Roman
Des romans
conjugués à tous les temps
Josianne Létourneau
Au Québec, l’un des sous-genres littéraires les plus populaires est sans contredit le roman historique. Les ventes de sagas historiques, avec leur lectorat d’une indéfectible fidélité, représentent un impressionnant 25 % du chiffre d’affaires en littérature. Mais comment expliquer un tel succès ? D’entrée de jeu, il faut dire que le roman historique, tel que nous le connaissons aujourd’hui, doit beaucoup à un écrivain écossais : Walter Scott. Poète, historien et romancier, l’auteur des classiques Ivanhoé et Rob Roy s’est vu, de façon incontestable, attribuer la paternité du genre au XIXe siècle.
Délaissant les personnages monarchiques et les divinités comme seules figures dignes d’intérêt en fiction, il intègre des protagonistes « ordinaires », voire marginaux, dans des histoires où traditions et croyances populaires ont une place importante. Un choix déterminant qui contribue aux émergences d’une identité et d’un sentiment national, changeant radicalement le regard porté sur l’Écosse jusqu’alors. Et si la France voit naître des émules de Scott en des géants comme Balzac, Hugo et Dumas, le Canada français n’est pas en reste. Au lendemain des phrases préjudiciables de Lord Durham sur ce « peuple sans littérature et sans histoire » que sont les Canadiens français, les premiers romans historiques paraissent. Ce sont des écrivains comme Eugène Lécuyer, Patrice Lacombe, Georges Boucher de Boucherville et l’incontournable Philippe Aubert de Gaspé, entre autres, qui feront vibrer la corde patriotique d’une littérature qui ne cessera dès lors de nous raconter notre histoire… Et, éventuellement, toutes les histoires du monde.
Suggestions de livres
Anaïs
MÉLANIE CALVÉ
Avec son quatrième roman, Anaïs, l’auteure MÉLANIE CALVÉ confirme une prédilection pour la Montérégie, après y avoir également ancré sa trilogie William & Eva. Nous sommes en 1929, à Saint-Etienne-de-Beauharnois, lorsqu’Anaïs, fille aînée de Florence et Benjamin Ladouceur, est enlevée un soir de juin puis retrouvée grièvement blessée dans un cabanon tout près de chez elle. Secourue par des voisins bouleversés, elle amorcera une convalescence parsemée de rencontres qui auront une influence déterminante sur sa vie et sur le destin de sa famille. Par sa plume fluide qui met admirablement en valeur la langue québécoise, Mélanie Calvé plonge le lecteur dans le Beauharnois des années 1930 avec sa gare animée, son projet de barrage et une galerie de personnages courageux et attachants qui fait la part belle aux femmes pionnières.
Fides, 2020, 350 pages 24,95$Ben Aïcha
KEBIR AMMI
Célèbre corsaire salétin nommé ambassadeur du Maroc en 1695, Abdellah Benaïcha arrive à Versailles en février 1699 pour discuter avec Louis XIV du sort des captifs chrétiens retenus en terre marocaine. Mais c’est sa rencontre avec Marie-Anne de Bourbon, princesse de Conti et prunelle des yeux du monarque solaire, que KEBIR AMMI, auteur de plusieurs essais et œuvres de fiction, raconte dans le singulier Ben Aïcha, son premier roman publié chez un éditeur québécois. Avec son écriture poétique qui ne sacrifie rien de son style à la vraisemblance de l’histoire, l’auteur fait défiler un véritable carrousel de personnages de la cour devant nous. Parmi ceux-ci, quelques complices du brasier entre la princesse et l’ambassadeur, dont les rencontres fortuites enflamment joliment ce récit. Celui d’une passion amoureuse qui se moque des questions de rang et de religion.
Mémoire d’encrier, 2019, 168 pages 21,95$Toute la chaleur du Nord
MARYSE ROUY
Récipiendaire du prix Saint-Pacôme du roman policier en 2003 pour le roman Au nom de Compostelle et finaliste de plusieurs prix littéraires, MARYSE ROUY a souvent puisé son inspiration au cœur de différentes époques de l’histoire. Après le très personnel Être du monde, l’auteure nous revient avec Toute la chaleur du Nord, roman inspiré des wagons-écoles ayant permis aux familles du Nord des Grands Lacs d’avoir accès à une éducation pour leurs enfants. Faisant fi de l’opinion de plusieurs de ses proches, Elizabeth Purvis, héroïne du roman de Rouy, relève le considérable défi de remplacer son mari Henry, atteint de tuberculose, comme professeure responsable du wagon-école. Avec le soutien de sa sœur Helen, et tout en s’occupant de sa toute petite fille, la jeune femme traversera l’hiver 1934 sous le regard parfois médusé, mais généralement bienveillant des familles de travailleurs immigrants du Nord ontarien.
