Il y a un mélange de foules et de solitudes, comme lors de ces grands repas de famille où l’on peine à trouver sa place. Je me souviens d’avoir adoré découvrir ce qui faisait famille et d’avoir eu l’impression de pouvoir m’y plonger avec la mienne, avec bonheurs et émotions.
Western spaghetti, Sara-Ànanda Fleury, Le Quartanier, 2021, 288 p., 20 €, 978-2-89698-515-9, Harmonia Mundi Livre
Littérature
Points de vue de libraires
Des libraires européens partagent leurs coups de cœur québécois !
Soazic Courbet L’Affranchie Librairie, Lille, France
« Mordantes et mélancoliques » Ces deux mots sont notés sur le bandeau qui emballe Western spaghetti. Et c’est exactement cela ! La langue de Sara-Ànanda Fleury vous revigore autant qu’elle vous émeut, elle vous croque et vous console, elle vous attire et vous bouscule. Entre larmes et fous rires, ces huit nouvelles s’articulent avec subtilité autour de ce que c’est que de faire famille, d’être une famille ou de tenter d’en créer une, d’en rêver ou de choisir d’en partir, de la regretter aussi. Je me souviens de ce vieux monsieur et de son amour des westerns, de cette femme qui cherche sa liberté dans les rues de Montréal, de ce jeune couple qui se mange presque littéralement tant l’amour est passionné, de cet enfant qui vit dans un décor de fête foraine sans émerveillement.
Tatiana Moroni Librairie-café Les Villes invisibles, Clisson, France
Si plusieurs personnes connaissent Ulrike Meinhof pour sa participation à la lutte armée avec ses camarades de la RAF (Rote Armee Fraktion), elle semble moins connue pour son activité de journaliste, jusqu’à la publication de Tout le monde parle de la pluie et du beau temps. Pas nous par les Éditions du remue-ménage. Dans cette sélection d’une vingtaine d’articles de 1960 à 1969 publiés dans le magazine allemand de gauche Konkret, il y a une analyse de son époque qui pourrait sembler dépassée et anachronique, mais en réalité les thèmes touchés résonnent encore pleinement (hélas) à ce jour. Sa critique de la politique de l’Allemagne de l’Ouest est lucide, elle dénonce la remilitarisation du pays (à l’encontre de la Constitution même), elle raconte comment les jeunes Allemand·e·s reprochent à leurs parents l’ambiguïté et l’amnésie collective par rapport au passé nazi, comment les révoltes étudiantes sont réprimées, et leur opposition à la visite du Shah d’Iran à Berlin. Mais elle dit aussi que les femmes ont obtenu l’égalité pour les seuls droits qui n’allaient pas gêner les structures sociales existantes, que la disparité des salaires homme-femme n’a pas vraiment disparu et surtout que la bataille des droits ne mène à rien sans celle pour l’émancipation et l’élimination des injustices créées par le système capitaliste. Si elle n’a pas encore pris les armes, elle est déjà férocement antifasciste, anticapitaliste et anti-impérialiste.
Tout le monde parle de la pluie et du beau temps. Pas nous, Ulrike Meinhof, Éditions du remue-ménage, 2019, 256 p., 17 €, 978-2-89091-641-8, Hobo Diffusion / Makassar
Cyrille Henry Librairie Le Merle moqueur, Paris, France
Pourtant poète et dramaturge, Michel Garneau nous livre, avec Le couteau de bois, un court album de chansons françaises aux mélodies pleines de nostalgie ; de photos aux couleurs si particulières qui nous ramènent à nos enfances, quelle qu’en soit l’époque, aux souvenirs précis que nos esprits nous restituent trop brièvement mais qu’on explore avec délice pendant plusieurs minutes qui nous paraissent intemporelles. Par sa voix, cette courte fable clôt son œuvre en arrivant à nos oreilles à titre posthume. Par le prisme de ses frères et sœurs, de ses parents et de son oncle, le souvenir d’un couteau grossier, taillé dans un morceau de bois, aiguisé et poli, devient un joyau et une marque d’honneur aux yeux de son détenteur et cristallise la fierté juvénile et la colère adulte jusqu’à réveiller ces deux sentiments, jusqu’en nous, faisant se sentir les lecteurs comme êtres de tous les âges. Son choix du mot juste, de l’association de sensation et de sentiment, de personnages ciselés par ce couteau même, de répliques de familles suffisamment heureuses et communes pour pouvoir aussi être la nôtre, réduit le texte à son plus simple appareil : un court texte, une fable qui infuse encore en nous après une courte et intense lecture. Le temps d’un trajet jusque Dieppe, qu’on vienne de Rouen ou de Moncton.
Le couteau de bois, Michel Garneau, L’Oie de Cravan, 2021, 76 p., 14 €, 978-2-924652-37-4, Les Belles Lettres
Catherine Mangez Librairie Papyrus, Namur, Belgique
Voici trois histoires qui fleurent bon le sirop d’érable ! Avec le coureur des bois Paul Thibault et son ami inséparable, le castor Grugeux, direction le Québec, ses forêts et sa mythologie… Paul Thibault n’a pas froid aux yeux et affrontera dans chaque épisode de redoutables adversaires qui peuplent les bois : l’épinette à tentacules, le mulch à la feuille rouge et le siffleux cleptomane. Des éléments farfelus s’entremêlent à l’histoire folklorique québécoise tout en la modernisant. C’est un album plein d’aventures où l’on retrouve aussi de la douceur, de l’humour, et surtout qui met en scène la force de l’amitié. Nous apprenons également une série de choses sur la faune et la flore des forêts canadiennes. Une langue fleurie et rimée qui chatouille délicieusement les oreilles, des illustrations vives pour le plaisir des yeux, une ambiance québécoise, un humour décalé comme on aime, voilà les ingrédients de cet album truculent ! L’écriture en vers rend la lecture à voix haute très agréable et théâtrale. Nous le conseillons à partir de 6 ans.
La légende de Paul Thibault, Annie Bacon et Sans Cravate, Les 400 coups, 2021, 56 p., 15,50 €, 978-2-89540-924-3, Interforum
Luc Gossmann Librairie Ernster, Luxembourg
L’auteur de l’excellent Le poids de la neige, nous offre, avec Les ombres filantes, un roman post-apocalyptique où l’homme va devoir se débrouiller face à une nature qui reprend ses droits. Ce n’est pas un roman catastrophe, plutôt une forme de récit qui condense ce qui est vraiment essentiel dans une vie simple, ramenant nos petites envies contemporaines à ce qu’elles sont vraiment : de la futilité. Christian Guay-Poliquin décrit un monde sauvage, où l’homme est ramené à ce qu’il est, à la fois biologiquement et socialement : un être qui doit se démener pour survivre, mais qui ne peut le faire sans les autres. Le récit se divise en deux parties : une première où un homme se met en quête du camp de chasse de sa famille, en traversant une forêt en compagnie d’un mystérieux enfant. La seconde concerne plus particulièrement la vie dans cette communauté, que cet homme atteindra et dont les codes n’ont forcément plus rien à voir avec ceux que nous connaissons. Contrairement à d’autres romans apocalyptiques du même tonneau, celui-ci, bien qu’il n’édulcore pas le côté parfois inquiétant d’un nouveau monde instable, met bien l’accent sur le lien social structurant la vie humaine, et c’est ce qui lui donne toute son originalité.
Les ombres filantes, Christian Guay-Poliquin, La Peuplade, 978-2-92514-100-6, 20 €, 440p. CDE /Sodis