubli » qui a poussé JEAN-MARC DALPÉ et ALEXIS MARTIN « à renouer avec l’histoire de Dumont et des Métis de l’Ouest. » Ainsi, s’inspirant des aspirations de Dumont-acteur du Wild West Show de Buffalo Bill, revenu des États-Unis la tête pleine du rêve de créer à son tour un spectacle racontant l’histoire de son peuple et de sa résistance, les dix auteurs de ce collectif, dont Nolan, Dalpé et Martin, offrent une pièce dont la pertinence politique n’a d’égale que la fantaisie et l’humour.
Prise de parole, coll. « Théâtre », 2021, 310 p. 24,95 $