Druide, 2020, 264 pages 22,95$Manam
RIMA ELKOURI
Lorsque sa grand-mère, qu’elle appelle affectueusement sa « Téta », meurt à l’âge de 107 ans, Léa ressent l’irrépressible besoin de visiter les lieux de mémoire familiale. Premier roman de la journaliste et chroniqueuse RIMA ELKOURI, Manam nous amène au cœur du récit de la famille Amalian, ramenant à la vie les êtres aimés ainsi que le souvenir du génocide arménien. Ce dernier, non reconnu par le gouvernement turc, fut vécu par la population de Manam en 1915, exterminant neuf Arméniens sur dix. Pour reconstruire les fondations bouleversantes de l’histoire de cette famille, l’auteure joue avec les voix narratives, entre les lettres du grand-oncle, les témoignages et récits des habitants de Manam ainsi que quelques bribes de souvenirs légués à Léa par sa grand-mère. Révélant un talent littéraire qui s’épanouit dans un ton intimiste émouvant de justesse, Rima Elkouri signe un roman profondément humain et nécessaire.
Boréal, 2019, 138 pages 22,95$Les Foley
ANNIE-CLAUDE THÉRIAULT
Nous le savons maintenant : ce sont plusieurs centaines de milliers d’Irlandais qui ont quitté leur pays pour rejoindre le Canada entre 1815 et 1870. Et lorsqu’ANNIE-CLAUDE THÉRIAULT nous ouvre la porte de l’humble maison des Foley, nous sommes en 1847. La famine sévit cruellement sur l’Irlande depuis deux ans, causée par une maladie de la pomme de terre, le « mildiou », qui n’épargnera pas la terre de cette famille anti-impérialiste. Faisant le récit d’un exil fictif, mais vraisemblable, de Cobh en Irlande en passant par Pokeshaw, Black Rock, Inkerman, Caraquet et enfin Miscou, au Nouveau Brunswick, Les Foley, deuxième roman de l’auteure, trace le périple d’une œuvre chorale soutenue par des voix de femmes. Voix doublées de poésie et riches de l’écriture organique de Thériault, une écriture chargée de lumière, de paroles et de regards posés.
Marchand de feuilles, 2019, 290 pages 25,95$Ténèbre
PAUL KAWCZAK
Premier roman du poète et éditeur PAUL KAWCZAK, Ténèbre ne cesse, depuis sa publication, de gagner des prix (Prix des lecteurs L’Express / BFMTV, Prix Roman du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean). Par sa plume évocatrice, le primo-romancier nous plonge dans un univers sanglant et crépusculaire où les jours successifs ne semblent jamais s’éclairer. Situé en majeure partie dans l’État indépendant du Congo de 1890, Ténèbre raconte les expéditions d’un certain Pierre Claes. Mandaté par le roi Leopold II, le géomètre belge doit tracer les frontières de cette terre africaine « avec l’autorité des étoiles, l’infaillibilité de quelques instruments savants et certaines vérités trigonométriques ». Ambitieuse, foisonnante de personnages fascinants et subversifs, l’œuvre de Kawczak rappelle à la mémoire blanche universelle une page, et plusieurs, de son héritage politique meurtrier.
La Peuplade, 2020, 320 pages 25,95$Le Mammouth
PIERRE SAMSON
Mars 1933, à Montréal. Nikita Zynchuck, immigrant alors au chômage, est abattu d’une balle dans le dos par un policier. Fait divers réel de fin d’hiver dans un Montréal cosmopolite et pauvre où les logements des chômeurs se vident, faute de paiement, le temps d’un claquement de langue. C’est aussi le point de départ d’un plongeon narratif étourdissant que la précision littéraire presque obsessive de PIERRE SAMSON prolonge en un roman sociohistorique fascinant où se croisent couturières aux doigts de fée et militants du parti communiste. Lauréat du prix Jacob Isaac Segal, qui récompense le meilleur livre québécois abordant un thème juif, et finaliste de plusieurs autres récompenses littéraires en 2020, Le Mammouth, dans le déploiement de toute sa puissance narrative, porte bien son nom.
Héliotrope, 2019, 366 pages 24,95$